Texte intégral
France Inter – 27 mai 1994
Q. : Vous revenez d'Israël : on est toujours un petit peu en retard. Pour les missions diplomatiques on est très bien, mais quand il s'agit d'investir, d'être présent en affaires, on trouve toujours des Allemands par exemple qui sont là avant nous.
R. : Dans le cas présent vous avez raison. En Israël on est très en retard, Officiellement en retard. Ce n'est pas vrai de tous les pays. Nous aurions pas la position de 4e présence internationale dans le monde sur le plan économique si nous étions toujours derniers. Il ne faut pas globaliser. La France est très présente. Cela étant, c'est qu'il y a un certain nombre de pays qui sont devant nous. Revenons à Israël et aux territoires autonomes, c'est évident que la présence des États-Unis est écrasante. Quand nous sommes allés en chine, dès qu'on a pu y retourner, nous n'étions pas du tout les derniers. Donc, il ne faut pas dire que la France est toujours à la traîne. La France peut être encore présente. En plus, elle a des technologies qui sont très appréciées dans tous les pays du monde.
Q. : Pendant la pré-campagne électorale des européennes, on n'a pas parlé d'économie, ou des entreprises.
R. : Cela ne m'étonne pas. C'est un petit peu, malheureusement, le travers de la façon dont on aborde les élections européennes. La dernière fois, ça s'était passé exactement comme cela. Les élections européennes, c'est surtout une manière de se compter. Mais quand même, aujourd'hui, c'est un peu différent. Il y a dans le contenu des programmes l'évocation d'un certain nombre de problèmes européens, d'une façon plus sérieuse que cela ne l'était la dernière fois.
Q. : Qu'attendez-vous des candidats ?
R. : Ce que nous attendons, c'est qu'ils fassent tout au Parlement pour peser sur la mise en compétitivité de l'Europe. Il faut que l'Europe soit un environnement économique et social pour son économie qui la fasse redevenir compétitive. Ce qu'on aurait dû dire pendant cette campagne, c'est que l'Europe est en pleine perte de vitesse dans sa position dans le monde. L'Europe qui participait à 24 % des échanges, il y a encore quelques années, est tombée à 18 ; l'Europe qui était équilibrée dans ses échanges avec le monde, a un déficit de balance commerciale de plus de 300 milliards ; les déficits des gouvernements de l'Europe sont tous extraordinairement élevés et le chômage en 20 ans a augmenté d'une façon considérable. Par conséquent, l'Europe n'est plus compétitive et ce qu'il faut attendre de l'Union européenne, c'est que l'Europe redevienne compétitive de manière à pouvoir lutter contre le chômage et à retrouver le rôle qu'elle jouait dans le monde et qu'elle doit rejouer.
Q. : Vous pourriez être le patron des patrons européens ?
R. : C'est une hypothèse qu'il ne faut pas exclure. La France n'a pas été à cette présidence depuis 22 ans, et je ne vous cache pas non plus que l'Europe m'a toujours passionné. Par ma présence à la tête de cette organisation – si je suis choisi par mes collègues – je ferai tout pour que l'opinion publique arrête ces disputes stériles autour de l'Europe qui devient un alibi pour parler de tout, et que l'opinion publique comprenne que notre chance d'avoir fait l'Europe, c'est que l'Europe redevienne compétitive, que les entreprises européennes redeviennent les meilleures du monde et que nous retrouvions la croissance et l'emploi.
Les Échos : 10 juin 1994
Les Échos : Lorsque la Communauté compte plus de 19 millions de chômeurs, quelles sont vos raisons de croire à l'Europe ?
Nicole NOTAT : 19 millions de chômeurs, la récession économique, le sentiment d'impuissance face à la guerre en Bosnie, sont autant de facteurs qui affectent aujourd'hui l'idée européenne. Pourtant, l'Europe garde ses raisons d'être et de s'affirmer.
L'Europe est née portée par des aspirations de paix, de démocratie et de développement économique. Cette Europe a rempli son rôle, produit des résultats. Maastricht a consacré ce processus en cherchant à le consolider et à le prolonger. Ce qui fait défaut, c'est l'absence de projet redonnant du sens et de la crédibilité à l'avenir européen, car l'Europe doit faire face à un nouveau contexte marqué par la chute du mur de Berlin et ses conséquences. Elle est confrontée au fait que croissance et richesses produites ne génèrent pas automatiquement emploi et progrès pour tous. Ce sont autant de défis qui rendent nécessaire un nouveau départ pour l'Europe. Pour ressusciter l'espoir et motiver les citoyens, un engagement politique fort des États et des parties prenantes à sa construction est nécessaire et urgent. À cet égard, ce débat émerge bien peu dans la campagne des élections européennes.
François PERIGOT : Depuis plusieurs années, les économies européennes connaissent un déclin relatif par rapport aux autres économies. Ce déclin, l'Europe le doit à la diminution de la compétitivité de son économie, qui doit financer des déficits publics et sociaux croissants qui se traduisent par des prélèvements sur les entreprises et les ménages, bien supérieurs à ceux de nos grands concurrents.
Seule une détermination à l'échelle de l'ensemble des pays européens nous permettra de remettre de l'ordre dans le fonctionnement de nos économies. Seule une optimisation des ressources européennes en particulier en « matière grise », en innovation et en progrès scientifique nous permettra de retrouver le leadership sur lequel a été fondée notre prospérité. Aucun pays européen, pris isolément, n'a la capacité de relever seul ce défi.
Les Échos : Quel bilan tirez-vous de l'Europe sociale ? Qu'a-t-elle concrètement apporté aux entreprises et aux salariés ?
Nicole NOTAT : Le bilan est contrasté, voire déséquilibré. Les femmes peuvent globalement et légitimement porter un jugement positif pour l'impulsion que l'Europe a donné au principe de l'égalité entre hommes et femmes. Des jeunes qui participent à des échanges intra-communautaires appréhendent concrètement l'Europe. Dans certaines régions, des salariés constatent l'apport de la Communauté au travers notamment d'aides financières. À l'inverse, les salariés des transports, de l'énergie ou des télécommunications, par exemple, vivent mal l'Europe quand elle paraît menacer l'existence de services publics. Au total, cependant, l'Europe sociale est en retard dans une construction qui a privilégié l'économie.
François PERIGOT : Contrairement à une idée répandue, l'Europe sociale est loin d'être une coquille vide et elle se construit beaucoup plus vite qu'on ne le croit. Depuis 1957, 350 textes ont été adoptés et, entre 1987 et 1992, autant de textes ont été adoptés que pendant les trente premières années de la construction communautaire. Dans un certain nombre de matières, le bilan est substantiel et pas simplement quantitatif. Prenons l'exemple de la réglementation en matière de santé et de sécurité au travail : l'adoption des règles européennes a entraîné, au moins dans un premier temps, une modernisation du droit mais aussi la modification de 300 articles du code du travail. Dans ce domaine, comme dans celui de la formation, l'influence européenne est grande et positive. Il est vrai qu'il reste beaucoup à faire, mais ne nous trompons pas de combat. La priorité aujourd'hui est de relancer la machine économique européenne et de renforcer la compétitivité des entreprises. Cela passe par davantage de flexibilité et par la diminution du coût indirect du travail, seuls moyens de retrouver croissance et donc emploi. Ce sont des idées qui gagnent du terrain, témoin le Livre blanc de la Commission européenne. Ne les infirmons pas par des initiatives qui ont perdu leur caractère d'urgence en période de récession. Je pense au comité d'entreprise européen qui, s'il devenait un modèle obligatoire, s'inscrirait à contre-courant de l'européanisation nécessaire et urgente de nos entreprises.
Les Échos : Quand les partenaires sociaux se saisiront ils de l'opportunité que leur offre Maastricht de négocier en préalable aux directives ? Quels sujets vous paraissent prioritaires ?
Nicole NOTAT : Le dialogue social européen est atone. Pourtant, le protocole social de Maastricht offre un tremplin pour développer la dimension contractuelle de l'Europe sociale. Mais il reste sans concrétisation. Le patronat européen plaide la négociation mais seulement comme contre-feu aux directives européennes. La négociation en matière d'information et de consultation des salariés dans les entreprises européennes est révélateur de cette attitude. Elle a d'ailleurs a échoué. Il est temps que l'Unice s'engage : c'est une tâche essentielle pour son nouveau président, François Perigot, qui affiche sa volonté de sortir le dialogue social de l'enlisement. Les sujets prioritaires sont à l'évidence l'emploi et le droit au travail pour tous.
François PERIGOT : Rappelons que c'est pour une grande part à l'initiative du CNPF que le traité de Maastricht a prévu un espace contractuel, c'est-à-dire la capacité pour les partenaires sociaux européens – Unice et CES – de se saisir de certains dossiers sociaux. Ainsi, les partenaires sociaux se sont rencontrés de novembre 1993 à avril 1994 sur la question du comité d'entreprise européen. Même si elles n'ont pas abouti, ces négociations ont constitué une première dans l'histoire de l'Europe sociale. Plus généralement, un véritable dialogue social s'est mis en place : les partenaires sociaux se rencontrent de manière régulière, dernièrement sur les moyens de lutter contre le chômage en développant la formation professionnelle.
Les Échos : L'emploi reste le point faible de l'Europe et divise les pays membres. L'Angleterre pousse pour une déréglementation du marché du travail et le ministre allemand de l'économie a proposé d'identifier les directives sociales qui freineraient la création d'emplois. Qu'en pensez-vous ?
Nicole NOTAT : Évitons de tomber dans une fausse alternative : l'emploi pour un plus grand nombre, avec des revenus et des garanties sociales moindres ou moins d'emplois avec davantage de protection sociale. La réalité est autre. Deux logiques s'affrontent. L'une idéologique qui joue la baisse généralisée du coût du travail, la flexibilité, la déréglementation. Elle n'a jamais fait la preuve de son efficacité. L'autre ambitieuse et réaliste est fondée sur un développement conciliant les besoins des entreprises et des salariés, investissant dans la formation et les qualifications, négociant les nouvelles organisations de travail, redéployant le financement de la protection sociale. Elle reste à promouvoir.
François PERIGOT : Nous devons veiller à ce que l'accumulation de procédures et de règles trop détaillées ne freinent la création d'emplois. Le CNPF ne peut être que favorable à l'initiative allemande. La promotion de l'emploi passe par une série de mesures structurelles pour améliorer le fonctionnement du marché du travail. Dans le mémorandum que le CNPF, le BDI pt la BDA ont rédigé en vue des prochaines présidences de l'Union européenne, nous avons d'ailleurs notamment suggéré de promouvoir la flexibilité du marché du travail (temps partiel, annualisation des horaires…) pour briser les rigidités structurelles qui l'affectent.
Les Échos : Les propositions du Livre blanc sur la croissance et l'emploi vous paraissent-elles de nature à répondre au problème du chômage en Europe ?
NICOLE Notat : De par son existence, le Livre blanc est déjà une gageure. La ténacité et la force de conviction de Jacques Delors lui doivent l'essentiel. Mais s'y côtoient pêle-mêle des propositions intéressantes concernant la relance avec de grands travaux d'infrastructures, insuffisantes sur les politiques actives de l'emploi et ambiguës quant à la déréglementation et à l'abaissement du coût du travail. Le Livre blanc balance d'une logique libérale à une logique solidaire et concertée. Le décalage se creuse entre l'effet d'annonce et le passage à l'acte. Quels sont et où en sont les projets adoptés par le sommet de Bruxelles de décembre 1993 ? Quand sera décidé l'emprunt communautaire ? Finalement, le message européen de lutte contre le chômage, qui se voulait fort, se dilue et même se contredit. Dernier exemple en date : la récente et incompréhensible décision des douze ministres européens de l'économie et des finances de réviser à la baisse le programme des grands travaux adoptés par les chefs d'État et de gouvernement. Mais où est donc le pouvoir de décision ?
François PERIGOT : En soulignant les liens indissociables entre croissance, compétitivité et emploi, le Livre blanc a tout d'abord adopté la seule approche possible, c'est-à-dire globale et pluridisciplinaire, pour s'attaquer à la crise structurelle qui affecte l'économie européenne. Le CNPF se félicite de cette réflexion. En revanche, il faut constater que le document ne tire pas les conclusions qui découlent de ces analyses. Deux réserves peuvent être faites, donc, du point de vue social : d'une part, la Commission ne va pas jusqu'au bout de ses idées et, d'autre part, elle ne fait aucune proposition ou recommandation ferme dans le domaine social. C'est du reste, ce que fera valoir l'Unice dans un rapport sur la compétitivité des entreprises européennes, que je remettrai – en tant que président de l'Unice – à Jacques Delors le 20 juin prochain.
Les Échos : Le dumping social, que semblent accréditer plusieurs délocalisations d'entreprises au sein même de l'Europe, peut-il être combattu ?
Nicole NOTAT : Les délocalisations existent dans les deux sens. Hoover et Grundig mobilisent la France pendant que l'on baisse pudiquement les yeux sur les entreprises qui s'implantent dans l'Hexagone. Des réponses offensives sont nécessaires pour négocier des contreparties sociales solidaires et justes. Le comité d'entreprise européen serait une première avancée pour éviter la surenchère à la baisse des garanties sociales entre salariés de différents pays. Au-delà de l'Europe, l'instauration de clauses sociales est dans l'intérêt partagé des salariés européens et du tiers-monde.
François PERIGOT : Ne confondez pas les problèmes : la question des délocalisations et celle du dumping social sont très différentes. La délocalisation intra-européenne est tout simplement la traduction de la mise en face de l'Espace économique européen. Le dumping social est une expression qui doit être réservée à des pays en développement. Remettre en cause une relation commerciale avec ces pays pour ces raisons ne profiterait à aucun des deux partenaires. En revanche, il est urgent de commencer à définir un minimum de règles du jeu sociales pour le commerce international.