Texte intégral
J.-P. Elkabbach
M. Védrine, vous êtes à New York pour un moment important, pour le Président américain, pour les États-Unis, pour la démocratie. Sentez-vous que l'Amérique est divisée aujourd’hui ?
Hubert Védrine
- « Je suis à New York, à l’ONU, donc les échos que l'on a de l'Amérique sont un peu filtrés par nos débats, qui sont très importants au sein de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité - l’Irak, le Kosovo, des questions de ce type. Mais on a bien senti, on sent l'atmosphère autour ; on voit ce qui se passe dans les médias américains, dans les télévisions américaines et on a vu cette réaction, lundi matin, très forte, d’appui, non pas à la politique américaine, naturellement, mais de soutien à l’homme, B. Clinton, qui est traqué dans sa vie privée, d'une façon qui choque beaucoup, du point de vue européen. Donc on le sent à travers cela. Mais cela n'interfère pas directement avec le travail diplomatique qui… »
J.-P. Elkabbach
Justement, aux Nations unies lundi, comme les Européens, les Chinois et les Africains, comme T. Blair ou Mandela, vous vous êtes levé pour applaudir le Président Clinton. Pourquoi ?
Hubert Védrine
- « La salle s’est levée à son entrée, ce qui montre bien d'ailleurs que c'était pas une approbation forcément aux propos tenus ou une acceptation de l'ensemble de la politique présentée - encore que nous sommes, en gros, d'accord sur ce qu'il a dit à propos de la lutte contre le terrorisme ; mais c'est une sorte de mouvement de solidarité et de sympathie, par rapport à un homme qui est traité par des procédés qui, vus d’Europe, semblent inquisitoriaux et rappeler des formes de maccarthysme. »
J.-P. Elkabbach
Est-ce que les États, qui sont ici, aux Nations unies, les diplomates avec lesquels vous parlez, vous donnent le sentiment qu’on se prépare à voir Clinton partir ?
Hubert Védrine
- « Non, ils ont quand même un regard sur ce qui ce passe. Ils mesurent les forces en présence. L'avis général est donc que, si le public américain, la grande opinion maintient son soutien au Président Clinton, quoi que les gens pensent de tel ou tel acte répréhensible, l’avis général c'est que, dans ce cas-là, il tiendra. Et l’avis général dans ce que l'on entend, c’est personne ne souhaite qu’un Président américain ne soit amené à se retirer, à la suite d'une acquisition menée sous cette forme. C'est cela l'avis général ici. Donc l'avis général est plus européen qu’américain. Quand on est à l'intérieur de la machine, de l'immeuble des Nations unies. »
J.-P. Elkabbach
Vous avez eu un long entretien, hier, avec la secrétaire d’État, Madame Allbright. Vous la connaissez bien. Est-ce que vous avez le sentiment que l'Amérique a toujours une politique étrangère et qu’elle peut-être active et crédible ?
Hubert Védrine
- « Oui, je suis en contact avec Madame Allbright plusieurs fois par semaine, on peut le dire. Et là je ne sens aucun changement, aucune diminution de son engagement. Par exemple, dans l'affaire extrêmement compliquée du processus de paix ; dans l'affaire du Kosovo ; dans l'affaire de l’Irak, et sur bien d'autres sujets. Honnêtement sur ce plan, il n'y a aucune baisse de régime qui soit perceptible. Cette réunion de New York, a permis au groupe de contact de se réunir à nouveau - nous n'avions pas pu le faire au niveau ministériel depuis quelques semaines, c'est très important -, cela nous a permis d’aboutir, en ce qui concerne le vote d'une résolution - avec l'accord donc des membres du Conseil de sécurité -, une résolution qui, pour la première fois, depuis le début de l'affaire du Kosovo, comporte la référence au chapitre 7. »
J.-P. Elkabbach
C’est-à-dire ?
Hubert Védrine
- « C'est-à-dire l’autorisation de l'emploi de la force, telle que la charte des Nations unies le définit ; autorisations qui ne peut être donnée que par le Conseil de sécurité. C'est très important que les pays-membres permanents, y compris la Russie, aient été jusqu'à ce texte, ensemble. »
J.-P. Elkabbach
Les Allemands vont voter dans trois jours. Entre Kohl et Schröder - je ne vous demande pas si vous avez un favori - quel est votre pronostic ? Mais qu'est-ce qui va changer, si quelque chose change, avec les Allemands ?
Hubert Védrine
- « La vérité et la réalité c'est que l'Allemagne est un pays qui a beaucoup changé ces dernières années ; à cause de la réunification, à cause de la fin de la coupure de l'Europe en deux ; à cause de l'arrivée des nouveaux Länder dans la vie politique allemande ; à cause du poids que les Länder en général - pas uniquement les ex-Länder de l’Est, mais les autres -, ont pris dans la politique allemande, précisément. Donc nous avons affaire à une Allemagne qui est différente, réunifiée, qui est un peu plus grande qu'avant mais cela ne change pas fondamentalement les choses. Mais c'est psychologiquement que les choses sont… »
J.-P. Elkabbach
Les Allemands redeviennent des Allemands ?
Hubert Védrine
- « C'est cela, ils sont des Allemands, sans complexe particulier. Et ils sont maintenant - comme avant je crois - très pro-européens, mais ils le sont comme le sont les Français par exemple. Donc il y a une série de changements en profondeur, voyez. »
J.-P. Elkabbach
Est-ce que cela veut dire que Kohl, Schröder, ou Schröder comme Kohl, incarnent ces changements ?
Hubert Védrine
- « Oui, je crois que déjà, par exemple dans les dernières négociations européennes, l'Allemagne avait déjà une façon différente de défendre ses intérêts. Et que ces changements ne sont pas encore, peut-être, largement perçus, mais ils sont déjà dans les faits. »