Texte intégral
Date : Lundi 21 novembre 1994
Source : France Inter/Édition du matin
S. Paoli : Les entreprises retrouvent des bénéfices après quatre ans de crise mais les patrons et les politiques continuent de privilégier l’emploi plutôt que les salaires. C’est en effet une question difficile quand il existe plus de 12 % de chômeurs, aujourd’hui, en France. Sauf que cela fait quand même plus de dix ans que la question se pose et qu’on ne trouve toujours pas de réponse ?
N. Notat : Pas tout à fait. Je crois qu’il ne faut pas que l’arbre cache la forêt. Alsthom est une entreprise où, à l’évidence, ce qui se passe traduit des rapports sociaux qui sont très détériorés. On sait que, dans ce genre de situation, quand c’est plutôt le patron qui est à l’offensive pour demander des heures supplémentaires, des cadences de travail plus importantes, un jour ça craque et ça craque surtout à partir d’une revendication salariale. Mais je crois, quand dans d’autres entreprises, on l’a vu dans le textile, dans la chimie dernièrement, même dans le secteur public, ce ne sont pas en priorité les revendications salariales – elles le sont, bien sûr, et c’est légitime –, il ne faut pas opposer le tout salaire ou le tout emploi. Il faut un bon équilibre entre les deux, tout simplement. Pourquoi ? Parce que la croissance, nous dit-on, revient, la situation financière des entreprises est meilleure. Les salariés, légitimement, se disent que, quand ça ne va pas, on fait appel à leur effort – et ils ont beaucoup donné, en particulier ceux qui ont été licenciés, les chômeurs aussi – et quand ça va mieux, il faut que ça revienne aussi vers une meilleure réponse aux revendications des salariés.
S. Paoli : Quelle est, selon vous, la ligne qu’il faut défendre aujourd’hui ? Il y a deux thèses qui s’affrontent, celle de l’emploi et celle des salaires ?
N. Notat : Je refuse de considérer qu’il faut du tout emploi ou du tout salaire mais je refuse aussi que les nouvelles marges de croissance ne bénéficient seulement qu’à ceux qui ont un emploi aujourd’hui. Hier, il y a eu des victimes de la crise, il ne faut pas qu’ils soient les laissés pour compte de la reprise aujourd’hui. Ce que je souhaite est que, dans les entreprises, puisque la situation va mieux, les chefs d’entreprise consentent maintenant à ré-augmenter la masse salariale qui est distribuée au personnel. La ré-augmenter pour satisfaire des revendications salariales légitimes quand elles le sont et, en particulier, sur les petits salaires mais que, surtout, il y ait aussi des réponses à la situation de l’emploi en jouant sur toutes les cordes des possibilités de l’emploi, des heures supplémentaires en moins, des réponses à l’insertion et à la formation des jeunes et remettre, pourquoi pas maintenant, la réduction du temps de travail dans de bons équilibres à trouver entre salaire, réduction du temps de travail et effet sur l’emploi.
S. Paoli : Il y a un facteur important qui est en train de jouer sur tout ce qui se passe en ce moment, c’est le contexte. C’est celui des affaires, de la morale, de ces entreprises qui injectent de l’argent dans des circuits politiques. De plus en plus, dans les arguments avancés par les uns et les autres et notamment par les salariés, on trouve ces arguments aujourd’hui.
N. Notat : C’est ô combien compréhensible quand l’argent devient roi, quand on a le sentiment qu’il est galvaudé, dans un certain nombre de cas, mis au service d’enrichissement personnel – ce qui n’est pas le cas de toutes les affaires aujourd’hui – mais il est complétement légitime que les salariés se disent : « mais enfin, on ne sera pas toujours les dindons de la farce ! »
S. Paoli : Cela va peser sur les semaines et les mois qui viennent ? Évidemment, je pense à la période de la campagne présidentielle.
N. Notat : Ce sera évidemment un thème présent dans le débat, il l’est déjà, d’ailleurs, mais je souhaite que, dans cette campagne présidentielle, les syndicats, avec les salariés, sachent trouver la bonne ligne. C’est celle qui rencontre, sur le terrain, la manière de répondre aux revendications quand elles sont légitimes sur les salaires. Mais c’est aussi que, dans les négociations salariales qui vont s’ouvrir – car c’est une époque normalement, en cette fin d’année, où il y a des négociations salariales – partout, et ce sera le mot d’ordre de mon organisation, on puisse, en même temps qu’on négocie les salaires, négocier des propositions nouvelles pour faire rentrer plus de personnes dans les entreprises.
S. Paoli : Pendant ces quatre dures années de crise, est-ce que les patrons et les syndicats n’ont pas un perdu l’habitude de négocier ? Je suis assez frappé de voir que, dans tous les conflits qui commencent, on a recours systématiquement à un médiateur aujourd’hui.
N. Notat : Oui, mais d’ailleurs, en général, c’est que l’on arrive plus à s’entendre et à se comprendre entre partenaires, entre patronat et syndicat. Ce n’est jamais le signe d’un bon dialogue social. Mais je pense qu’il y a des cas – c’est le cas d’Alsthom – où, à un moment donné, ça craque, on a un conflit dur. Il faut, au maximum, rendre possible un débouché positif. Dans ce conflit, et ce n’est pas notre logique, il n’est pas souhaitable que cela pourrisse et que les salariés aient l’impression de s’être battu pour rien. Mais il y a aussi mille et une autres façons, dans beaucoup d’autres entreprises, de pouvoir discuter, revendiquer, mettre en avant des propositions que les directions d’entreprises accepteront de négocier, comme il est normal qu’ils le fassent dans ce contexte de « reprise ».
Date : 23 novembre 1994
Déclaration de Jean-René Masson, secrétaire national
Le CNPF vient de préconiser une politique salariale prenant en compte la situation de l’emploi.
Comment ne pas être d’accord sur le principe ? Comment ne pas s’interroger sur la capacité de concrétisation réelle ?
Durant toutes les années de crise, l’emploi a toujours été la principale victime des choix de gestion des entreprises et les employeurs ont refusé de s’engager pour la création d’emplois, en contrepartie des divers et substantiels allégements de charges sociales dont ils ont bénéficié.
Comment, aujourd’hui, ne pas craindre que le discours du CNPF ne soit qu’un habillage pour limiter les revendications salariales ? Pour retrouver une crédibilité sur le terrain de l’emploi, il faut passer aux actes. Et la CFDT dit chiche !
Pour la CFDT, il ne faut pas opposer le tout emploi au tout salaire et pour trouver un bon équilibre entre les deux, il faut négocier.
La situation des entreprises s’améliorant, la masse salariale doit progresser et la négociation doit permettre de répartir équitablement ce qu’il faut consacrer à l’emploi et ce qui doit aller au pouvoir d’achat. Les revendications salariales sont légitimes, en particulier pour les petits salaires, et les réponses à la situation de l’emploi doivent aussi être apportées, notamment par la réduction des heures supplémentaires, l’insertion des jeunes et la réduction du temps de travail.
C’est une double revendication qu’il faut satisfaire et c’est pourquoi, la CFDT demande que toute négociation salariale intègre les revendications en faveur de l’emploi.