Interviews de M. François Périgot, président du CNPF, à France 2 et Europe 1 le 17 juin 1994, sur les mesures à prendre pour relancer la consommation, sur le climat social et la construction européenne.

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Média : France 2 - Europe 1

Texte intégral

G. Leclerc : Nous sommes en direct du 37e Festival de l'audiovisuel de la communication d'entreprise. Où en est-on du redémarrage économique ? L'INSEE a annoncé hier, pour le premier trimestre, une croissance de 0,5 %, mais avec une consommation qui est toujours plus stable. Est-ce vraiment la reprise, et quand pourra-t-on ressentir enfin les effets de l'emploi ?

F. Périgot : C'est vraiment la reprise, et vous le voyez ici au Festival de l'audiovisuel, cette année, l'activité est plus importante que l'an dernier. Mais je dirais que c'est une reprise d'anticipation, c'est-à-dire que tout se met en place pour la reprise, mais il faudrait bien que la consommation vienne relayer ce qui se met en place. Et toute la croissance que l'on veut aujourd'hui, c'est une croissance d'investissement, c'est une croissance de regard des gens qui regarnissent les stocks des entreprises, c'est une réactivité économique. Mais il faut maintenant que les dépenses des consommateurs viennent en appui de cette croissance.

G. Leclerc : Comment réveiller cette consommation, est-ce qu'on peut imaginer des mesures que l'on pourrait prendre ? Et en matière d'emploi, le gouvernement vous avait proposé une sorte de donnant-donnant, il était prêt à alléger les charges, si vous prenez des engagements en faveur de l'emploi. À première vue, vous n'êtes pas d'accord ?

F. Périgot : Je ne crois pas qu'il faut dire ça, mais pour répondre à votre première question, ce qu'on peut faire, on l'a vu dans des mesures du type de l'automobile qui ont relancé la consommation de l'automobile.

G. Leclerc : Il en faudrait d'autres ?

F. Périgot : Des mesures de ce genre, certainement, dans des secteurs clef comme le bâtiment, comme l'immobilier, comme les travaux publics. C'est sûr que ce sont des mesures qui relancent l'activité économique et la consommation. Mais pour revenir à votre question, je crois que vous ne donnez pas la bonne réponse. Quand le gouvernement nous a demandé de faire des efforts – non pas en échange ; le gouvernement connaît l'économie et le gouvernement sait qu'il faut baisser les charges pour que les entreprises redeviennent compétitives, et qu'il faut que la consommation reparte pour que nous ayons du chiffre d'affaires à faire – nous avons néanmoins, devant les efforts faits par la nation pour alléger les charges des entreprises, renvoyé l'ascenseur. Nous sommes en train d'embaucher 200 000 jeunes à travers la formation professionnelle d'apprentissage et la qualification. Je crois que cette campagne "Cap sur l'avenir", que nous avons démarrée en septembre de l'année dernière, est en train de donner des résultats surprenants. Les chefs d'entreprise ont montré qu'ils étaient tout à fait conscients de rendre ce qu'on leur donnait. Cela dit, nous sommes effectivement en train de "négocier" avec le gouvernement, nous avons fait des propositions de manière à favorisent une baisse générale de certaines prestations. Mais il est important que cette baisse soit générale, il ne faut pas qu'elle soit limitée simplement au SMIC. Parce que si l'on veut que chaque entreprise fasse un effort, par exemple dans le domaine de la formation professionnelle, mais peut-être sous une autre forme que ce que nous avons fait jusqu'à présent. Il faut que chaque entreprise soit concernée, c'est-à-dire qu'il faut que la prochaine baisse des charges sociales se fasse sur l'ensemble des salaires et non pas simplement sur les salaires au SMIC.

G. Leclerc : Si l'on en croit un récent sondage fait par la Sofres pour Liaisons Sociales, il y aurait, semble-t-il, une certaine dégradation du climat social ; les salariés sont de plus en plus inquiets sur leur salaire, sur leur emploi, sur leur perspective de carrière alors que, dans le même temps, ils estiment que la situation des entreprises s'améliore. Est-ce que ce n'est pas dangereux ?

F. Périgot : Je crois qu'il y a une ambiguïté sur le terme "climat social". Quand vous parlez de la dégradation du climat social, vous voyez tout de suite des grèves, des arrêts de travail, etc. C'est vrai qu'il y a des grèves, aujourd'hui, en France, mais enfin on ne peut pas dire que le climat social soit détérioré. Ce qu'il y a, c'est une certaine morosité chez les citoyens français, quels qu'ils soient, même chez ceux qui ont la chance d'avoir du travail. Parce qu'effectivement, quand on a un travail, on aimerait qu'il soit plus intéressant, qu'il soit mieux payé, que ça aille plus vite. Malheureusement, aujourd'hui, la récession ne nous le permet pas, alors prenons acte que les entreprises tiennent compte de cela dans les rapports entre les individus. On peut donner davantage de responsabilités, on peut former les gens, on peut leur donner de l'espoir pour leur carrière professionnelle. Mais ne demandez pas aux entreprises non seulement d'essayer de trouver de l'emploi quand il n'y a pas de croissance et de rendre encore plus heureux ceux qui travaillent déjà.

G. Leclerc : Peut-être un mot sur les élections européennes : on sait que le patronat ne prend, en général, pas position en matière d'élection, mais là, tout de même, vous avez été toujours très partisan de la construction européenne, vous vous êtes prononcé en faveur de l'Union européenne. Est-ce que vous n'êtes pas inquiet par la montée d'un certain courant contre l'Europe, contre Maastricht ?

F. Périgot : Vous savez, Maastricht nous a montré qu'il y avait une incompréhension sur ce qu'est vraiment l'intégration européenne de la part de très nombreux citoyens. Le jour où les citoyens comprendront que si l'on veut faire une Communauté européenne, il faut accepter de prendre, de recevoir, et de donner. C'est ça toute l'histoire de l'Europe ! Alors sommes-nous prêts à donner un peu, pour avoir beaucoup en nous mettant tous ensemble pour retrouver la compétitivité des entreprises européennes, pour protéger notre niveau élevé de train de vie, de protection sociale, d'éducation ? C'est toute la question. Que les Français réfléchissent et je crois que quand ils réfléchiront, au fond, eh bien à ce moment-là, ils seront tous d'accord.

G. Leclerc : Vous venez d'être élu président du groupe qui fédère l'ensemble des patronats européens, quel objectif vous vous assignez ? Et, en ce qui concerne votre successeur, qui sera désigné bientôt pour le patronat français, est-ce qu'il y a un profil type, un profil idéal ?

F. Périgot : Première question, l'objectif que je m'assigne est très clair : le président du patronat européen est celui de tous les patronats européens, de tous les patronats de tous les pays d'Europe. Ma mission est claire, faire en sorte que la construction européenne rende les entreprises européennes compétitives. L'Europe perd du terrain depuis vingt ans et ça personne ne le sait, personne ne le dit, pas à cause de la construction européenne mais quand vous prenez chaque pays séparément, donc que la globalisation soit un facteur de compétitivité. Vous le voyez à Biarritz, ici, l'innovation, la créativité, c'est comme ça qu'on s'en sortira : 1) compétitivité, 2) mon successeur sera ce qu'il sera, il sera celui que mes pairs choisiront. Et je crois que c'est à eux de déterminer ce dont ils ont besoin, ce n'est pas à moi qui pars après huit ans.

G. Leclerc : On a vu, ces derniers temps, beaucoup de juges d'instruction s'intéresser aux chefs d'entreprise, les mettre en cause, parfois les mettre en examen, voire les incarcérer comme D. Pineau-Valencienne. Qu'est-ce que vous en pensez, est-ce que c'est normal, ou est-ce que ça vous inquiète quelque part ?

F. Périgot : Moi, je pense que nous devons tous comprendre que nous sommes rentrés dans une ambiance complètement nouvelle. Nous sommes dans une économie où les entreprises font appel à l'épargne des particuliers et, par conséquent, il faut que leurs droits soient défendus. Je regrette ce qui est arrivé à D. Pineau-Valencienne, et notamment la brutalité du procédé mais par contre, je ne peux pas du tout m'insurger sur le fait qu'avant, la justice s'intéressait surtout aux accidents du travail ; aujourd'hui, elle s'intéresse aux droits de protection de ceux qui ont prêté leur argent aux entreprises. Et quand les Français comprendront que les entreprises travaillent avec l'argent des autres, moi je trouve tout à fait naturel que la justice s'en préoccupe. D'une certaine façon, ça normalisera beaucoup de choses et ça nous apprendra à être des entreprises capitalistes car il ne faut pas avoir peur, nous utilisons votre capital, celui de tous les citoyens, pour valoriser leur épargne. Par conséquent, nous avons des devoirs vis-à-vis d'eux et il n'est pas du tout anormal que la justice se préoccupe de la façon dont nous exerçons ces responsabilités vis-à-vis de nos actionnaires.

 

Vendredi 17 juin 1994
Europe 1

O. de Rincquesen : Il faut abaisser les taux pour relancer le crédit et nourrir la relance ?

F. Périgot : Ce n'est pas un problème simple. Il faut certainement baisser les taux, il faut dégager le plus possible d'épargne pour qu'elle s'investisse dans des consommations qui relanceront l'activité économique du pays mais il ne peut pas faire n'importe quoi. Dans le domaine de la construction du logement. Il est très difficile de généraliser. Il s'agit là d'une mesure ponctuelle mais il ne faut pas que cette mesure entraîne un ralentissement d'une activité essentielle par la reprise économique de la France.

O. de Rincquesen : La reprise ne se montre pas parce qu'il n'y a pas de vraie relance de la consommation ?

F. Périgot : Il ne faut pas faire un constat complaisant. C'est vrai que, pour l'instant, tous les éléments de la reprise économique que nous voyons sont des éléments qui s'ajoutent les uns aux autres et qui anticipent la reprise de la consommation. C'est la reconstitution des stocks, l'investissement, l'exportation. Il serait souhaitable que la consommation vienne prendre le relais. Il serait souhaitable aussi que l'on soutienne temporairement, pour aider à passer le cap, l'activité des entreprises en stimulant la trésorerie des entreprises, le crédit aux PME, l'investissement et, surtout, l'aide à l'exportation. Il ne faudra pas retomber dans l'erreur de vouloir accélérer le retour de la consommation par de l'inflation.

O. de Rincquesen : L'état n'a-t-il pas moins d'égards pour les PME-PMI que pour les grandes entreprises, quand il discute avec vous c'est toujours donnant-donnant.

F. Périgot : Ne revenons sur ce problème du donnant-donnant. Les entreprises françaises sont les championnes du monde des prélèvements obligatoires, si on les baisse c'est pour leur permettre de travailler et ce n'est pas pour leur demander de rendre en échange quelque chose. Nous sommes en train de recruter 200 000 jeunes. C'est un chiffre qui a l'air de se réaliser par le biais de l'apprentissage et de la qualification. Ces jeunes resteront dans les entreprises. Nous avons fait des propositions au gouvernement pour, s'il va plus loin dans les baisses des charges, selon un système dont nous discuterons avec lui, voir si on ne peut pas encore faire un effort. Je n'y suis pas opposé. Ce contre quoi je m'insurge, c'est qu'on croit que l'emploi cela se décrète.

O. de Rincquesen : À l'approche des présidentielles, peut-on tenir des recettes fiscales et baisser les charges des entreprises ?

F. Périgot : Cela dépend de ce que l'on veut. Si l'on veut afficher une reprise économique avec une réamorce de l'embauche qui soit fondée sur une reprise économique, il faut prendre les moyens pour.