Texte intégral
En ce Premier mai, les politiciens n'ont pas chômé. Aussi bien ceux de droite que ceux de gauche, chacun y est allé de sa déclaration sur l'emploi. Cela ne signifie absolument pas qu'ils se préoccupent du sort des chômeurs, actuels ou futurs, mais tout simplement, comme tout le monde l'a remarqué, que la compétition électorale pour la prochaine présidentielle se développera sur ce thème.
À gauche, Rocard, devant les "Assises de la transformation sociale" qui se tenaient à Rennes, n'a pas mâché ses mots, en déclarant que "le problème était de sortir de la palabre et d'agir très fortement et plus puissamment"… Cela pour dire ensuite, sans palabre bien évidemment, qu'il fallait s'orienter vers la semaine de quatre jours, mais qu'il faudrait vingt ans – en 2014 donc – pour atteindre cet objectif, et qu'en attendant, les trente-sept heures constituaient une étape préalable.
À droite, une joute verbale, feutrée, comme il est de bon ton entre compagnons de la même confrérie RPR, mais suffisamment nette cependant pour que tout le monde puisse entendre les différences, a mis aux prises Balladur, Chirac, Séguin.
Balladur a abondamment parlé "d'une autre" société qui était "à inventer", d'un "pacte social français, traditionnel depuis la Révolution, fondé sur le consentement commun à un idéal de justice et de fraternité", pour conclure que le social et l'économie doivent aller de pair. Ce qui signifie que, pour que la situation sociale s'améliore, il faut que l'économie – entendez : les patrons – se porte bien. Donc qu'il est légitime de les encourager, pas seulement de la voix et du geste, mais par des aides sonnantes et trébuchantes. Chirac, lui, ne propose pas un pacte mais un "nouveau contrat social". Pacte, contrat : décidément, il y a des modes, surtout en période électorale. Et s'il s'oppose à son ami, et rival, Balladur sur les rythmes et la tonalité qu'il faut donner à l'action politique aujourd'hui, en revanche il ne s'en distingue pas sur la nécessité d'aider les patrons… pour leur permettre, dit-on, de créer des emplois. Mais il n'est jamais question de contrôler ce que les patrons peuvent faire de ces aides et subventions.
Chirac préconise donc, entre autres, de baisser encore plus les charges sociales des employeurs, d'inciter les entreprises à embaucher des chômeurs qui, pendant les premiers mois de leur insertion, continueraient à être indemnisés par les Assédic. Mieux que le CIP !
Quant au troisième larron, Séguin, lui aussi, bien sûr, se déclare favorable à des mesures allant dans le même sens. Mais en plus il propose "un référendum sur l'emploi" qui dit-il, devrait se tenir après l'élection présidentielle de 1995. La proposition a fait un peu de bruit. Elle était faite d'ailleurs en partie pour cela. C'est une opération publicitaire et politicienne qui, on l'a noté, n'a pas suscité que des approbations au sein de la droite. Peut-être sera-t-elle d'ailleurs jetée aux oubliettes dès demain, comme bien d'autres gadgets politiques.
Mais, après le "référendum" organisé à Air France, cette démarche est à la mode. Elle s'ajoute à l'arsenal de démagogues qui peuvent ainsi se parer du titre de champion de la démocratie. Mais cela ressemble aussi peu à de la démocratie, que le Canada Dry à de l'alcool : cela en a l'allure, mais rien que l'allure. Blanc, le PDG d'Air France, proposait aux salariés, toutes catégories confondues, du bas de l'échelle aux hauts cadres qui gagnent plusieurs millions de centimes par mois, de voter l'acceptation du gel des salaires, l'acceptation de la suppression de plusieurs milliers de postes, sous peine de déclarer la faillite, avec la menace que la clef soit mise sous la porte. Cette méthode relève plus du chantage que de la démocratie directe. C'est cela même que préconise Séguin : "Au peuple de dire s'il est prêt à s'engager dans le combat qu'il appelle de ses vœux et s'il accepte d'en payer le prix", dit-il. Mais si un tel projet prenait corps, cela signifierait que l'on demanderait à tous, grands bourgeois, moyens bourgeois, petits bourgeois, travailleurs, chômeurs, de se prononcer pour que ceux qui ont du travail le partagent ainsi que leur salaire avec ceux qui n'ont plus rien, les exclus. Bref, il ne s'agirait de rien d'autre que d'un partage de la misère. Mais cette filouterie va plus loin, car après, les Séguin et compères pourraient dire : "Le peuple a choisi lui-même de répartir la pauvreté ; de quoi se plaint-il donc ?"
Mais pourquoi ne répartirait-on pas plutôt les richesses ? Pourquoi Séguin ne propose-t-il pas à la population de se prononcer pour que, dans cette période de crise, on prenne sur les profits et les biens des riches, des spéculateurs, des banquiers, des capitalistes ? Pourquoi ne propose-t-il pas que l'on interdise tous les licenciements dans les entreprises qui distribuent des dividendes ? Parce qu'il ne veut pas vraiment l'avis du "peuple". Il veut seulement que celui-ci cautionne les sacrifices qu'on veut lui imposer.
Mais pour ce qui concerne les entreprises, Séguin dit comme Chirac et Balladur : il faut alléger leurs charges sociales et leurs impôts. Tout comme l'ont fait Bérégovoy et Rocard lorsqu'ils étaient à la tête du gouvernement.
Tous ces bonimenteurs, à droite et à gauche, ne cherchent pas à maintenir l'emploi et des conditions d'existence décentes pour la population laborieuse : ils se chamaillent pour une place, celle qu'ils espèrent occuper, qui à Matignon, qui à l'Élysée. Ils ne défendent pas les chômeurs, les travailleurs, ils cherchent simplement à récupérer leur vote, qu'ils utiliseront ensuite pour imposer encore plus de sacrifices aux salariés, à qui ils fermeront la bouche en leur disant : "De quoi vous plaignez-vous, puisque "le peuple" m'a élu ?"
Il est plus que temps de dire qu'on en a assez de tous ces guignols et de leurs mauvais coups.
13 mai 1994
Lutte Ouvrière
"S'ils n'ont pas d'emplois, donnez-leur un référendum" ; telle semble être la version, modernisée par les politiciens français, des célèbres paroles de Marie-Antoinette qui proposait plaisamment, à qui n'avait pas de pain, de "manger de la brioche".
Pourtant, lorsque du côté de l'actuelle majorité, Séguin a demandé l'organisation d'un référendum sur l'emploi, cela a fait quelque peu ricaner, mais sa proposition a été trouvée intéressante par Chirac, et aussi par l'ex-socialiste Chevènement. Du côté de l'ancienne majorité, Tapie a demandé à ce que le chômage des jeunes soit déclaré illégal. L'ex-ministre du Travail Martine Aubry a trouvé que ça ne faisait pas très crédible, mais elle a présenté les choses comme si, après un an de réflexion dans l'opposition, le parti de Rocard avait, lui, des idées sérieuses pour s'attaquer au problème de l'emploi.
Enfin, c'est Mitterrand lui-même qui, lors de son émission télévisée du 10 mai, a félicité Séguin, "homme qui compte" paraît-il, tout en disant que sa proposition était "trop vague". Lui, Mitterrand, il pourrait proposer un référendum sur "un contrat social pour l'emploi". Comme on voit, ça change tout. Mitterrand tient même à notre disposition, dans sa besace, un autre référendum en prime, sur l'usage de la force nucléaire cette fois.
Avec ça, on est parés. Nous sommes à un mois des élections européennes, qui vont être en même temps le coup d'envoi de la campagne électorale présidentielle de 1995. Le résultat de celles-ci décidera, dans une large mesure, qui – parmi tous ceux qui aspirent à un poste de ministre – aura droit à une place située près de la soupière dans les années qui viennent. Alors, on est en train de nous servir un échantillon des arguments électoraux – si on peut appeler cela ainsi – auxquels nous aurons très probablement droit dans la période à venir.
Ces politiciens en quête de postes qui ne sont tout de même pas sans savoir que le chômage constitue, pour la population de ce pays, le problème principal, essaient donc d'apparaître aux yeux des électeurs comme des gens ayant des idées pour le combattre. Mais la précipitation avec laquelle tous se jettent sur cette lamentable proposition d'un référendum-diversion, émise par le non moins lamentable Séguin, en dit long justement sur leur absence totale d'idées dans ce domaine.
La question du chômage ne les intéresse évidemment que comme argument électoral. Ce qu'il représente comme problèmes pour les jeunes qui cherchent désespérément un premier emploi, pour les parents qui voient s'amenuiser leurs moyens d'élever dignement leurs enfants, pour tous ceux à qui on explique qu'à partir de cinquante ans ils sont trop vieux pour espérer retrouver du travail, tous ces politiciens s'en moquent. Et ils n'ont d'ailleurs pas de réelles divergences entre eux sur la politique qu'il convient de mener face au problème de l'emploi.
On l'a bien vu au cours de ces vingt années, où nous avons eu droit à toutes les formules politiques possibles, ou presque : un président et un gouvernement de droite, sous Giscard d'Estaing ; un président et un gouvernement de gauche sous Mitterrand ; un président de gauche et un gouvernement de droite avec ce même Mitterrand. En tout, neuf gouvernements qui ont pratiquement tous mené la même politique en ce domaine, y compris ce gouvernement Mauroy dans lequel le PCF avait quatre ministres entre 1981 et 1984.
Depuis vingt ans, face à la crise, ces gouvernements n'ont eu en fait qu'un seul souci : permettre aux capitalistes de maintenir leurs profits, malgré le ralentissement des affaires. Et là, ils en ont eu de l'imagination pour trouver des solutions variées. Ils ont multiplié les subventions aux entreprises, diminué les impôts sur les sociétés, bloqué les salaires des travailleurs, inventé des stages ou des formations bidon pour offrir aux patrons de la main-d'œuvre à bon marché, supprimé un certain nombre de barrières qui gênaient la rapacité patronale. Dans tout cela, le chômage leur servait seulement de prétexte, car ils affirmaient aider les entreprises pour leur permettre de créer des emplois.
Les emplois, on ne les a pas vus. Mais pendant que le flot des chômeurs grossissait, les coffres-forts des capitalistes continuaient à se remplir.
Et ils sont tous prêts à remettre ça. La droite ne demande qu'à continuer sa politique actuelle, le Parti Socialiste qu'à la remplacer pour mener la même politique. Et la direction du Parti Communiste, après avoir tant critiqué (après coup) la politique "d'union de la gauche", réentonne la même chanson sous le nom de "Pacte Unitaire pour le Progrès". C'est pourtant cette politique qui a permis à Mitterrand de se faire élire, mais a fait perdre au PCF la moitié de son électorat, et a démoralisé toute une partie de ses militants.
Alors, laissons les bateleurs de foire exposer leurs remèdes miracle contre le chômage. Et souvenons-nous que pour améliorer son sort, la classe ouvrière ne peut compter que sur la lutte de classe.
20 mai 1994
Lutte Ouvrière
À défaut d'avoir réellement quelque chose à dire sur l'Europe, les candidats des principaux partis aux prochaines élections européennes courent pour des enjeux de politique intérieure, l'œil rivé sur les présidentielles de l'année prochaine.
C'est le cas pour la liste unique de la droite gouvernementale, composée de façon la plus incolore possible de façon à ménager les sensibilités de l'UDF, du RPR, et les divers courants internes de ces partis, dont chacun sait qu'ils sont prêts à s'entre-dévorer pour les présidentielles. C'est la raison du choix d'un Baudis en tête de liste, dont les plus aimables de ses amis disent, paraît-il, que s'il peut s'envoler dans les sondages, c'est parce qu'il ne pèse rien.
C'est le cas à gauche aussi, où l'on voit un Rocard tenter de démontrer que, un an après son échec électoral, le Parti Socialiste pourrait de nouveau attirer les électeurs. Le PCF de son côté tente de mettre sur rails une nouvelle version de l'Union de la gauche, tandis que Tapie se lance dans la course en se disant que ce qui a réussi en Italie au patron du club de football de Milan, Berlusconi, peut bien réussir à celui de l'OM en France. Et l'on en passe.
Tout ce monde-là a bien du mal à donner à ses querelles et à ses ambitions les couleurs d'un quelconque "débat" politique, tant sur le fond tous n'ont qu'une seule et même politique fondamentale ; même quand ils font semblant d'être en désaccord, par exemple sur l'Europe. Même le PCF qui n'a à offrir aux travailleurs que la perspective d'avoir à remettre cela avec Rocard, pour refaire la politique que les socialistes ont faite pendant onze ans.
D'abord ce n'est pas l'avenir de l'Europe qui est en jeu, même dans ces élections européennes, pour la bonne raison qu'il ne se décidera rien au Parlement de Strasbourg. Ensuite on nous ment quand on nous dit que c'est de l'Europe telle que la conçoivent les hommes politiques de la bourgeoisie que pourrait sortir la solution au fléau du chômage et de la crise, tout comme quand on nous dit, au contraire, que le marché européen serait responsable de tout.
L'Europe, qu'elle fasse un pas vers l'unification ou qu'elle continue comme depuis quarante ans à faire du surplace, ne va rien changer par elle-même au sort des travailleurs, ni en mal ni en bien. Les vraies frontières ne passent pas aux limites de l'hexagone, elles passent entre bourgeois et travailleurs, entre riches et pauvres, entre favorisés et défavorisés, entre ceux qui n'ont que leur travail pour vivre et ceux qui ne savent vivre que du travail des autres.
Elle est là, la seule raison du processus qui a fait, en vingt ans, plus de trois millions de chômeurs en France et une vingtaine de millions à l'échelle européenne. Le système capitaliste est basé sur la recherche du profit individuel. Qu'importe aux financiers le chômage s'il permet à leurs capitaux de rapporter plus, si l'on peut gagner plus et risquer moins à racheter des entreprises, à en licencier une partie du personnel, qu'à investir et créer des emplois !
Tous les patrons savent cela, d'un Tapie dont la carrière est celle d'un licencieur à un Calvet, PDG de Peugeot qui a le culot de se présenter comme un créateur d'emplois dans le Nord parce qu'il vient, à coups de subventions d'État, d'ouvrir une usine automobile commune avec Fiat, avec deux ou trois fois moins d'emplois qu'il n'en supprime ailleurs !
Quant à tous ces politiciens qui se lancent dans de faux débats sur l'Europe ou sur les moyens de lutter contre le chômage, ils ont en réalité tous mené la même politique depuis vingt ans. Sous prétexte de faire face à la concurrence, ils ont multiplié les aides au patronat, aidé celui-ci à baisser les salaires, à imposer la flexibilité des horaires, la précarité des emplois, les licenciements, avec cette explication imbécile qui voudrait que supprimer des emplois aujourd'hui serait le meilleur moyen de faciliter les embauches plus tard.
Cela fait vingt ans qu'ils tiennent ce discours et, pire, qu'ils l'appliquent, qu'ils soient de droite ou de gauche, et que ce soit en France ou dans n'importe quel pays d'Europe… ou d'ailleurs !
Oui, on comprend pourquoi tous ces gens-là ont tant de mal à paraître différents ! Mais le fait est que dans ces élections européennes, on va nous demander de voter pour les mêmes pantins qui, tous sans exception, représentent ce système qui envoie des millions de travailleurs au chômage pendant qu'on diminue le pouvoir d'achat des autres.
Alors, si à Lutte Ouvrière nous présentons une liste, c'est bien pour que quelqu'un au moins dise cela au cours de cette campagne électorale. Nous ne promettons pas aux travailleurs de changer leur sort s'ils votent pour notre liste. Tous ceux qui le leur diront ne feront que mentir, une fois de plus !
La seule chose que nous promettons, c'est de dire et de continuer à dire la vérité, comme nous l'avons toujours fait ; la vérité sur ce qui se passe et se dit à Strasbourg, ce qu'aucun des députés qu'on y a envoyés depuis quinze ans n'a fait ; et la vérité sur ce système économique et sur sa folie, responsable de millions de chômeurs et de drames innombrables.
C'est la survie même de ce système nuisible qui nous promet l'aggravation du chômage, la détérioration des conditions de vie, et qui est gros de catastrophes futures, si les travailleurs laissent faire les gens qui aujourd'hui nous dirigent.
Et dire cette simple vérité c'est, dans cette période, plus vital que jamais pour les travailleurs.
Vendredi 20 mai 1994
France 2
G. Leclerc : Pourquoi vous acharnez-vous avec 2 % d'intentions de vote ?
A. Laguiller : Je me bats tous les jours. Je ne vois pas pourquoi je ne me battrai pas pour faire triompher mes idées. Ce sont des idées minoritaires, peut-être. Mais nous voulons avec cette liste Lutte Ouvrière donner la parole aux salariés, aux licenciés, aux futurs licenciés, aux chômeurs, à toute cette classe ouvrière qui souffre depuis 20 ans qu'il y a la crise. Nous voulons faire payer les riches. Nous en avons assez que ce soit la classe ouvrière qui paie tout le temps, que ce soit avec le prétexte de l'Europe ou sans le prétexte de l'Europe.
G. Leclerc : Le courant révolutionnaire peut-il retrouver un appui en France ?
A. Laguiller : J'ai toujours de l'espoir. Même si je n'en avais pas, les jeunes nous ont montré lors de la dernière lutte qu'ils ont menée contre le CIP de Balladur que le bulletin de vote ne changeait pas grand-chose, mais que des milliers et des milliers de jeunes, décidés, descendant dans la rue, tenaces, pouvaient faire reculer le gouvernement. C'est un espoir pour l'avenir. Cela a donné de l'espoir à toute la classe ouvrière.
G. Leclerc : Vous voulez peut-être récupérer les jeunes, mais ils ne sont pas forcément pour vous !
A. Laguiller : Ce n'est pas une question de récupération. Si vous venez faire un tour à la fête de Lutte ouvrière ce week-end, vous verrez des milliers de jeunes qui s'affirment communistes et révolutionnaires.
G. Leclerc : Comment réagissez-vous à la liste de B.-H. Levy ?
A. Laguiller : Une liste suspensive, paraît-il. Ça m'amuse de voir des gens faire une liste tout en disant "on ne sait pas si on la fera", qu'on s'en serve comme moyen de chantage. On a des choses à dire ou on n'en a pas. On a beaucoup de choses à dire sur la Yougoslavie. On n'a pas attendu B.-H. Levy. J'ai fait une campagne de meetings en novembre 1993 où j'ai développé toutes nos positions. La Yougoslavie, ça me révolte. Mais ce qui me révolte surtout, c'est l'attitude des grandes puissances, que ce soit la France, l'Angleterre ou l'Allemagne, qui ont chacun soutenu leurs poulains, qui les Serbes, qui les Croates, qui les Bosniaques musulmans, et qui les ont aidés à tomber sous la coupe de militaires nationalistes, de chefs de bandes nationalistes. On ne demande pas l'avis de la population là-bas. Je n'ai pas envie de défendre un nationalisme contre un autre. Je suis pour que les peuples yougoslaves, qui ne sont pas ethniquement différents, puissent vivre ensemble, comme ils le faisaient avant cette horrible guerre.
G. Leclerc : A. Krivine ne vous suit pas cette année ?
A. Laguiller : Nous leur avons proposé. Ils ne l'ont pas souhaité. À eux de demander pourquoi. L'Europe, qu'elle soit de Mitterrand ou de Rocard, ou de Chirac-Giscard-Baudis, c'est qu'on nous ment là-dessus. On dit qu'elle va tout nous régler. D'autres nous disent que tout est la faute de l'Europe. Ils nous mentent tous ! S'il y a du chômage, c'est la faute au capitalisme. Je suis pour renverser le capitalisme, faire payer les riches. Il n'y a que ça qui peut faire cesser le chômage. Ce n'est pas la faute de l'Europe si on délocalise en Chine, si les capitalistes français préfèrent mettre leur argent qui en Allemagne, qui aux États-Unis. Cette Europe-là, ce n'est pas l'Europe des travailleurs : une Europe sans frontières, fraternelle. Il n'y a que les travailleurs qui pourront faire cette Europe, pas tous ces politiciens.
G. Leclerc : En 1995, vous serez présente ?
A. Laguiller : Bien sûr.
G. Leclerc : La fête de LO a lieu ce week-end à Presles.
A. Laguiller : Il faut un rassemblement de l'extrême-gauche révolutionnaire. C'est le seul qui existe. Avec Zouk Machine, il y aura le soleil des Antilles. Il y aura Pigalle, Anne Roumanoff, plein de débats politiques et de débats scientifiques.
G. Leclerc : Et A. Souchon ?
A. Laguiller : Il chante ailleurs, il ne peut pas être partout !
27 mai 1994
Lutte Ouvrière
Pour dire la vérité aux travailleurs
Dans moins de trois semaines, on nous demandera de déposer un bulletin dans l'urne pour choisir des députés qui iront à Strasbourg, au Parlement européen, pour y dire diable sait quoi ou y faire ce que même le diable ne sait pas. Car, entre nous, depuis quinze ans que nous votons pour envoyer des députés là-bas, qui sait ce qu'ils y font ?
D'ailleurs, quand on lit les déclarations des hommes politiques dans cette campagne électorale, on s'aperçoit que l'Europe, qu'ils soient pour ou qu'ils soient contre, est bien loin de leurs préoccupations.
Pour eux tous, cette campagne électorale et ces élections sont un galop d'essai avant l'élection présidentielle de l'année prochaine.
La droite qui est au gouvernement, UDF, RPR et consorts, est divisée sur le choix d'un candidat commun et se donne douze mois pour y réfléchir. Ce qui fait qu'aucun des grands ténors, Chirac, Giscard, Balladur, et des seconds rôles, Séguin, Pasqua, Léotard, n'a été choisi comme tête de liste commune aux Européennes.
C'est qu'un insuccès écarterait celui placé en tête de liste de toute chance d'être candidat unique de la droite à la Présidentielle. Et chacun veut être libre de tenter toutes les manœuvres, tous les compromis possibles, d'ici douze mois.
À gauche, il y a pléthore aussi. D'abord, la liste socialiste conduite, elle, par le candidat socialiste officiel à la Présidentielle, Michel Rocard, mais sacrément concurrencée par les listes Tapie, Chevènement et peut-être même Bernard-Henri Lévy.
Mais tous ces gens-là ont strictement le même programme politique. Les uns parlent de "nouvelle société", les autres de "société nouvelle", d'autres encore de "changement social". Mais de programme réel pour résoudre ne serait-ce que le problème du chômage, ils n'ont rien d'autre à offrir que ce qu'ils ont tous fait depuis vingt ans, en passant successivement au pouvoir.
Ce qui leur tient lieu de programme, ce sont ces slogans sur la société conçus par des publicitaires et ils essaient de se vendre comme des marques de lessive. Les uns lavent plus blanc, les autres plus blanc que blanc, les troisièmes lavent même à l'intérieur des nœuds.
Du temps de Coluche, c'était une plaisanterie. Aujourd'hui, c'est la triste réalité des discours politiques !
Contre le chômage, ils n'ont pas de lessive anti-redéposition. Ils soulèvent le problème, le chômage est toujours là, et leur crasse aussi !
Si je conduis une liste Lutte Ouvrière dans ces élections européennes, ce n'est pas pour être mieux placée pour la Présidentielle, vous vous en doutez bien.
Ce n'est pas non plus pour vous dire : "Si vous élisez nos candidats, nous changerons le sort des travailleurs, une fois au parlement de Strasbourg". Non ! Tous ceux qui vous disent cela, de près ou de loin, sont des menteurs.
Nous voulons dénoncer ces élections, dénoncer tous ces gens qui prétendent résoudre le chômage en ménageant les intérêts de la bourgeoisie et du patronat. Nous vous disons : "Ce ne sont pas les élections qui changeront le sort des travailleurs, c'est la lutte".
Les voix qui pourront se porter sur notre liste permettront seulement de compter ceux qui ne croient plus aux élections et qui pensent que les partis de gauche et les syndicats ont trop renoncé à la lutte commune, tous ensemble, et qu'il est temps que cela change !
Plus ces voix seront nombreuses, plus cela fera d'effet. N'en doutons pas, cela serait ressenti comme une menace pour le patronat.
Et tout ce que vous promettent nos candidats s'ils sont élus, c'est de vous dire quotidiennement la vérité sur tout ce qui se passe, ce qui se dit et ce qui se trame à Strasbourg contre les travailleurs.
Jeudi 19 mai 1994
RTL
J.-M. Lefebvre : Lutte Ouvrière présente une liste européenne que vous allez mener comme en 1989. Pourquoi cette démarche ?
A. Laguiller : Il est important que les travailleurs puissent faire un geste politique en votant pour notre liste. Elle est composée uniquement de salariés, de travailleuses, de travailleurs qui sont des militants révolutionnaires qui veulent changer cette société. C'est la seule chose que l'on puisse dire dans les élections, c'est qu'on veut la changer. Maintenant ce n'est pas sur le bulletin de vote qu'il faut compter.
J.-M. Lefebvre : C'est plutôt un vote contestataire qu'un vote pro-européen ?
A. Laguiller : Je me sens européenne en ce sens que je me sens citoyenne de l'Europe, comme je me sens citoyenne du monde. Mais je crois que l'Europe des F. Mitterrand, des M. Rocard, des V. Giscard d'Estaing, J. Chirac, Baudis, c'est simplement une tentative des trois plus grandes puissances d'Europe, l'Angleterre, la France et l'Allemagne, de dominer les petits pays européens.
J.-M. Lefebvre : Que pensez-vous de la liste de B.-H. Levy ?
A. Laguiller : Je pense qu'il fait de la démagogie. Il a des idées réactionnaires parce qu'il choisit un nationalisme contre les autres. Nous, la situation de l'ex-Yougoslavie, ça nous peine parce qu'il y avait un pays, une république comme la Bosnie, où il y avait des gens qui n'étaient pas d'ethnies différentes, qui étaient des Croates, des Serbes, des Musulmans, qui vivaient ensemble, qui avaient des liens familiaux. La classe ouvrière était composée de ces trois peuples qui s'entendaient entre eux. Ce sont les chefs nationalistes qui veulent chacun leur petit bout de territoire. Mais tous ont le droit de vivre ensemble et je ne comprends pas qu'on puisse choisir un des chefs nationalistes contre les autres.