Article de M. Michel Giraud, ministre du travail de l'emploi et de la formation professionnelle, dans "Le Monde" le 17 octobre 1994, sur les grands objectifs et mesures de la loi quinquennale sur l'emploi et la vision humaniste de M. Giraud sur le travail, intitulé "Combat pour l'homme".

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Michel Giraud - Ministre du travail de l'emploi et de la formation professionnelle

Média : Le Monde

Texte intégral

Le bouleversement des données du travail dans la France contemporaine suscite de multiples et légitimes interrogations. Au-delà de la froide rigueur des chiffres, celles qui sont exprimées sur les valeurs humaines liées à l'exercice d'un travail me semblent capitales. Ce sont elles qui m'ont inspiré dans le choix des grandes options de la loi quinquennale votée en décembre 1993. Conçue dès son origine comme une véritable loi de société, elle est guidée et soutenue par une vision humaniste du travail. C'est, en effet, à une conception renouvelée du travail et de l'emploi qu'elle invite ; ne s'agit-il pas de les rendre à nouveau plus accessibles, notamment à ceux qui en ont été écartés au nom d'un productivisme trop exclusif ? 

Trop longtemps, on a feint d'ignorer que le droit au travail est, parmi les droits de l'homme, l'un des plus fondamentaux. Alors même qu'il était menacé par l'utilisation croissante des machines et par l'irruption de concurrents économiques à la main d'œuvre aussi abondante que bon marché, le droit naturel de l'individu à l'activité professionnelle a été dénié aux moins qualifiés des Français. Qui pouvait oublier, pourtant, que le travail est la condition première de la dignité de l'homme vivant en société ? 

L'homme ne travaille pas que pour lui seul, ou ceux dont il a la charge. C'est à l'édification jamais achevée de la société qu'il œuvre jour après jour. Quand on prive un homme de son emploi, le sentiment d'être devenu inutile à la société, celui d'être rejeté de l'action commune, s'ajoutent, dès lors, aux problèmes matériels éprouvés tous les jours. 

La conception que j'ai de l'État lui donne le devoir de défendre les valeurs éthiques et humanistes sur lesquelles repose notre République. Il lui revient de veiller à ce que la société conserve à chaque Français sa place de citoyen et sa dignité d'homme, sans se laisser dominer par les seules valeurs marchandes. 

Dès son entrée en fonction, le Premier ministre a voulu restaurer cet aspect de l'idéal républicain en inaugurant une démarche dynamique destinée à rendre à l'homme sa position centrale. Fruit d'une réflexion globale où l'idée que je me fais de l'homme et de ses valeurs a pris une grande part, la loi quinquennale fixe deux objectifs : d'une part lever des obstacles structurels à l'emploi, d'autre part, mettre en place des dispositifs de retour à l'emploi pour les Français sans travail. 

L'une des mesures les plus importantes de la loi consiste à réduire le coût du travail, notamment en l'allégeant progressivement des charges sociales qui pèsent sur les bas salaires. En transférant au budget de l'État les cotisations patronales d'allocations familiales, nous offrons aux entreprises la possibilité d'embaucher de nouveaux salariés à un coût moins dissuasif. Il s'agit là d'un effort sans précédent 

Il fallait, parallèlement, proposer des alternatives au licenciement pour les entreprises confrontées aux aléas du marché et de la conjoncture. Le temps réduit indemnisé de longue durée, la modulation du temps de travail, le développement des préretraites progressives, entre autres, leur permettent désormais de s'adapter, sans licencier, à des rythmes de production devenus plus aléatoires et, par conséquent, de conserver davantage de salariés à leur poste. Chacun reconnaîtra que ces dispositions offrent, en outre, aux salariés le choix d'un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale. 

En un temps où la seule force de l'homme ne suffit plus à lui assurer un travail, où l'activité professionnelle revêt des formes de plus en plus sophistiquées, l'accès à l'emploi s'accompagne d'un devoir de compétence. Chaque homme pourra d'autant mieux faire valoir son aspiration à exercer un travail qu'il acceptera, les responsabilités de formation et d'aptitude qui y sont liées. 

Notre responsabilité était, dès lors, d'engager une vaste politique en faveur de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Là aussi, la loi quinquennale a innové en confiant progressivement aux régions la réalisation d'un plan régional de formation en partenariat avec les branches professionnelles. Demain, nous irons plus loin encore. Le projet de loi relatif à la formation professionnelle en alternance qui sera prochainement présenté au Parlement permettra de définir, enfin, clairement l'organisation, en France, de la filière de formation en alternance et de mettre en place les conditions de son développement. 

Le projet de loi de finances pour 1995 renforce de manière très significative notre effort. Avec une hausse supérieure à 11 % des crédits en faveur de l'emploi et de la lutte contre l'exclusion, le gouvernement se donne les moyens de financer un nombre accru de contrats de retour à l'emploi, de contrats d'apprentissage ou de qualification, et de contrats emploi solidarité. Les récentes dispositions prises en faveur des bénéficiaires du RMI, qui ont, avant tout, besoin d'être remis en situation de travail, pourront être concrétisées. 

Les moyens que nous mettons en œuvre ne sont pas des mesures d'assistance, mais d'activation, d'incitation, de motivation. Ils visent à faire bouger les choses en profondeur pour mieux répondre aux besoins de tous et aux exigences de la solidarité nationale. Toutefois, on ne change pas en un jour les mentalités, les archaïsmes, qui paraissent autant d'obstacles sur la voie du progrès. C'est une affaire de temps, de concertation, de ténacité qui conduit à conjuguer les volontés de tous.