Texte intégral
Commémoration
Ce 11 novembre, la France a rendez-vous avec son histoire, avec les morts de toutes les guerres qui ont, de leur sang, dessiné le visage de notre pays et assuré son destin de grande nation, indépendante et libre.
Ce 11 novembre, c'est le rendez-vous recueilli des Français avec l'immense famille de ceux qui ont perdu pour la France l'un des leurs. C'est le rendez-vous des Français avec tous les vétérans qui gardent dans leur cour et portent dans leur chair à jamais blessée, mutilée, les marques de ces terribles luttes passées. Ce 11 novembre, la nation a aussi rendez-vous avec elle-même, avec cette unité qui lui vient des profondeurs de l'histoire et que conforte la réflexion sur le passé et ses enseignements. Ce 11 novembre 1994, nous renouvelons plus particulièrement notre hommage à tous les soldats de l'Empire qui ont payé un lourd tribut pour que nos armes triomphent de la première guerre mondiale comme de la seconde.
En 1914-1918, ils se battaient avec nous sur tous les fronts, forçant l'admiration par leur courage et leur bravoure au feu. Clémenceau déclarera à ce propos que les mots sont bien « petits à côté d'eux, de leur courage, de leur noblesse ».
Cinquantenaire de la Libération
Au cours de la seconde guerre mondiale, les combattants d'Afrique ont illustré la volonté du général de Gaulle de faire entrer notre pays dans la guerre, d'être les artisans de sa Libération : avec le ralliement du Gabon, puis de l'AEF en octobre 1940, la bataille de Tunisie à la fin de 1942, l'Italie avec la 1ère Division française libre, le débarquement de Provence, Belfort, le Rhin atteint le 20 novembre 1944 par le Régiment d'infanterie coloniale du Maroc, puis ce sera la poursuite de l'ennemi au cœur même de l'Allemagne, jusqu'à la victoire.
Nous devons manifester notre reconnaissance à ces soldats courageux qui ont pris part aux combats de la France et dont les pays sont par la suite devenus indépendants. Des liens étroits, liens de l'histoire, liens de fraternité par le sang versé nous unissent profondément.
À l'occasion du cinquantième anniversaire de la libération de notre pays, le gouvernement a tenu à célébrer avec éclat les événements marquants d'un passé qui nous est proche.
Guerre 1914-1918
Mais si nous sommes, ce soir, réunis en une assemblée fraternelle, c'est bien sûr parce que notre pensée se porte, en ce quatre-vingtième anniversaire de la victoire de la Marne, vers les combattants héroïques de la grande guerre, vers ceux qui ont forcé le destin à un des moments les plus tragiques de notre histoire.
Qui aurait imaginé à l'été 14, alors que nous étions partis pour une « guerre fraîche et joyeuse », que nous allions essuyer en quelques semaines autant de revers sanglants à nos frontières, au point que Paris puisse se trouver menacé par la progression des troupes allemandes.
« Il faut l'avouer », a écrit Joffre dans ses Mémoires « l'emploi que les Allemands ont fait en août 1914 de leur corps d'armée de réserve a été une surprise pour nous ». Et les conséquences en furent terribles. En quelques semaines, notre armée subit d'immenses pertes, une véritable hécatombe, près du sixième des pertes humaines de la grande guerre.
Au vu d'une telle situation, qui pouvait imaginer, le 6 septembre 1914, que près d'un million de soldats français et leurs alliés britanniques, combattants vaincus des meurtrières batailles des frontières, harassés par une retraite épuisante, allaient soudain faire volte-face et reprendre l'offensive, à la stupéfaction d'un adversaire qui s'imaginait déjà victorieux.
Ordre du jour du 6 septembre 1914 : « Au moment où s'engage une bataille dont dépend le salut du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n'est plus de regarder en arrière. Tous les efforts doivent être employés à attaquer et refouler l'ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra coûte que coûte garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée ». Le général commandant en chef Joffre.
Victoire de la Marne
Le cadre de la bataille de la Marne est désormais fixé. Le sort de la première guerre mondiale est scellé. Il nous faut rendre hommage à Gallieni, le héros de Bazeilles et des « dernières cartouches » dont l'énergie indomptable fait merveille. Gouverneur de Paris, conscient du danger qui se profile aux portes de la capitale, il n'hésite pas à lancer ses troupes dans une opération offensive à cinquante kilomètres de la place qu'il était chargé de défendre. C'est à ce moment que se situe l'épisode fameux des taxis de la Marne.
Il nous faut aussi rendre hommage au maréchal Joffre pour avoir su retourner une situation qui semblait bien compromise, fait montre de ce sens tactique, de ce calme et de cette lucidité qui sont l'apanage des grands chefs de guerre.
« Que des hommes ayant reculé pendant dix jours, que des hommes couchés par terre et à demi-morts de fatigue puissent reprendre le fusil et attaquer au son du clairon, c'est une possibilité dont il n'a jamais été question dans nos écoles de guerre », s'exclame Von Kluck qui, après les premières semaines d'offensives, croyait la victoire assurée.
Le « miracle de la Marne », cette victoire acquise au prix de sept jours de combats acharnés qui vont s'étendre sur plus de deux cents kilomètres, brisant la ruée allemande, aura sauvé la France de l'invasion. C'est une autre forme de guerre qui va se poursuivre et se développer, longue et éprouvante, guerre de position, guerre d'usure, guerre de tranchées, guerre des mines.
Quand, enfin, l'Armistice est signé, le 11 novembre 1918, le président de la République Raymond Poincaré déclare :
« En ces heures de joie et de fierté nationale, ma pensée se reporte successivement vers les héros qui, dans l'enthousiasme du départ, sont tombés sur les champs de batailles de Namur et de Charleroi, vers ceux qui, sur les rives de la Marne, ont victorieusement arrêté et refoulé l'invasion, vers ceux qui, dans les lentes et dures journées de la guerre de tranchées, ont montré une si confiante opiniâtreté, vers les intrépides défenseurs de Verdun, vers les soldats de l'Yser, de la Somme, de l'Aisne, de la Champagne, des Vosges, vers ceux qui ont donné leur vie à la patrie ; vers ceux que leurs blessures ont rendus invalides, vers tous ceux qui, aujourd'hui encore sous les armes, sont maintenant récompensés de leurs infatigables efforts et de leur bravoure indomptée… Rien n'est perdu de ce qu'a accompli leur courage, rien n'a été stérile du dévouement qu'ils ont mis au service du pays. La gloire de la France est faite de leur ardeur prolongée, de leur abnégation, de leurs souffrances et de leur sang. »
Aujourd'hui, 11 novembre 1994, c'est un hommage renouvelé que nous rendons à nos grands anciens de 14-18, mais aussi aux vétérans de toutes les guerres. Nous leur devons notre liberté, notre honneur et notre fierté.
Nourrir la mémoire des périodes cruciales de notre histoire est un devoir qui s'impose afin d'épargner aux jeunes générations d'avoir à revivre les drames passés. Les leçons des événements que nous commémorons en ce jour, de ceux qui suivirent, guerres, conflits, crises de toutes sortes, montrent que la paix et la liberté, jamais définitivement acquises, doivent demeurer l'objet d'efforts incessante, toujours renouvelés.
Conflits
Après l'effondrement du bloc soviétique, nous vivons une période de recomposition. Des besoins d'identité, d'indépendance qui avaient été longtemps réprimés s'expriment, parfois violemment. Nous voyons surgir d'inquiétants conflits ethniques ou religieux, des nationalismes exacerbés, des idéologies extrémistes portant en elles les germes de nouvelles violences, de nouveaux débordements.
Pacte de stabilité
Pour sa part, la France prépare l'avenir en poursuivant deux objectifs prévenir les conflits, garantir sa sécurité en toute circonstance. C'est pourquoi le Premier ministre, Monsieur Édouard Balladur, a souhaité voir se réunir une conférence internationale ayant pour objet de stabiliser la situation de l'Europe, d'y instituer un équilibre.
Il est en effet impératif d'intervenir avant même la naissance des conflits armés, en sorte que la diplomatie puisse donner sa pleine mesure et prendre le pas sur l'action militaire ; telle est l'ambition du pacte de stabilité proposé par la France et que l'Union européenne a fait sienne, afin de prévenir les conflits issus des problèmes de frontières et de minorités. C'est une tâche immense, à la mesure de notre ambition, qui consiste à construire une société exemplaire pour le monde entier.
Nous avons des devoirs et nous les assumerons parce que nous sommes comptables de notre histoire, légataires de tous nos camarades de combat morts pour que la France ait le visage que nous lui connaissons. La grandeur de l'homme est de savoir toujours repartir, reconstruire. Il n'est pas question de s'enfermer dans les ruines ou dans les cimetières ; mais de tirer les leçons des expériences douloureuses du passé pour mieux préparer la vie des générations futures.
Comme le déclarait le général de Gaulle : « Entre Français de bonne volonté, ce n'est point l'heure des doutes ni des querelles. Pour atteindre le but, c'est sur nous-mêmes, Français, qu'il nous faut d'abord et essentiellement compter. Qu'est-ce à dire, sinon que nous avons besoin de compter les uns sur les autres ? »
Ces paroles gardent toute leur actualité, mesdames et messieurs, en ce jour anniversaire. Pour accorder notre destin à notre histoire, c'est bien sur nous-mêmes qu'il nous faut d'abord compter !