Texte intégral
L'Express : Quel sentiment vous a inspiré le congrès de Liévin ?
Bernard Tapie : Que le président avait toujours autant de génie. À Liévin, il n'y avait vraiment rien pour faire un grand événement, et tout pour provoquer des dissensions. Le PS a un candidat potentiel qui n'a que des divergences avec son parti et tient sur lui des analyses que peu de personnes à droite osent avoir. Le président a été traîné dans la boue pendant les trois derniers mois par 80 % de ces mêmes socialistes. Aujourd'hui, ils lui font un triomphe. Unanimité de vues et de pensées, on est tous, de nouveau, camarades ! On chante « L'Internationale » et tout va bien ! Il n'y a qu'un homme capable de faire un truc pareil. Dommage qu'il n'ait pas dix ans de moins.
L'Express : Que dit Delors sur le PS ?
Bernard Tapie : Il en dit du mal. Au mieux, il dit que ce sera dur de gérer avec eux…
L'Express : Et vos relations avec Delors ?
Bernard Tapie : Eh bien, il n'y en a pas du tout. Il y a des contacts informels avec Jean-François Hory et Jean-Michel Baylet.
L'Express : S'il est candidat, serait-il de votre devoir » de vous présenter, pour satisfaire vos électeurs ?
Bernard Tapie : C'est l'opinion de Jean-François Hory. Jamais, sous la Ve République, un parti représentant peu ou prou 10 % n'a été absent au premier tour.
L'Express : Hory vous a convaincu ?
Bernard Tapie : Si j'ai l'impression que la seule manière de ne pas trahir ceux qui ont voté pour nous envers et contre tout ce qu'on leur a dit ; si, par rapport à ceux-là, j'ai le sentiment que ce serait une désertion de ne pas y aller, pour préserver mon confort personnel ou pour me mettre à l'abri de futures critiques, alors là, j'irai, c'est sûr. Même si les socialistes me critiquent. Ils m'ont déjà accusé d'avoir fait perdre Michel Rocard. Tous le disent. Aujourd'hui, ils devraient me féliciter. Je les ai débarrassés d'un candidat qui était perdant à coup sûr. Ils devraient dire : bravo, Tapie ! tu nous as éliminé le candidat qui nous emmenait dans le mur. Je sais bien qu'on m'accusera d'avoir déstabilisé Delors, s'il perd. Qui sait, d'ailleurs, comment il se comportera dans une campagne présidentielle ? Il ne lui suffira pas d'apparaître à France 2 le soir pour dire : voilà ce que je vais faire. Attention, une présidentielle avec, en face, Pasqua, Chirac, etc., cela va être dur. Mais peut-être ce sera, pour lui, l'occasion de se révéler un grand homme d'État.
L'Express : Une raison pour ne pas vous lancer ?
Bernard Tapie : Non, jamais. Que ce soit clair : faire gagner ou perdre Delors, ce ne sera jamais ce qui me décidera. Je ne me déterminerai pas par rapport à sa victoire ou à sa défaite. Je n'ai de comptes à rendre qu'à nos électeurs. Je ne suis pas obligé d'avaler des boas. Cela démontre, entre parenthèses, que je ne suis pas instrumentalisé, comme on dit, par Mitterrand. L'Élysée a très envie que Delors gagne et estime plus prudent que je n'y aille pas.
L'Express : En vous présentant, vous auriez le sentiment de rouler pour la gauche ?
Bernard Tapie : Moi, j'ai des comptes à rendre à 2,5 millions de personnes et à mes amis de Radical. Ils veulent que je défende leurs intérêts. Ils savent que si je ne le fais pas, personne ne le fera à ma place. Ce n'est pas seulement parce que j'ai une grande gueule, mais parce que je n'abandonne jamais mes objectifs. Si la défense de leurs intérêts est assurée, cela suffira à mon bonheur. Si ce n'est pas le cas, je m'en chargerai. Je le ferai jusqu'au bout. Je ne me dégonflerai pas.
L'Express : Vous gouverneriez avec Delors ?
Bernard Tapie : Non, je ne veux pas gêner Delors avec cette hypothèse. Je pense ne pas être en état, aujourd'hui, avec toutes ces casseroles qui retentissent. Ce n'est pas pour devenir ministre que je soutiendrai Delors. C'est qu'il aura pris en compte nos priorités : les jeunes, la laïcité, l'Europe, la citoyenneté, etc. Hory, non plus, n'est pas intéressé par une tâche gouvernementale. Il restera président de Radical.
L'Express : Qu'est-ce qui pourrait vous empêcher d'être candidat ?
Bernard Tapie : Le déferlement de la haine. Il y a une telle volonté de me fracasser que c'est invivable ! Pas un jour ne passe sans qu'on me mette une savonnette quelque part.
L'Express : Qui met ces savonnettes ?
Bernard Tapie : Tous ceux qui estiment de leur intérêt qu'il m'arrive des désagréments.
L'Express : Le gouvernement ?
Bernard Tapie : Qu'est-ce qui se passe quand le procureur général demande qu'on saisisse ACT, alors qu'ACT n'a comme seul passif que celui créé pour le maintien du gage rendu obligatoire par le Crédit lyonnais ?
L'Express : Un bon score à la présidentielle vous renforcerait face à la justice ?
Bernard Tapie : Quand j'ai fait 12 % aux européennes, ils se sont déchaînés davantage.
L'Express : Votre calendrier électoral peut-il être bousculé par les procédures judiciaires ? Risquez-vous l'inéligibilité ?
Bernard Tapie : Les risques sont minimes. Il n'y a pas en France une sanction qui ne soit pas susceptible d'appel. J'imagine mal qu'il n'existe pas de possibilité de recours qui m'empêche d'aller à la présidentielle.
L'Express : Et le dernier épisode Bernès ?
Bernard Tapie : Il fallait bien que cela revive un peu. On a réussi à faire vivre cette histoire quatorze mois. Cela paraît bien dérisoire. Bernès joue son jeu. Cela ne me concerne pas.
L'Express : Ce rebondissement vous arrange ?
Bernard Tapie : Je ne suis pas une nature à gagner du temps. Je suis plutôt du genre à vouloir savoir même le pire, mais sans perdre de temps.
L'Express : Vous craignez le verdict du tribunal de commerce, le 25 novembre ?
Bernard Tapie : On n'aura jamais vu, depuis que la Ve République existe, les médias se faire autant l'écho d'une probabilité d'empêcher le suffrage universel de remplir son œuvre, en éliminant par des voies artificielles un candidat.
L'Express : C'est une manœuvre politique ?
Bernard Tapie : Dans cette histoire, il est clair que la priorité du Crédit lyonnais n'est pas de récupérer son argent, mais de m'humilier et de me détruire.
L'Express : Et Nicolas Sarkozy ?
Bernard Tapie : Sarkozy est plus correct. Il a évalué avec moi la situation, notamment pour l'OM, en cherchant seulement à récupérer son argent. Sur les 72 millions de francs que devait l'OM, il en a déjà récupéré plus de la moitié en moins de six mois.
L'Express : Un ancien ministre est en prison ; deux autres ont démissionné. Par rapport ces affaires-là, comment appréciez-vous votre situation ?
Bernard Tapie : Elle vous apparaît étonnante simplement parce que l'impact médiatique ne correspond pas à la gravité des faits. Plein de gens se demandent pourquoi Carignon est au trou et pas Tapie. Si vous mettez à plat ce qui m'est reproché et ce qui lui est reproché, vous trouverez l'explication.
L'Express : Que pensez-vous de cette dégradation du climat, dont vous êtes l'un des facteurs ? Tout a commencé avec le feuilleton Tapie…
Bernard Tapie : Il y a un décalage énorme entre les attentes des gens et les moyens de les satisfaire. Paradoxalement, la morale en politique n'est pas leur principale préoccupation. Ils sont davantage sensibles aux résultats concrets d'un gouvernement. Or vous donnez l'impression que, pour le destin des Français, il faut surtout des types honnêtes. C'est cynique, ce que je vous dis, mais c'est la vérité : le délit de connerie devrait être aussi sévèrement sanctionné que celui de malhonnêteté. Il faut être beaucoup plus dur avec les gens nuls, et notamment avec les ministres qui gaspillent inutilement des milliards par incompétence. Je suis plus inquiet de voir Alain Minc organiser l'avenir de la France que de confier les clefs de la Banque de France à Gérard Longuet.
L'Express : Si vous faisiez un rêve ?
Bernard Tapie : Qu'on me traite comme les autres. Pas plus mal, pas mieux non plus.
L'Express : Et un cauchemar ?
Bernard Tapie : Que les médiocres associés pour me démolir depuis la finale gagnée à Munich parviennent à leurs fins. C'est-à-dire empêcher le suffrage universel de s'exprimer.