Texte intégral
L'abstention, hélas…
Pour les élections du 12 juin, nous avons choisi de nous abstenir. Sans hésitation mais avec regret. Non par dépit, mais faute de choix affectif. Notre abstention, par vote blanc ou nul, est à nos yeux la seule façon de sanctionner l'attitude évasive de la classe politique quant aux enjeux européens, l'ambiguïté de ses comportements, ses calculs dérisoires. En d'autres termes, nous nous abstenons parce que les principaux partis politiques s'abstiennent de tout engagements sur l'Europe, nous ne répondons pas à leur appel parce qu'ils ont choisi de ne pas prendre leurs responsabilités.
Écartons les slogans, et mettons à part les interventions solides – par exemple celle d'Élisabeth Guigou face à Philippe de Villiers le 22 mai – qui ponctuent la campagne électorale et augmentent nos regrets : il est manifeste que les principales têtes de liste s'ingénient à écarter tout débat sur l'état de l'Union européenne, toute prise de position sur les questions classiques mais décisives de l'élargissement et de l'approfondissement, toute réflexion sur le projet de Confédération européenne qui permet ou permettrait d'envisager l'avenir de notre continent. Pas de débat, non plus, sur les orientations de la politique économique, sociale et monétaire à l'échelon européen…
Raisons
Cette abstention des deux principales listes confirme l'absence de projet européen d'envergure dans la majorité comme dans l'opposition. Elle souligne surtout la véritable préoccupation de la majorité et de l'opposition qui est évidemment de compter leurs forces respectives un an avant l'élection présidentielle. Calcul pour le moins douteux, dont nous ne tirerons pour notre part aucune conclusion puisque les enjeux symboliques et les conséquences pratiques sont fondamentalement différents d'une consultation à l'autre. Mais l'incertitude quant à l'objet du vote, et l'exploitation politicienne qui en sera nécessairement faite, constituent deux raisons supplémentaires de s'abstenir.
Ne sachant pas pourquoi nous sommes appelés à voter le 12 juin, nous voyons très clairement à qui profiteraient nos suffrages. Selon la détestable habitude qu'elles ont prise depuis dix ans, les principales formations politiques se servent des élections européennes pour caser leurs apparatchiks méritants et les naufragés du suffrage universel. Si, du moins, ces importants personnages faisaient leurs devoirs d'élus à l'Assemblée de Strasbourg … Mais nul n'ignore que les Français brillent à quelques exceptions près par leur absentéisme et nuisent à la réputation de la France quand ils ne négligent la défense de ses intérêts. Nous ne voterons pas pour que les dirigeants des grands partis puissent cumuler titres et indemnités, et pour assurer un revenu à des gens qui ne rempliront pas leur mission.
La configuration des principales listes justifie ce reproche, dont il faut cependant exonérer plusieurs personnalités. Si la liste socialiste était dirigée par Élisabeth Guigou, SI Catherine Lalumière avait pris la tête d'un rassemblement de centre gauche, si Helen Carrère d'Encausse ou Bernard Stasi animeraient la liste de la majorité, nous aurions l'embarras du choix car il y aurait eu un véritable débat sur l'Europe, animé par des responsables politiques à la fois compétents et passionnés. Nous souhaitons qu'ils soient tous élus, mais leur présence sur telle ou telle liste ne peut pas effacer nos préventions quant à l'ensemble des colistiers.
Refus
Quelques mois suffiront à préciser nos refus, qui ne varient pas mais se renforcent dans certains cas. Non, cent fois non à Michel Rocard, qui n'a jamais rien compris à la politique étrangère, mais qui cette fois a renié la politique de la France dans l'ancienne Yougoslavie et qui s'est personnellement déshonoré en cédant au diktat de belles âmes qui veulent étendre une guerre qu'ils ne font pas au nom d'une compassion qu'ils ne pratiquent pas. Non, cent fois non à Bernard Tapie, qui a déconsidéré le métier d'entrepreneur avant de représenter, grâce aux complaisances élyséennes, la négation même du souci politique. Non à Dominique Baudis, qui a l'extrême prudence d'édulcorer de pâles convictions en abjurant le fédéralisme européen de sa jeunesse. Non, évidemment, à la xénophobie nationale populiste de Jean-Marie Le Pen et à la variante mondaine que représente Philippe de Villiers. Et puis, réflexion faite, c'est trop tard pour Jean-Pierre Chevènement qui va payer son sectarisme et dix années d'hésitations, et c'est trop tôt pour Robert Hue qui n'a pas encore dit ce qu'il voulait faire du Parti communiste.
Nous nous abstenons parce que cette campagne électorale est celle de la faiblesse des engagements, de l'inconsistance des projets, de l'extrême médiocrité des calculs et des choix opérés par les états-majors politiques. De démissions en compromissions, d'échecs en corruption, nous assistons à l'effondrement de la classe dirigeante du pays. Ce n'est pas une bonne nouvelle. Mais lui refuser tout suffrage dans une élection sans grande portée nationale constituera un ultime avertissement. Que ces messieurs de droite et de gauche prennent garde : ils vivent leurs derniers beaux jours avant la révolution.