Interview de M. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR, sur France 2 le 4 octobre 1998, sur l'élection de M. Christian Poncelet à la présidence du Sénat, la stratégie électorale de la droite pour les prochaines élections présidentielles et pour les européennes de 1999 et la crise financière internationale.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Michèle Cotta : Bonjour. Mariage au rabais ou union sociale modernisée ? Atteinte à la famille ou au contraire constitution d’une nouvelle cellule sociale ? Le pacte civil de solidarité, le PACS comme on l’appelle, sera donc discuté à l’Assemblée nationale cette semaine. Un texte qui accentue les oppositions entre une France et une autre, mais pas nécessairement entre la gauche et la droite. Nous en reparlons dans quelques instants avec tous nos invités. Mais pour l’instant, le premier invité de la semaine, c’est Nicolas Sarkozy, le secrétaire général du RPR, auquel nous avons beaucoup de questions à poser avec Sylvie Pierre-Brossolette. Alors première question : René Monory, éliminé de la présidence du Sénat par un gaulliste de toujours. C’est la première fois que les gaullistes s’emparent de cette noble assemblée. Alors vous, comme secrétaire général du RPR, vous avez soutenu Monsieur Poncelet ? On a l’impression d’un flou, sinon d’une hypocrisie.

Nicolas Sarkozy : Ah bon ? Vous l’avez vu comme ça ? Mais franchement ce qui serait hypocrite, c’est de dire que je suis secrétaire général du RPR, que je ne me réjouis pas que pour la première fois un gaulliste soit président de la haute Assemblée et que Christian Poncelet, qui est un ami, soit ce président. Je ne vois pas au nom de quoi, je devrais, alors que mon rôle, mon travail, ma responsabilité, c’est plutôt de faire en sorte que, avec d’autres, de développer la famille gaulliste, je ne vois pas au nom de quoi je devrais me couvrir la tête de cendres.

Sylvie Pierre-Brossolette : Mais est-ce que c’est bien l’esprit de l’Alliance ? François Bayrou dit que c’est un mauvais coup porté à l’Alliance. Est-ce que vous n’avez pas un peu joué double jeu en disant officiellement que vous ne souteniez pas Christian Poncelet, mais en ne le décourageant absolument pas ?

Nicolas Sarkozy : Mais qu’est-ce qui s’est passé au Sénat ? Toute personne qui suit ces questions de près le sait bien. Les sénateurs, ils ont raison, sont très attachés à leur indépendance. Ce n’est pas du tout une affaire de parti politique, ce n’est pas une affaire d’opposition entre le RPR et l’UDF. Les sénateurs, et c’était leur droit, en conscience, ont choisi de renouveler les hommes. Ils l’ont choisi. Et à partir de ce moment-là, je ne vois pas au nom de quoi nous devrions… et politiser les choses ! Alors vous me dites : c’est « un problème pour l’Alliance ». Mais Christian Poncelet n’est-il pas un membre de l’Alliance ?

Michèle Cotta : Ça, c’est un peu… Évidemment, quand on dit…

Nicolas Sarkozy : Michèle Cotta, pardon, à moins que…

Michèle Cotta : Que le RPR a une position dominante sur l’Alliance, c’est vrai que c’est un problème pour les autres.

Nicolas Sarkozy : À moins que vous ne soyez membre fondateur de l’Alliance, je m’en féliciterais, c’est-à-dire que vous connaissiez bien les statuts, les règles de fonctionnement… il y aurait eu un accroc significatif si c’était un sénateur de gauche. En ce qui concerne les rapports de force entre les formations politiques, moi je comprends la réaction de François Bayrou, et peut-être aurais-je eu la même à sa place. Mais finalement, il convient de ne pas dramatiser tout ce qui s’est passé. Ça ne change pas les rapports de force politique. Le président du Sénat est un homme important. René Monory était un homme important. Christian Poncelet le sera. Mais le RPR ne sera pas plus dominant parce que, pour une fois, la présidence du Sénat est l’un de ses membres et l’UDF moins forte. Les choses ne se passent pas comme ça.

Sylvie Pierre-Brossolette : Mais cette concurrence, c’est vraiment l’esprit de l’Alliance. Finalement, c’est des primaires qu’il faut dans l’Alliance.

Nicolas Sarkozy : Vous savez… Non. Dans les statuts de l’Alliance, on a mis une règle très simple. On regarde chaque élection, chaque région et on essaye de trouver la meilleure solution. Prenez l’exemple de la dernière partielle de Dunkerque. C’était une grande surprise. C’est l’Alliance qui a gagné. Ce sont les socialistes qui ont été battus. Le dernier député avant le sortant socialiste, c’était un RPR, et on a élu un Démocratie libérale. Avez-vous entendu une plainte d’un membre du RPR ? Pas du tout. Nous choisissons le meilleur. En 1993, lorsque Philippe Séguin était candidat à la présidence de l’Assemblée nationale, personne d’entre nous n’a été choqué que Dominique Baudis, c’était son droit, se présente à ses côtés pour être élu. Mais qu’est-ce que c’est que cette attitude qui consisterait à dire que les élections doivent être en quelque sorte organisées avant ? Moi je crois à l’union. Ça ne change rien à la stratégie. Nous devons avoir une union forte entre nous parce que c’est ensemble que nous gagnerons. Et c’est ensemble aussi que nous devons respecter les uns comme les autres, mais il n’était pas inscrit dans le marbre qu’à tout jamais le fait d’être gaulliste rende en quelque sorte une incapacité politique à devenir président du Sénat. Ce n’est donc pas un accroc. C’est un choix des sénateurs et comme chacun d’entre nous, homme ou femme politique, nous devons accepter la règle démocratique.

Michèle Cotta : Est-ce que la victoire de Christian Poncelet est celle de Jacques Chirac sur le Sénat ?

Nicolas Sarkozy : Franchement, j’ai connu un grand journal du soir plus inspiré dans ses titres. Pourquoi…

Michèle Cotta : Vous voulez dire que c’est, citons-le, vous voulez dire que c’est « Le Monde » qui disait Jacques Chirac s’empare du Sénat. Et alors, ce n’est pas vrai ? Quand c’est le RPR…

Nicolas Sarkozy : C’était si clair que vous avez compris si spontanément. Mais bien sûr…

Michèle Cotta : Quand c’est le RPR, ce n’est pas Chirac ?

Nicolas Sarkozy : C’est une autre question que vous posez, parce qu’il y a une telle rafale de questions ?

Michèle Cotta : Oui. C’est une autre question. C’est une autre question…

Nicolas Sarkozy : Alors quelle est cette question ?

Michèle Cotta : Alors est-ce que Jacques Chirac s’est emparé du Sénat ? Est-ce que ça va changer quelque chose dans votre stratégie, celle du RPR ?

Nicolas Sarkozy : Mais c’est absurde. Mais c’est absurde. Jacques Chirac ne s’est pas mêlé de cette élection, et vous-même qui étiez fort tard à la soirée d’élection du Sénat, vous avez pu voir que c’était une décision des sénateurs. Je crois qu’on en a assez parlé. Il n’y a pas de raison de dramatiser tout cela. Mais j’attends les mêmes commentaires. S’il y avait eu René Monory réélu, je suis sûr qu’un certain nombre d’observateurs auraient trouvé tout autant à critiquer. Il est vrai que les critiques n’auraient pas été les mêmes, mais le résultat était pareil.

Michèle Cotta : Ce ne sont pas des critiques ? Ce sont des questions ? Ce ne sont pas des critiques, des questions ?

Nicolas Sarkozy : J’ai cru comprendre que votre commentaire du début n’était pas simplement une question.

Sylvie Pierre-Brossolette : Cela dit, s’il n’y a pas quand même une leçon à tirer des malheurs de René Monory, est-ce que le fait qu’il n’ait pas su se retirer à temps, et a essuyé une défaite, n’est pas une leçon pour les dirigeants de l’opposition dont beaucoup d’électeurs aimeraient bien qu’on change de tête ? Est-ce qu’il ne faut pas que vous vous renouveliez plus vite ?

Nicolas Sarkozy : Oui, enfin, moi je ne personnaliserais pas à ce point. René Monory et l’action qu’il a menée était pour beaucoup un exemple, notamment ce qu’il a fait dans sa région et dans son département. Et ce serait un peu facile de taper sur lui maintenant. Je sais bien que la défaite est cruelle. Vous savez, je n’ai pas toujours gagné. Donc j’ai l’expérience de cette question-là. Faut-il renouveler ? C’est une leçon des dernières partielles et des dernières sénatoriales. C’est vrai il y a une aspiration forte au renouvellement. C’est l’un des problèmes qui se pose à nous, comme à l’ensemble des forces politiques de ce pays, mais le renouvellement, voyez-vous, ce n’est pas seulement une question d’âge. C’est de faire venir dans la vie politique des hommes et des femmes qui ont des parcours professionnels différents que celui habituel, c’est-à-dire cabinet ministériel, énarques, fonction publique. Le renouvellement ? Oui, c’est un vrai sujet.

Michèle Cotta : Est-ce que vous pensez que le président de la République peut se sentir tenté à un moment donné d’organiser au-delà du RPR et de l’UDF une formation unique qui soit une formation présidentielle apte à le soutenir pour les élections de 2002 ?

Nicolas Sarkozy : Franchement ? Je ne crois pas que la solution d’une formation unique soit la réponse. Rappelez-vous…

Michèle Cotta : Parce qu’on ratisse plus large…

Nicolas Sarkozy : Juin 97, nous avions des candidats uniques, un programme unique, un chef unique. Il ne m’a pas semblé que c’était un grand soir et une grande victoire pour celle qui est devenue l’opposition. Donc s’il suffit de dire « on est uni » pour gagner ? Ça se saurait. Il faut autre chose. Nous avons un formidable problème d’identité et un grand nombre de nos électeurs qui nous disent « maintenant, ça suffit », que la droite redevienne la droite sans outrance et sans complexe. Et puis on a un deuxième problème qui n’est pas très simple à régler, c’est un problème de crédibilité. Est-ce que demain vous tiendrez scrupuleusement les engagements que vous avez pris ? Et nous sommes un certain nombre, très décidés, à faire en sorte que ce problème d’identité et de crédibilité soit résolu.

Sylvie Pierre-Brossolette : Vous venez de dire qu’il ne faut pas graver dans le marbre d’avance les conditions des élections. Philippe Séguin vient, lui, de déclarer que Jacques Chirac sera évidemment le seul et unique candidat des élections à la prochaine présidentielle. Est-ce que ce n’est pas un peu prématuré ? Est-ce qu’il n’y a vraiment aucune place pour aucun candidat et aucun débat sur cette question ?

Nicolas Sarkozy : Qu’est-ce qu’a voulu dire Philippe Séguin. Il a voulu dire que Jacques Chirac avait notre soutien pour aujourd’hui et pour demain sans ambiguïté. Point, c’est clair, simple et précis.

Sylvie Pierre-Brossolette : Non, il a dit seul candidat et évidemment candidat.

Nicolas Sarkozy : Très bien. Il a dit la même chose de façon différente. Et il a dit une deuxième chose, c’est que le RPR devait aller au-delà du seul soutien au président de la République. Il devait s’opposer sans complexe parce que, n’en déplaise à Monsieur Jospin, dans la démocratie, il faut une opposition qui s’oppose, qui n’ait pas peur de dire : « nous ne sommes pas socialistes et nous n’avons pas envie de le devenir », qui s’oppose à ces 35 heures – qui organisent la réduction du pouvoir d’achat des salariés –, qui s’oppose à cette bizarrerie française. Vous savez que nous sommes le seul pays au monde, il n’y a pas un pays dans le monde qui ait ça, qui ait le vrai faux fichier des vrais faux clandestins à qui on demande à se déclarer dans les préfectures. Dites-moi, dans les préfectures, il va y avoir du travail ! Maintenant on sait à quoi ça sert. Entre l’enregistrement du PACS…

Sylvie Pierre-Brossolette : Mais est-ce qu’il y a un seul pays au monde où on sait trois ans à l’avance que le président sortant se représentera ?

Nicolas Sarkozy : Il n’est pas anormal que le président de la formation gaulliste, qui a été créée en tant que RPR par le président de la République, dise que le président sortant a plutôt plus de chance que les autres d’incarner le combat de l’opposition. Non franchement, ça vous a épaté ? Ça prouve que vous avez gardé une grande fraîcheur.

Michèle Cotta : Alors, en gardant une grande fraîcheur aussi…

Nicolas Sarkozy : Ce n’est pas une critique. C’est un hommage… hommage soit rendu. Mais enfin je trouve que l’étonnant serait le contraire.

Sylvie Pierre-Brossolette : Non, mais vous venez de dire qu’il ne faut pas graver dans le marbre les élections à l’avance…

Nicolas Sarkozy : Non, j’ai essayé de répondre à l’une de vos questions qui était différente. Vous m’avez dit : « est-ce que l’Alliance, ça veut dire candidature unique à toutes les élections » ? J’ai répondu « non ». Dans les règles que nous avons fixées avec Bayrou, avec Madelin, avec Séguin et avec tous les autres qui dirigent les formations politiques, on a dit qu’il n’y avait pas de systématisme.

Michèle Cotta : Vous ne m’avez pas répondu sur la question de la formation présidentielle au-delà de ça…

Nicolas Sarkozy : Nous sommes le parti du président, à partir du moment où nous soutenons Jacques Chirac. Mais nous n’avons pas que ça comme travail. Il y a un travail formidable, c’est notamment le travail de propositions et je souhaite qu’on y rentre maintenant.

Michèle Cotta : Alors avant d’entrer dans les mêmes… à moins que ça en soit une, demain et après-demain, convention du RPR sur l’Europe. Alors qu’est-ce que vous attendez de cette convention ? Une position sur le fond, sur Amsterdam, sur l’Europe qu’il faut faire ? Ou une position plus tactique sur la conduite de la liste aux élections européennes ?

Nicolas Sarkozy : Non. D’abord il n’est pas absurde qu’une grande formation politique comme la nôtre parle de l’Europe qui est un très grand problème. Franchement, si nous n’en parlions pas, qu’est-ce qu’on dirait ? Deuxièmement, l’Europe ne s’arrête pas simplement à Amsterdam. Moi je suis pour la ratification d’Amsterdam. Mais il n’y a pas qu’Amsterdam. Et troisièmement, il y a toujours eu des sensibilités différentes dans la famille gaulliste. Nous voulons confronter ces sensibilités pour déterminer un discours et un projet commun. C’est notre rôle de faire en sorte que l’unité de la famille soit préservée. Et il nous semble que la meilleure façon de préserver cette unité, c’est de débattre.

Sylvie Pierre-Brossolette : Et vous voulez une liste unique pour ces européennes ? Que l’opposition se retrouve sur votre projet ? Est-ce que vous maintenez l’idée qu’il faut que ce soit Philippe Séguin qui dirige cette liste ? Ou est-ce que, compte tenu des dernières péripéties au Sénat, vous feriez une ouverture vers les centristes ?

Nicolas Sarkozy : Pour moi, les péripéties ne changent pas la stratégie. Alors qu’est-ce qui se passe sur l’Europe ? Moi j’observe une chose. Chaque fois que nous avons été au gouvernement ensemble, gouvernement de Jacques Chirac, gouvernement de Balladur, gouvernement de Juppé, jamais l’Europe n’a été un problème entre nous. On a fait l’acte unique. On a fait Schengen. On a fait un certain nombre de choses importantes. Je ne vois pas pourquoi ce qui nous rassemblait lorsque nous étions au gouvernement, et donc plus difficile, devrait nous diviser lorsque nous sommes dans l’opposition. Et je pense, oui, qu’un an après avoir créé l’Alliance, c’est mieux, compte tenu de cela, que nous présentions une liste commune. Alors, à partir du moment où je suis pour la liste de l’Alliance, c’est une position personnelle. Le RPR n’en a pas débattu. C’est mon avis. Je considère que le plus légitime pour conduire cette liste de l’Alliance, c’est le président de l’Alliance.

Michèle Cotta : Alors est-ce que vous allez exclure tous les candidats qui se retrouvent sur d’autres listes ? Et comment on peut exclure, par exemple, quand on est au RPR, est-ce qu’on peut exclure Charles Pasqua si jamais d’aventure il ne participait pas à votre Europe ?

Nicolas Sarkozy : Vous avez un raisonnement d’une fulgurance formidable. Vous posez la question. Vous arrivez à la conclusion et moi je dois réagir non pas à votre question, mais à la conclusion.

Michèle Cotta : Voilà, oui d’accord !

Nicolas Sarkozy : C’est ce qu’on appelle une question fermée. Moi…

Michèle Cotta : Ouvrez-là alors.

Nicolas Sarkozy : Je vais essayer. Au RPR, il n’y a pas de délit d’opinion. Et j’ai été de ceux d’ailleurs qui, dans un passé pas si lointain, ont pu s’estimer victimes de cette absence de débat. Donc je ne vois pas, attaché à ma liberté, pourquoi j’imposerais aux autres des règles que je ne voudrais pas qu’on m’impose à moi-même. Il n’y a pas de délit d’opinion. Et chacun de ceux qui nous rejoindront au RPR doit le savoir. On peut parler, discuter de tout. Et Charles Pasqua peut très bien avoir sa propre sensibilité pour l’Europe. La question qui se pose c’est : « est-ce que le RPR pourrait avoir des candidats sur plusieurs listes ? » La réponse est « non ». Et je n’observe pas pour l’instant que des décisions définitives soient prises.

Sylvie Pierre-Brossolette : Alors, treize pays sur quinze aujourd’hui ont un gouvernement socialiste depuis l’élection de Monsieur Schröder. Est-ce que ça change quelque chose à la politique européenne ? Et on notera que Monsieur Schröder, sur le perron de l’Élysée, après son déjeuner avec Jacques Chirac, expliquait que, au fond, rien ne les séparait vraiment, lui et Jacques Chirac, que Jacques Chirac était un social-démocrate modéré. Alors est-ce qu’au fond, vous êtes tous d’accord sur tout ? Ça vous a fait plaisir ça ?

Nicolas Sarkozy : Non, ça m’a fait rire parce que, dans le même temps, dans la phrase d’avant, Monsieur Schröder avait dit qu’il ne connaissait pas Chirac.

Sylvie Pierre-Brossolette : Après un déjeuner, ça a semblé progresser.

Nicolas Sarkozy : Ceci explique sans doute cela. La notion d’Europe socialiste est un contresens absolu. Est-ce que vous vous êtes intéressé au bilan de Monsieur Schröder comme ministre président de la Basse-Saxe ? C’est extrêmement intéressant. Il est resté ministre président depuis 1994. Qu’est-ce qu’il a fait ? Il a fait travailler les fonctionnaires de Basse-Saxe. Il a porté leur durée de travail de 39 à 40 heures. Au passage, Monsieur Schröder annonce, comme un membre de l’Europe socialiste a dit, dixit, que les 35 heures à la française étaient une ineptie. Mais il a fait mieux. Il a réduit de huit mille le nombre de fonctionnaires dans l’administration de Basse-Saxe et supprimé trois mille postes d’enseignants dans l’enseignement primaire. Et c’est lui qu’on nous présente comme le grand héros de l’Europe socialiste ? La vérité, c’est que Monsieur Tony Blair…

Michèle Cotta : C’est un social libéral alors, un social libéral ?

Nicolas Sarkozy : La vérité, c’est que Monsieur Tony Blair est un petit peu à ma droite, et que Monsieur Schröder est certainement un homme du centre droit. Et finalement on se retrouve avec Monsieur Jospin, je n’ai rien contre lui, mais enfin, qui fait figure d’une espèce de dinosaure, d’un socialisme complètement archaïque qui nous propose, accoudé au dernier Parti communiste qui ose encore s’appeler communiste d’Europe, une politique d’un autre âge. Donc, vraiment l’Europe socialiste n’est pas quelque chose qui nous trouble plus que cela.

Michèle Cotta : Alors si on reste dans l’Europe et aussi dans le monde, nous sommes, on connaît une crise, une crise monétaire, une crise financière. Est-ce que l’Europe peut être un rempart de sécurité contre cette crise-là ? Et pour arranger les choses, est-ce qu’il faut une nouvelle, un nouveau Bretton-Woods, comme disent les journalistes ou plus simplement une nouvelle organisation monétaire internationale ?

Nicolas Sarkozy : Première réflexion, heureusement qu’on a l’Europe et l’euro. Quand on voit que ça explose partout dans le monde aujourd’hui, on voit bien que l’Europe et l’euro sont des facteurs de stabilité. Je ne dis pas que ça résout tous les problèmes, mais imaginons un peu ce que serait notre monnaie, ce que serait notre industrie, ce que serait notre agriculture aujourd’hui sans l’Europe. Deuxième remarque, incontestablement, il faut que le FMI connaisse deux réformes, une première réforme qui est celle qui consisterait à augmenter ses moyens, parce qu’on a augmenté ses missions, et une deuxième réforme, et là je soutiens assez l’orientation qui a été définie par Strauss-Kahn, je trouve que c’est une orientation astucieuse, qui consiste à renforcer le poids politique du FMI, parce que le FMI, imposant à un certain nombre de pays des décisions très importantes, ne peut pas être dirigé uniquement par des fonctionnaires, fussent-ils un grand fonctionnaire français. Et donc la proposition qui consisterait à changer le comité intérimaire du FMI pour en faire une instance politique, c’est une proposition intéressante. Je vous rappelle que, dans le FMI, il y a cent quatre-vingt-deux pays, ce n’est pas rien, et que la direction politique est une véritable question.

Sylvie Pierre-Brossolette : Mais est-ce que cette crise va avoir des conséquences sur la France ? Est-ce qu’il faut modifier le budget et les prévisions du gouvernement ? Et quelles seraient vos propositions sur ces modifications ?

Nicolas Sarkozy : Rappelez-vous, Monsieur Strauss-Kahn…

Michèle Cotta : Et deux minutes pour tout ça.

Nicolas Sarkozy : Bien sûr. Rappelez-vous, Monsieur Strauss-Kahn, il y a six mois. Il était à peine turlupiné, c’était son expression, par la crise asiatique. La vérité, c’est comme toujours avec les socialistes, il ne faut pas lui en vouloir, leur en vouloir, c’est un réflexe pavlovien. Il faut dépenser l’argent qu’on n’a pas fait rentrer. Ils parient sur une croissance dont on voit aujourd’hui qu’elle ne sera pas pérenne, et ils décident une frénésie de dépenses publiques qui fait que demain, malheureusement, nous allons le payer cher en nombre de chômeurs, parce que nous n’aurons pas l’argent pour financer les dépenses qu’ils ont inscrites par avance dans le budget 99.

Michèle Cotta : Nicolas Sarkozy, merci.

Nicolas Sarkozy : Merci à vous.