Texte intégral
France 2 – 12 juillet 1994
Q. : Quel est votre sentiment sur la présence des allemands de l'Eurocorps le 14 juillet ?
F. Léotard : « C'est une initiative qu'il fallait prendre ».
Q. : Qu'allez-vous ressentir quand vous verrez les allemands sur les Champs-Élysées ?
F. Léotard : « Je les ai déjà vu à Villacoublay. J'ai eu avec le ministre allemand des conversations quasi-quotidiennes. Il vient à Paris, je viens à Bonn ou à Berlin, nous parlons ensemble de la menace nouvelle qui vient de l'Est ou du Sud. Nous construisons ensemble l'Europe de demain. Je souhaite que l'on regarde l'avenir et non pas le passé de ce continent. J'ai cru comprendre qu'il y avait une sorte de notion d'ennemi héréditaire. Est-ce que la France a des ennemis héréditaires ? Ce n'est pas raisonnable ! »
Q. : D'accord pour le symbole, mais pourquoi ne pas avoir programmé cette initiative une autre année que lors du 50e anniversaire du débarquement ?
F. Léotard : « Je crois, au contraire, que ceux qui ont subi dans leur chair, dans leur famille, ce terrible drame de 40/44/45 doivent penser que leurs efforts n'ont pas été vains et qu'ils ont construits cette Europe pacifique avec ses démocraties. Ce ne sont pas les nazis que nous avons à côté de nous, aujourd'hui ! C'est une Allemagne pacifique, démocratique. C'est avec eux qu'il faut construire l'Europe pour nos enfants. L'amitié franco-allemande est la clef de la paix en Europe ».
Q. : L'armée française n'est plus la grande muette. Avez-vous fait un sondage au sein de l'armée ?
F. Léotard : « Les jeunes officiers, les jeunes appelés, travaillent aujourd'hui dans le corps européen, avec leurs amis allemands, espagnols, belges, luxembourgeois. C'est vraiment du passé. Ce n'est pas de l'oubli. Il faut que nous ayons une mémoire très intacte et très vivante. Cela veut dire simplement : si nous voulons éviter que cela recommence, il faut tendre la main à un peuple qui est un grand peuple ami, pacifique, et démocratique ».
Q. : Quand B. Clinton parle du leadership de l'Allemagne en Europe, cela ne vous choque pas ?
F. Léotard : « Je ne pense pas qu'il faille dire cela. B. Clinton raisonne un peu en faisant une comparaison avec les États-Unis et le mot « leadership » est un mot américain. Je ne raisonne pas comme cela. Je suis convaincu que l'amitié franco-allemande est l'axe de la construction européenne. Si nous continuons, si nous enrichissons cette relation, je suis convaincu que nous faisons du bon travail ».
Q. : Le calme à Kigali, l'exode sur les routes. Comment y remédier ?
F. Léotard : « Par l'opération Turquoise. Ce que nous avons fait, c'est sauver des milliers de vies humaines. Les critiques que nous avons reçues il y a quelques semaines, on y répond en disant que nous avons sauvé des dizaines de milliers de vies humaines. C'est un acquis de la France ».
Q. : Pourquoi partir ?
F. Léotard : « Nous n'avons pas une vocation à être les gendarmes du monde. C'est à l'ONU de le faire. Nous sommes allées à New-York uniquement que parce que l'ONU tardait à le faire. Maintenant, une fois que le Premier ministre est allé à New-York dire cela, nous aurons un retrait qui commencera la 31 juillet, de l'ordre de 300 soldats. Retrait auquel succédera une arrivée de soldats africains. Depuis le début de notre volonté n'est pas de substituer aux africains – nous avons été obligés de le faire - mais dès que nous pouvons nous nous retirons ».
Q. : Quoiqu'il arrive, vous vous retirerez ?
F. Léotard : « Les soldats français commencerons à se retirer avant le 31 juillet. Nous avons l'autorisation de l'ONU jusqu'au 21 août. Nous y verrons plus clair sur le plan politique. Le monde ne comprendrait pas que notre retrait s'accompagne de massacres nouveaux ou de difficultés nouvelles ».
Q. : Si c'est le cas ?
F. Léotard : « Nous aviserons, avec l'ONU bien entendu ! ».
Q. : Nous avons l'impression que l'ONU et les grandes puissances n'ont pas entendu l'appel d'E. Balladur ?
F. Léotard : « Depuis le début nous parlons dans le désert. C'est vrai ce que vous dites ! C'est un peu aussi à l'honneur de la France. La France quand elle est seule, c'est quelque fois un mauvais signe, mais quelque fois c'est elle qui montre le chemin. C'est le cas ! »
Q. : Pourquoi ces réticences ?
F. Léotard : « Il y a eu un réflexe d'impuissance, c'est-à-dire le sentiment que l'on n'y pouvait rien, qu'il fallait laisser faire ce que l'on décrivait comme étant une haine ancestrale. Mais je ne crois qu'il y ait des haines ancestrales ? Quand l'humanité, la Communauté internationale peut agir, elle doit le faire ! Il y avait aussi, pour les africains, une sorte d'impuissance militaire à laquelle la France, peut-être demain les Allemands, les Européens, nous devons essayer de remédier. Nous avons la possibilité d'aider, en termes logistiques, les africains : les avions, les fournitures de matériels. La véritable clé de cette situation, de cette crise, c'est que l'Afrique prenne elle-même en charge ses propres crises ».
Q. : Elle n'en a pas les moyens ?
F. Léotard : « Oui, mais nous pouvons les aider. Nous devons le faire. Personne ne peut penser que l'Afrique devienne un continent ravagé par le malheur, par le sida, la faim, la guerre. Ce n'est pas, non plus, notre intérêt d'européens. Ce n'est même pas, au sens moral du terme, l'intérêt de la communauté humaine. Il faut que nous arrivions à donner aux africains les moyens de gérer ce type de crise. J'ai proposé la création d'une force d'action rapide africaine à laquelle les européens pourraient apporter le matériel, la logistique nécessaires ».
Q. : Pourquoi cette intervention s'il faut partir ? Il y a une certaine forme de contradiction ont dit les critiques.
F. Léotard : « J'ai bien entendu les critiques de gens que l'on aurait bien aimé voir à nos côtés. Je leur redis, que ce soit des africains ou des européens. Ce n'est pas un reproche, mais simplement le sentiment que nous avons mal vécu ces critiques. Quel est l'intérêt de la France ? Avons-nous un seul intérêt économique dans cette région ? Aucun ! C'est une opération qui coûte de l'argent, c'est une opération dans laquelle les militaires se sont exposés, et nous avons été accablés de reproches. Il y a beaucoup d'injustices ».
Q. : Le Monde annonce : 1 million de morts !... Cela vous paraît plausible ?
F. Léotard : « Malheureusement oui ».
Q. : Et le monde de bouge pas ?
F. Léotard : « Nous savons que c'est un génocide. Est-ce que nous pouvons penser que cela ca recommencer ailleurs dans le monde, nous qui avons voulu définitivement bannir du continent européen cette idée affreuse qu'on tue des gens en fonction de leur ethnie, de leur croyance religieuse, ou de leur physique ? Il y a une part de responsabilités pour nous. Mais si demain les allemands s'associent à nous pour faire en sorte que l'on ne parle plus de génocide, jamais vous ne pensez pas que cela serait un progrès pour l'humanité ? C'est à l'honneur de la France d'avoir essayé d'aller dans cette direction ».
RMC – 13 juillet 1994
« Je n’emploie pas le mot d'étrangers vis-à-vis d'Espagnols, de Belges, de Luxembourgeois et d'Allemands : ce sont des pays européens qui sont aujourd'hui des pays démocratiques, pacifiques, très près de nous à travers l'Union européenne et pour lesquels des accords ont été conclus qui permettent à des jeunes Espagnols, Allemands, Français de se former ensemble et d'agir ensemble dans un corps européen où ils seront amenés un jour, peut-être, à combattre ensemble. Je ne vois pas pourquoi on demanderait à des jeunes garçons d'être demain sous un même uniforme ou en tout cas sous une même unité, le corps européen, avec les mêmes contraintes, qui sont très lourdes, pour combattre éventuellement demain et, en leur demandant cela, de ne pas défiler, de ne pas être honorés un jour par les uns et par les autres : le 14 juillet en France, le 21 juillet en Belgique et petit à petit dans toutes les capitales européennes. Je crois que c'est un geste fort, du même type que celui que le Général de Gaulle avait fait lorsqu'il avait amené K. Adenauer à Reims, le lieu fort de la monarchie française, ou que celui qu'avait fait F. Mitterrand lorsqu'il a pris la main du chancelier Kohl à Verdun. Je crois qu'il y a des symboles de cette nature, très forts, qui parlent au peuple, à nous tous, à chacun d'entre nous dans notre mémoire et dans notre coeur aujourd'hui. Nous voulons que les combats d'hier appartiennent définitivement au passé. Avec les allemands nous avons, comme avec les espagnols, comme avec les belges, un destin commun ».
Q. : Que répondez-vous à ceux qui n'acceptent pas que les allemands défilent le 14 juillet ?
F. Léotard : « Ce ne sont pas les Allemands d'aujourd'hui que nous avons combattu, c'étaient les nazis d'hier ; cela fait une double différence. Nous avons combattu un système politique affreux, ignoble, celui du nazisme. La première victime du nazisme a été le peuple allemand lui-même. Les premiers déportés ont été des allemands. Je suis allé me recueillir à l'endroit où les généraux allemands ont été torturés puis massacrés après l'attentat qu'ils ont essayé de commettre contre Hitler. C'est cela qu'il fallait faire : honorer la résistance allemande. La seconde remarque, c'est que je comprends très bien que l'on soit blessé dans sa mémoire et, pour certains, dans sa famille ; j'ai beaucoup de respect pour les gens qui disent cela, donc je ne fais aucune polémique à ce sujet. Je dis simplement qu'il appartient à notre génération de construire l'avenir. Moi je veux construire l'avenir des français avec les Espagnols, les Belges, les Allemands. C'est une grande démocratie, l'Allemagne d'aujourd'hui. Il faut bien tendre la main à cette démocratie d'aujourd'hui. Ne pas oublier c'est une chose, regarder vers l'avenir, je crois que c'est une autre chose et il faut que chacun essaye de faire cet effort-là ».
Il faut privatiser certains secteurs de Renault. Je suis pour une privatisation à l'anglaise, par tronçons, à condition que ce ne soit pas une privatisation à la Rocard. Il faut que l'État ait une position claire : on privatise par étape. On aurait d'ailleurs pu le faire pour l'UAP ».
Q. : Le Figaro révèle que 53 % des français pensent que l'État n'intervient pas assez dans l'économie française ?
F. Léotard : « Je pense que l'État doit intervenir dans la gestion des entreprises qui sont les siennes. Actuellement, il intervient dans le détail et pas dans les grandes options. L'affaire du Crédit Lyonnais, dont on parle plus depuis que la commission d'enquête a déposé son rapport, en (...)