Texte intégral
Christian Pierret, ancien député-maire de Saint-Dié, vice-président de Accor
Inventer une sociale-démocratie à la française
« François Mitterrand a fait franchir à grands pas des étapes qui étaient absolument décisives. Il a permis de moderniser le pays. L'entreprise a trouvé droit de cité grâce aux socialistes. Cette démarche entrepreneuriale a été conciliée avec une vision sociale. L'œuvre mitterrandienne pour la France s'avère être un succès. Il y aura dans quelques années un mythe mitterrandien comme il y a eu un mythe napoléonien. Sur le plan de la France, il a réussi mais il n'a pas eu le même succès avec le PS.
« La stratégie d'union de la gauche a été affaiblie par l'ébranlement du bloc soviétique. Elle l'a été aussi par l'impatience de la base socialiste devant la lenteur des réformes sociales. À mon avis, elle a été surtout considérablement affaiblie par le ratage de la première partie du second septennat. Au lieu de s'attaquer à des réformes de grande ampleur Michel Rocard a fait du surplace.
« Sa perspective personnelle d'être présidentiable et donc de ne pas faire de vagues et de durer, a contribué à effacer la puissance de l'idée de réformes. On a beaucoup discouru, avancé beaucoup d'idées mais peu concrétisé. Notre volonté réformatrice s'est assoupie. Au fond, le second septennat porte tout entier le poids extrêmement négatif de l'erreur stratégique de Mitterrand d'avoir nommé Michel Rocard, Premier ministre.
« La “greffe Delors” étant la seule solution pour revivifier le dynamisme de l'aide sociale-démocrate, elle va naturellement prendre. Il est impossible que nous ne saisissions pas cette chance. Après l'écrasement total du PS en 1993, nous serions plus qu'irresponsables, nous serions nuls. Cela n'a rien à voir avec la victoire de la “deuxième gauche” qui est morte avec l'effacement de Michel Rocard.
« Jacques Delors ne réussira que s'il sait ne pas s'enfermer dans l'une de ces deux branches de l'alternative : gauche traditionnelle ou deuxième gauche. Elles ont fait toutes les deux leur temps. Je me réclame sans ambiguïté de François Mitterrand, mais je pense qu'il faut dépasser ce que l'on a connu au cours de ces 15 dernières années. Il n'y a de gauche qui puisse réapparaître dans le champ politique de manière crédible pour exercer le pouvoir que si – et seulement si – elle assume sa révolution interne. Nous avons à inventer la sociale-démocratie à la française. Ce ne sera pas plus la deuxième gauche que la gauche traditionnelle. »
Jean Poperen, ancien ministre, maire PS de Meyzieu
Maintenir un PS mitterrandiste
« François Mitterrand a réalisé un grand effort d'adaptation de l'économie. Il a avancé sur les deux fronts des nationalisations et de l'adaptation des entreprises. Mais, il a marqué avec ses gouvernements une certaine hésitation à faire prévaloir ce que j'appelle le contrat social. C'est là que cela a achoppé : le fait que nous ayons dû prendre des mesures de forte contrainte économique, sans les fameuses contreparties sociales. Les gens se sont éloignés de nous. De même, il a fait progresser, ce qui n'est pas négligeable, de façon déterminante l'Europe mais là aussi on a pas fait avancer l'Europe sociale. C'est très périlleux pour nous, on s'en est aperçu avec Maastricht, notre électorat nous le reproche.
« Cette insuffisance tenait à la propre approche de François Mitterrand lui-même. On ne peut pas dire c'est la faute de tel ou tel gouvernement, cela tient à la conception qu'il avait des choses.
« Il n'était pas prêt à aller jusqu'à une stratégie de confrontation. Il n'a pas clairement compris les exigences stratégiques de sa politique sociale et notamment la nécessité d'une véritable mobilisation des forces du salariat pour imposer le contraire social.
« Le rapport des forces au sein de la gauche a changé. Il est clair que le PC ne représente plus ce qu'il a été à une époque. Par conséquent nous avons à nous interroger pour savoir comment rassembler l'ensemble de la gauche, compte tenu de l'affaiblissement de nos partenaires. D'où le problème qui nous est posé par l'affirmation d'un parti radical nouveau. Est-ce que ce sera durable ? Les prochains mois et années le diront. Comme l'a laissé entendre François Mitterrand, c'est notre boulot de maintenant. Ce n'est pas à lui de le faire.
« À l'évidence je n'appartiens pas à la deuxième gauche ! Je crois que Jacques Delors s'inscrit plutôt comme cela bien qu'il n'en ait pas été comme Michel Rocard, un chef de file. Il l'a revendiqué ; cela va être à lui de s'en expliquer. Il y a une diversité évidente dans le parti socialiste. On ne peut pas prétendre tout effacer. Chaque fois que l'on a essayé, on s'est cassé les dents. Cela a été mortel. Ce qui s'est passé au congrès de Liévin prouve que le partage entre la première et la deuxième gauche a un sens. Je préfère que le PS reste mitterrandiste. C'est important, la vision des choses, la stratégie … même si lui ne jouera plus un rôle décisif. »