Texte intégral
Monsieur le Secrétaire général pour l'administration,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de la fonction militaire
Il m'est particulièrement agréable de me retrouver, une fois encore, au milieu de vous, au sein d'une institution unique qui fête, aujourd'hui, son vingt-cinquième anniversaire. Vous avez été, voici deux jours, reçu par Monsieur le Premier ministre. J'ai pu constater, à cette occasion, à quel point le CSFM donnait une belle image de l'institution militaire.
Je voudrais évoquer, en premier lieu, l'action qui a été menée depuis avril 1993 par le ministère de la défense dans les domaines qui vous concernent, et le budget pour 1995 qui constitue la mise en œuvre d'orientations dont tous, ici, nous savons la nécessité. J'insisterai, ensuite, sur les chantiers qui demeurent et les perspectives qui se dessinent, pour la France et sa défense, dans les années à venir. Dans un troisième temps, j'aborderai quelques questions plus spécifiques.
1. Comme s'y était engagé le Premier ministre le Livre blanc, publié en février 1994, et la loi de programmation, votée à la quasi-unanimité au mois de juin dernier, ont donné un horizon et un cap à notre défense ; ils ont déterminé le montant des ressources devant lui être consenties, dans les six ans à venir ; ils permettent aux forces armées de s'adapter, progressivement, aux défis qui se présenteront à elles au cours des deux prochaines décennies.
C'est grâce au Livre blanc et à la loi de programmation que l'évolution des effectifs de la défense a été inscrite dans un mouvement général de décroissance maîtrisée, compatible avec les réalités sociales et ne négligeant en rien les besoins nouveaux : il s'agit là d'une novation majeure. Il y a là la volonté de mener une politique globale de la ressource humaine, portant à la fois sur les militaires professionnels, sur les appelés, sur les réservistes et sur les civils.
Voici six mois, en effet, le Parlement adoptait la loi de programmation militaire pour les années 1995-2000, à la quasi-unanimité de ses membres. Les objectifs du Livre blanc, dont vous connaissiez les grandes lignes depuis le mois de février, s'y trouvaient confirmés. Le projet de budget pour 1995 constitue la première annuité de cette loi. À ce titre, il a valeur de référence.
Le budget pour 1994 avait, il est vrai, marqué une première étape dans la voie du nécessaire redressement budgétaire – je pense, notamment, à la pause décidée dans les suppressions d'emplois militaires et à la progression du titre V. Le budget pour 1995 est, strictement, conforme aux normes financières contenues dans la programmation.
Mais il va, en fait, plus loin. Nous mettons en œuvre une politique globale du personnel, civil et militaire, de la défense, que reflète l'évolution du titre III. Vous y retrouverez les créations d'emplois qui renforcent la professionnalisation, l'encadrement et les capacités prioritaires : projection des forces, renseignement, sécurité. Vous y lirez l'amélioration des conditions de vie et de travail des militaires et des civils. Vous constaterez la pertinence des premières mesures en faveur du service militaire et des réserves.
Les personnels de la défense verront leur condition améliorée. 420 millions de francs de mesures nouvelles y pourvoiront, en progression de 7 % par rapport à 1994. Elles privilégieront la compensation des contraintes opérationnelles.
49 millions de francs sont consacrées à la valorisation du service militaire. Vous connaissez aussi les mesures arrêtées, qui doivent placez le service militaire au cœur des préoccupations des états-majors et de la Gendarmerie. J'insiste sur ce point : il est de la responsabilité de l'ensemble des cadres d'active du ministère de la défense d'intégrer, plus et mieux, le service militaire dans le quotidien du service de la République.
L'appelé est un soldat, au service de la France, de ses intérêts, de ses valeurs, à l'intérieur de nos frontières et au-delà. Il a la même dignité et la même valeur que son camarade professionnel ou réserviste. Il a, souvent, les mêmes fonctions – je pense aux Balkans –, il connaît, parfois, les mêmes risques. Je le rappelle de nouveau, l'exercice du service national est, avant tout, militaire.
Au-delà du service armé, du civisme et de l'école de l'effort qu'est le passage dans les Armées, notre devoir réside dans la formation, l'insertion, l'intégration. Ainsi, ceux des jeunes qui sont quelquefois doublement exclus feront l'objet d'une vigilance renforcée dans les centres de sélection. Ainsi, l'action des officiers-conseils sera consolidée. Ainsi, – je l'ai annoncé le 12 octobre dernier – on proposera aux jeunes appelés volontaires soit une formation de spécialité, soit – c'est une nouveauté – un nouveau volontariat « service long » pré-qualification.
La convention signée entre la défense et le ministère du Travail, le 21 novembre dernier, intègre cette dimension nouvelle de notre action – tout en maintenant le dispositif existant qui s'applique au personnel d'active.
Ces points très positifs, qui vont au-delà de la stricte mise en œuvre de la loi de programmation, ne doivent cependant pas donner à penser que le département échappe complètement à l'effort de maîtrise des finances publiques.
J'en veux pour preuve les réductions de personnels. Elles s'accompagnent, pour le personnel civil, d'un dispositif social, « formation et mobilité », sans équivalent ailleurs et auquel 270 millions seront consacrés. C'est, également, une économie de dépenses de fonctionnement de 771 millions.
Bien entendu, j'ai personnellement veillé à ce que l'activité opérationnelle des forces soit maintenue, et ce sont les services de soutien qui supporteront essentiel de l'effort : ceci aussi est une novation, que l'on ne souligne pas assez.
2. Mesdames et Messieurs, j'en viens à la deuxième partie de mon propos : je vais la consacrer à ce qui est, à la fois, un grand chantier et une perspective essentielle de notre défense.
Les ressources humaines de la défense font progressivement l'objet d'une véritable politique globale. Plus que jamais, nos armées auront besoin de tous ceux qui servent notre défense, sans distinction de statut ou de durée. Aux menaces plurielles qui entourent notre pays, la réponse ne peut être que plurielle. À une conception élargie de la défense, doit répondre une conception élargie de la ressource.
S'agissant du personnel militaire d'active, engagé ou de carrière, le Livre blanc a tracé des perspectives qu'il nous faut mettre en œuvre. Deux domaines nécessiteront une action particulière, la formation et la reconversion des carrières.
Dans le domaine de la formation, j'ai créé, il y a un an, un comité de coordination de la formation réunissant tous les responsables des structures de formation du ministère. J'ai fixé à ce comité trois axes d'efforts : la recherche de synergies entre les armées, l'ouverture et le partenariat avec l'éducation nationale, enfin l'ouverture sur les écoles militaires étrangères.
S'agissant du personnel militaire, notre priorité sera sûrement l'attention portée à la seconde carrière – lorsque les formats se réduisent et que le marché de l'emploi est ce que nous savons, nous avons le devoir d'engager des actions de reconversion. J'y reviendrai.
S'agissant du personnel civil, les expériences en cours – je pense à la région Centre notamment – pour favoriser une gestion de proximité, plus efficace et plus humaine à la fois, doivent nous apporter beaucoup. Je veux réaffirmer, devant vous, ma conviction de la nécessaire complémentarité des compétences et des expériences des civils et des militaires.
Reste le dossier, essentiel, du service national.
Le Gouvernement à travers le Livre blanc, le Parlement à travers la loi de programmation, et les Français eux-mêmes, chaque fois qu'on le leur a demandé ont fait le choix de la conscription.
Je me placerai donc, résolument, dans la perspective tracée par la loi de programmation qui prévoit que le Gouvernement présente à l'Assemblée nationale, avant le 31 décembre 1996, un rapport sur le service national. Le projet que j'ai présenté devant les commissions compétentes du Parlement, il y a quelques semaines, en constitue la première étape. Les mesures qu'il comporte sont toutes d'ordre réglementaire.
Chaque fois que possible, la condition matérielle des appelés devra être améliorée, en gardant à l'esprit que ces améliorations devront d'abord viser une plus grande égalité. Le service militaire devra conserver son caractère intégrateur et de brassage des différences.
En matière de formation et d'insertion professionnelle, il faudra veiller à ce que la défense ne se substitue pas aux organismes en charge de l'éducation, de la formation ou de l'insertion des jeunes ; elle a un rôle à jouer, mais a sa place ; sa mission première, celle à laquelle d'ailleurs les jeunes adhèrent pleinement, c'est la défense de notre pays.
Quant aux forces armées, les chantiers auxquels elles seront confrontées dans les années à venir découlent directement des exercices que j'ai évoqués : Livre blanc et loi de programmation.
De toutes les forces armées, l'Armée de Terre est probablement celle qui doit mettre en œuvre les inflexions les plus décisives entre ses capacités de la fin des années quatre-vingt et le modèle d'Armée que nous avons défini. Elle devra, en priorité, développer sa capacité de projection et porter l'effort sur le renseignement et la logistique. Armée du terrain, elle s'attachera à tirer le meilleur parti des hommes et des femmes qui la servent et en sont le facteur d'efficacité.
La Marine, après avoir quasiment achevé sa réorganisation, atteindra en 1995 un point d'équilibre dans le domaine des structures, des forces, des soutiens. C'est donc bien aussi sur la composante humaine qu'elle devra faire porter tout son effort.
L'Armée de l'Air veillera à la mise en route de ses nouvelles structures de commandement. En même temps, elle mènera à bien les mesures d'accompagnement imposées par évolution de son format.
La Gendarmerie concentrera son effort sur les zones qui ressortent de sa compétence exclusive. Il lui faudra participer à la redéfinition des règles applicables à la répartition de compétence avec la police. Pour y parvenir dans de bonnes conditions, entreront en ligne de compte l'évolution de la démographie ; le maintien de la parité, dans tous les domaines, avec la police ; une meilleure disponibilité globale, au service de missions prioritaires.
3. Je voudrais maintenant aborder quelques questions qui s'intègrent, par nature, dans le cadre de vos préoccupations.
Je crois en premier lieu qu'il convient de rappeler, avec fierté, les missions dont se sont acquittées les armées dans le domaine des opérations extérieures.
Au Cambodge, dans les Balkans, au Rwanda, dans le Golfe, elles ont su en effet répondre, dans l'urgence, au besoin immédiat de sauver des vies de populations menacées, tout en cherchant à rétablir les conditions favorables au retour de la paix et de la démocratie. Je souhaite simplement et fortement qu'inlassablement, ce message soit répété au pays, qui n'a parfois qu'une conscience éphémère des missions qui sont confiées aux armées.
L'expérience acquise au cours des dernières années m'a amené à me préoccuper du sort des militaires en opérations, de celui des blessés et de l'accompagnement de leurs familles, afin que des instances nouvelles puissent relayer les manifestations de solidarité qui naissent souvent spontanément dans le pays au profit de nos soldats.
Il m'a paru souhaitable de fédérer les initiatives existantes pour les confier à une structure unique ; j'ai donc encouragé la création d'une association, Solidarité Défense. Sa vocation sera de concrétiser, par différents moyens, la solidarité de la Nation vis-à-vis du personnel de la Défense, et tout particulièrement de ceux qui sont blessés ou servent dans des conditions difficiles en opérations extérieures, et de leurs familles bien évidemment.
Cette association, qui a tenu sa première assemblée générale le 10 novembre dernier, compte parmi ses membres fondateurs des personnalités de premier plan. Sachez cependant que j'ai souhaité que cette association puisse rester proche de la Défense, grâce à la participation, au sein de ses instances dirigeantes, de représentants des armées et de l'administration.
Solidarité Défense agira, bien évidemment, en complément des services du ministère, notamment du réseau de l'action sociale des armées, et en liaison avec eux, afin d'apporter, lorsque cela est nécessaire, une aide personnalisée. Elle travaillera avec les structures des armées, notamment la cellule d'assistance aux blessés de l'armée de terre, créée récemment. Elle pourra, également, prendre à son compte la préparation et l'organisation des envois de colis au moment des fêtes de fin d'année.
Solidarité Défense va donc constituer un maillon nouveau de la chaîne qui doit, nécessairement, relier nos soldats en opérations extérieures avec nos concitoyens.
Répondant à une préoccupation de certains de vos membres, j'ai décidé de créer une nouvelle décoration permettant de récompenser les militaires et les civils qui participent à des missions, décidées par le gouvernement, hors du territoire national. La Médaille commémorative française, tel sera son nom, permettra ainsi d'honorer ceux que le dispositif actuel de distinction ne pouvait atteindre, mais dont l'action à l'occasion de missions humanitaires, de coopération militaire ou de missions accomplies sous la bannière de l'ONU, mérite d'être reconnue.
Cette médaille, pour respecter le principe posé par la Grande Chancellerie de la Légion d'Honneur, ne pourra se cumuler avec la médaille d'outre-mer. Elle sera attribuée par le Ministre de la Défense, pour les missions effectuées depuis le 1er mars 1991, dont la liste me sera proposée par l'État-major des armées.
Je souhaiterais conclure, en revenant sur un des axes d'action souligné par le Premier ministre mardi dernier : la nécessité de réfléchir, dès maintenant, sur les actions qui doivent être engagées en matière de reconversion des militaires.
L'idée générale consiste à mettre en place un système cohérent avec la politique de gestion de chaque catégorie de personnel. L'objectif est de susciter un courant de départs de nature à assurer un avancement correct pour ceux qui sont engagés dans une carrière militaire, tout en évitant le vieillissement de l'encadrement.
Il est indispensable de maintenir un caractère libéral au système d'aide à la reconversion, en le liant à l'existence de mesures générales d'incitation et d'aides au départ, dans un double but : maintenir un flux de départ régulier, et permettre de diminuer ou résorber les sureffectifs éventuellement constatés ici ou là.
Partant de ces principes, il est possible de décliner un ensemble de mesures sur lesquelles il faut réfléchir et obtenir des moyens financiers.
Ces propositions ne valent que si une structure spécialisée est en mesure de les mettre en œuvre, de les diriger, de les contrôler, de mesurer leur impact, peut-être de les imposer.
Je verrais très bien une structure centrale, relayée au niveau de chaque armée et surtout au niveau régional : je pense que la Mission pour la Mobilité Professionnelle, dont le rôle serait étendu aux domaines de l'information et de l'organisation du système de placement, possède toute l'expérience pour mener cette mission à bien.
Toutes ces actions sont indispensables ; il faut désormais que la prévision des fins de carrière soit un élément de la gestion du personnel ; le ministère de la Défense a trop longtemps vécu sur des schémas qui étaient ceux du plein emploi.
Je crois qu'il faut prendre conscience que les circonstances ont changé, que la mobilité professionnelle est un impératif, qu'il faut aménager, au mieux des intérêts individuels, la sortie au service. En un mot, il faut s'inspirer de procédures et de modes de pensée qui ont cours en dehors des armées et de la fonction publique.
C'est très certainement une révolution des mentalités qu'il faut provoquer. Aussi bien chez le personnel lui-même que chez les gestionnaires. La Défense a maintes fois prouvé sa capacité d'innovation elle doit le faire, une nouvelle fois, pour gagner le pari de la gestion des hommes. Je vous y engage tous fermement. Je souhaite le gagner, demain, avec vous.