Texte intégral
Le moment de doter l'agriculture d'une nouvelle politique nationale vient enfin.
Dans un environnement international mis partiellement en ordre après les accords laborieux sur la PAC et le Gatt, Il faut rendre aux exploitants français des perspectives claires. Tel est le but du débat parlementaire d'orientation agricole qui aura lieu les 18 et 19 mai.
Le retour des agriculteurs vers l'espoir est soumis à deux conditions. La première exige que des objectifs précis soient fixés pour la production, l'occupation de l'espace et les structures d'exploitation. Cette condition est nécessaire mais pas suffisante. Il reste en effet la question primordiale – sine qua non – des moyens.
Les agriculteurs et le monde rural ne peuvent en effet se contenter « d'orientations ». Il attendent que soient mis en œuvre des moyens importants inscrits dans des mesures concrètes.
Ces mesures doivent être adoptées d'urgence. Mais si elles peuvent être appliquées à partir de 1994, elles ne donneront évidemment leur plein effet que dans les années suivantes, c'est-à-dire à partir de cette année 1995 qui donnera à la France un nouveau président de la République et un nouveau gouvernement. Il n'est donc pas illégitime – bien au contraire – de s'interroger sur le type de dispositif ministériel qui, à cette échéance, s'avérera le mieux adapté à la nouvelle politique nationale de l'agriculture.
Mutations et déséquilibres
Trois arguments militent pour la création en 1995 d'un grand ministère de l'Alimentation et des Entreprises agricoles et alimentaires :
il est nécessaire d'anticiper et d'intégrer les tendances et les mutations profondes qui vont se poursuivre ;
– il est indispensable de marquer fortement la notion stratégique de filière, du producteur de matières premières jusqu'au consommateur final ;
– il est utile d'assurer la cohérence de la nouvelle politique agricole et de toutes ses implications sur l'industrie et la distribution, en termes d'organisation.
Ce changement gouvernemental doit correspondre à celui de la France agricole qui a accompli des progrès fantastiques au cours des dernières décennies, qu'il s'agisse de productivité, de capacités de production et d'exploitation, de diversification et d'innovation.
Or c'est en raison même de l'ampleur des mutations que des déséquilibres bien mal régulés ont asphyxié le monde rural.
Les gains de productivité n'ont pratiquement été transférés qu'aux consommateurs, cela à l'intérieur d'un « cercle vicieux » partant d'une « guerre des prix », provoquant un écrasement des marges, se répercutant de façon négative sur la rentabilité des producteurs, faisant courir des risques graves en matière de délocalisation et de valeur ajoutée, jouant donc contre l'emploi et, finalement, la consommation.
Chaîne alimentaire
Il est vital de revenir à un « cercle vertueux » à partir de la chaîne alimentaire unissant producteurs agricoles, transformateurs, distributeurs et consommateurs.
Actuellement, l'un des handicaps du ministère de l'Agriculture est de voir une multitude de ses préoccupations prises en compte et en charge par d'autres ministères (Aménagement du territoire, Industrie, Commerce, Santé, Économie, Environnement).
Cette situation est source d'affaiblissement, d'atomisation, voire d'incompatibilité entre des politiques qui deviennent antagonistes, alors qu'elles doivent être complémentaires.
C'est pourquoi il convient de donner au ministère chargé des activités relatives à l'Agriculture une cohérence lui permettant d'exercer ses compétences d'un bout à l'autre de la chaîne alimentaire, y compris en matière de concurrence et de répression des fraudes pour tout ce qui concerne la distribution agroalimentaire.
Politique globale
Une première reconnaissance de la validité de ce raisonnement a été apportée par la réunion sous une même autorité ministérielle des deux secteurs alimentaires que constituent l'agriculture et la pêche.
Jean Puech a montré avec talent et succès la légitimité de la démarche. Il serait d'ailleurs tout à fait qualifié, au vu du travail effectué, pour conduire l'évolution profonde de cette responsabilité ministérielle.
L'enjeu qui est ainsi clairement posé est celui d'une politique globale de l'alimentation, intégrant sous une autorité unique toutes les étapes dans le cheminement du producteur au consommateur, y compris la transformation et la distribution.
« En ce sens la création d'un ministère de l'Alimentation et des Entreprises agricoles et alimentaires » irait au-delà d'une simple évolution mais constituerait bel et bien une véritable révolution.