Interviews de M. Alain Deleu, président de la CFTC, à RTL le 5 juillet et le 23 août 1994, sur la baisse des charges sociales, l'idée d'une TVA sociale et sur les priorités de la CFTC pour l'emploi des jeunes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Rencontre à Matignon entre le Premier ministre et les syndicats le 5 juillet 1994.

Média : RTL

Texte intégral

RTL : mardi 5 juillet 1994

J.-M. Lefebvre : Comment s'est passée cette discussion ?

A. Deleu : Nous sommes venus avec le souhait essentiel de l'emploi et celui des jeunes notamment. Les jeunes, après les vacances, vont chercher un boulot, mais ne vont pas trouver malheureusement ; un sur quatre est chômeur aujourd'hui. Ce que nous voulons, puisque la reprise s'annonce, c'est qu'elle serve l'emploi et nous avons dit au Premier ministre que ce n'est pas maintenant qu'il faut casser la croissance en cassant la consommation. Nous avons insisté pour qu'il n'y ait pas de mesures qui soient prises, qui puissent freiner la reprise la consommation ou de la croissance.

J.-M. Lefebvre : Vous avez dit non à l'idée de TVA sociale à E. Balladur ?

A. Deleu : Il partage avec nous l'enjeu de l'emploi et l'idée que la décision concernant la gestion des déficits publics et sociaux doit se faire en ayant l'objectif de l'emploi. Donc je crois que cette nécessité de ne pas casser la consommation lui apparaît aussi importante qu'à nous, mais il ne m'a pas chargé de vous dire sa réponse sur le sujet. C'est facile de lancer une idée sur la TVA, mais il est moins facile d'en déblayer toute les conséquences techniques.

J.-M. Lefebvre : Pour V. Giscard d'Estaing, cette TVA peut baisser les charges sociales des entreprises, pour d'autres cela peut être une forme de CSG bis ?

A. Deleu : Pour les salariés, il vaut encore mieux la CSG que la TVA, puisque la TVA est sur la consommation. Je crois qu'entre ces différentes solutions, la voie, c'est de mieux gérer. Il ne s'agit pas d'alléger les charges des entreprises, mais de voir comment on redistribue en mieux ces charges pour qu'elles pèsent moins sur les salaires mais que l'entreprise contribue toujours au financement des régimes sociaux. Il ne s'agit pas de transférer ce financement vers l'impôt.

J.-M. Lefebvre : Est-ce que cela ne va pas relancer le débat sur « l'autre politique » ?

A. Deleu : L'autre politique, elle est d'abord dans l'entreprise, il faut bien se rendre compte qu'il ne faut pas tout attendre de l'État, il a en charge un budget dont on sait la fragilité aujourd'hui, il faut demander à l'État qu'il s'occupe de ses tâches et je pense en particulier au sommet du G7 où l'État doit jouer son rôle pour relancer l'activité économique et pour qu'elle se fasse pour le social et non pas contre le social. Je crois que c'est dans l'entreprise que ça se joue, on doit négocier chaque gain de productivité, de parts de marché, de telle façon qu'elle serve l'emploi et non pas le profit.

J.-M. Lefebvre : Que pensez-vous des affaires de ces dernières heures et des rapports entre les industriels et la justice ?

A. Deleu : Ce qui me frappe, c'est qu'on touche à une grande société française qui est un fleuron de l'économie française, ce qui est très délicat. Je dirai que ce qui caractérise le patronat en France, c'est qu'il est un peu de droit divin, il décide tout seul et ce n'est pas le cas partout dans le monde. Je crois que notre projet CFTC de réforme de l'entreprise, où les charges sont mieux réparties, peut être un moyen de protéger l'homme pour qu'il ne soit pas seul devant la justice.


RTL : mardi 23 août 1994

J.-M. Lefebvre : Priorités de N. Sarkozy : baisse des charges sociales, réduction des déficits, et réduction de l'impôt sur le revenu pour les particuliers si on le peut. Que pensez-vous de cette hiérarchie ? 

A. Deleu : C'est dommage que l'on mette en avant la baisse des charges des entreprises qui n'a pas un effet sur l'emploi aussi net qu'on peut l'espérer.

J.-M. Lefebvre : Les cadeaux ont été sans contreparties ?

A. Deleu : Comment voulez-vous que l'on engage les patrons à embaucher s'ils n'en ont pas le besoin, ainsi que le dialogue social pour y parvenir. On sacrifie à une mode qui est piégeante. Comme si les charges sociales n'avaient pas un volet « produits », c'est-à-dire une résultat social. Ce sont des produits, un résultat, une action sociale. En conséquence, l'on ne peut pas faire la politique familiale que l'on voudrait faire. La loi famille a été une loi tronquée avec des promesses pour l'an 2000. Si l'on avait voulu faire l'effort de la relance de la consommation par rapport à un vrai besoin – le besoin familial on n'aurait pas amputé ces charges.

J.-M. Lefebvre : Vous regrettez que l'allocation de rentrée scolaire ne soit pas proportionnelle ? 

A. Deleu : Chacun des pères et mères de famille qui font leurs courses pour la rentrée ne savent peut être pas qu'ils doivent cette majoration à monsieur E. Balladur, bien entendu, mais surtout à l'action de la CFTC. C'est une bonne mesure. Elle est soumise aux ressources. Cela montre le danger qu'il y aurait à multiplier les prestations familiales sous conditions de ressources. Toutes les familles ont droit à un minimum d'aide de solidarité à l'égard de leurs enfants.

J.-M. Lefebvre : Les priorités pour FO et la CGT ce sont les salaires, pour la CFDT c'est l'emploi : où vous situez-vous ?

A. Deleu : L'emploi ! On parlera aussi de salaires et de formation dans les entreprises. Ce qui est important c'est qu'il y ait une croissance qui repart. Il y a du grain à moudre. Et pour nous, c'est dans l'entreprise qu'il faut voir comment le disponible est au service de l'emploi, notamment l'emploi des jeunes. Une société qui ne peut pas offrir un emploi à ses jeunes est très mal partie.

J.-M. Lefebvre : La formation ?

A. Deleu : La formation et l'effort d'insertion professionnelle d'embauche ; de vrais emplois pour que les jeunes puissent trouver leur place dans la société.

J.-M. Lefebvre : FO envisage une grande mobilisation à la fin de l'année sur la sécurité sociale. Vous seriez prêt à y participer ? 

A. Deleu : L'affaire du CIP nous a refroidi ! On est parti ensemble pour le SMIC-Jeunes, et au bout du compte le projet a été retiré. Deux mois après, FO et d'autres organisations syndicales ont signé un accord paritaire qui rétablit le SMIC-Jeunes en deçà de ce qui avait été refusé auprès du gouvernement. S'il faut agir ensemble pour des raisons circonstancielles tactique, image, organisation est-ce que c'est sérieux ?

J.-M. Lefebvre : Nous sommes à huit mois des présidentielles : vous pensez que nous allons avoir un grand débat sur le social et l'économie ? 

A. Deleu : Sous l'apparence des clivages politiques on reste dans le même concept mécanique, j'allais dire matérialiste, technocratique, de l'approche des problèmes. C'est les hommes qui font la différence, pas la technique. Je voudrais qu'il y ait entre le débat néo-libéral et celui portant sur une société de solidarité et de responsabilité, une place pour les hommes qui veulent s'engager en ce sens. C'est comme cela que l'on peut construire un projet politique et de société. Ce qui manque c'est le projet de société.

J.-M. Lefebvre : E. Balladur aurait l'intention de repousser après les présidentielles la privatisation de Renault ? 

A. Deleu : Les Français possèdent Renault. C'est une belle entreprise qui marche et qui gagne de l'argent, qui a une belle place sur le marché européen et mondial. Quand vous possédez une bonne action dans une entreprise vous la vendez au bon moment.