Déclaration de M. Pierre Méhaignerie, ministre de la justice et président du CDS, sur les orientations du CDS, à Rouen le 22 avril 1994 et article dans "Démocratie moderne" du 12 mai, sur le congrès du parti, intitulé "Un succès à transformer".

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Circonstance : Congrès du CDS à Rouen du 22 au 24 avril 1994

Média : DEMOCRATIE MODERNE

Texte intégral

Pierre Méhaignerie : "Le seul langage d'espoir est un langage de vérité"

Dans le cadre d'un hommage à Jean Lecanuet, Pierre Méhaignerie a remercié tous ceux qui l'ont aidé à faire en sorte que ce soit un CDS qui prenne la tête de la liste commune de la majorité aux élections européennes. Que ces futurs élus rejoignent ensuite le PPE ne peut qu'ajouter à notre satisfaction.

Les mutations du monde

Le parti doit prendre ses responsabilités, en restituant notre action politique : l'échec des systèmes centralisés, la réunification de l'Allemagne, la résurgence de conflits de nationalités en Europe, la mondialisation de l'économie et l'émergence de nouveaux pays industriels prospères, l'appauvrissement économique de l'Afrique.

Or, en France, pays riche, ni les hommes ni les structures centralisées ne sont préparés à ces changements. Le seul langage d'espoir est donc un langage de vérité vis-à-vis des trois problèmes majeurs le chômage, l'État providence à rééquilibrer, la responsabilité à réhabiliter.

Faire la guerre au chômage

Le chômage est l'injustice majeure, réservoir de violences. C'est une véritable guerre qu'il faut mener sur plusieurs fronts : psychologique, maitrise de la dépense publique et recentrage de l'État, meilleure gestion des systèmes sociaux, réduction des charges sociales sur les bas salaires plutôt que baisse d l'impôt sur le revenu, mais aussi avec les outils de la loi quinquennale. Malgré ses imperfections, ces outils doivent permettre de stopper la montée du chômage en 1994 et de regagner des emplois en 1995. L'allocation parentale d'éducation dès le deuxième enfant représente aussi une mine d'emplois.

Solidarité avec le gouvernement

Depuis un an, le CDS n'a jamais manqué à la solidarité du gouvernement. Il continuera avec détermination tout en affirmant mieux son identité et en faisant mieux remonter les attentes de nos concitoyens. Nous devons avoir confiance en nous. On a pu sans doute entendre dire que le CDS s'était affaibli, mais que valent ces commentaires alors que nous avons gagné des sièges aux élections cantonales et que, pour les élections européennes, toute la majorité s'est rangée derrière l'un des siens ?

Vers des changements politiques en France

En réalité, le CDS aborde en position de force les mutations importantes que connaîtront probablement les partis de la majorité après les élections présidentielles. L'UDL est son alliance privilégiée mais nous ne sommes fermés à aucun regroupement plus large dès lors que ce sera pour nous le moyen de mieux faire passer nos convictions.

L'une de mes plus grandes fiertés est d'avoir pu, avec les efforts et le travail de tous, conduire au CDS la modernisation de notre pensée politique.

Aujourd'hui, un affrontement artificiel aurait gravement affaibli le CDS C'est donc lors d'un congrès extraordinaire à Paris qu'il choisira son prochain président en même temps que, en fonction de la proximité des convictions, son candidat aux élections présidentielles. D'ici là, grâce à l'union de la majorité et à l'unité du CDS, rassemblons les Français et aidons le gouvernement à réussir les réformes.

La fidélité de notre mouvement à son idéal s'exprimera sur trois terrains : européen, social et démocratique.

L'Europe

Notre engagement derrière Dominique Baudis doit être total pour réconcilier les Français avec l'Europe et ne pas rejeter ceux qui ont refusé Maastricht. L'Europe doit être une protection. Après la ratification par le Parlement européen de l'élargissement de l'Union européenne vers le nord, de nouvelles étapes historiques s'imposent en direction des nouvelles démocraties d'Europe centrale mais aussi pour améliorer l'efficacité des institutions de l'Union européenne. La révision des traités, prévue en 1996, doit par conséquent être enclenchée dès à présent par une initiative communautaire ou franco-allemande. Sur le terrain social, tout en sachant qu'"en France, le chômage a moins effrayé que les remèdes qu'il aurait fallu appliquer pour le contenir", le CDS doit reprendre l'initiative malgré les risques d'impopularité et le courant culturel à remonter.

Vers un nouvel État providence

Le CDS doit engager une nouvelle appréciation de l'État providence. Nous n'avons plus la capacité de repousser ses limites car au-delà nous détruisons l'emploi. Il n'est pas question pour autant de réduire l'effort global de solidarité nationale, mais de le redéployer au bénéfice des plus vulnérables. Il faut s'y préparer pour la période qui suivra les présidentielles.

Construire la démocratie

Quant à la démocratie, c'est en France une construction inachevée. La construire, c'est développer un État de proximité. Cet État doit aussi être impartial, garant d'une justice égale pour tous une nouvelle ligne de conduite a été adoptée. Cela a été reconnu. Comme le patronat chrétien l'a relevé, il faut s'efforcer maintenant d'étendre la transparence à de nouveaux domaines. S'agissant de l'immigration, c'est un problème suffisamment difficile, pour ne pas faire des magistrats les boucs émissaires.

Devant l'un des invités d'honneur du congrès, le président Alwyn, qui a rétabli la démocratie au Chili, il faut reconnaitre que "la démocratie française a aussi besoin d'une conscience démocrate chrétienne".

Éditorial

Un succès à transformer

Par Pierre Méhaignerie

Je crois que les 1 200 militants qui ont participé à notre IXe Congrès en ont apprécié et l'organisation et la qualité des discussions. La réussite d'un congrès, c'est d'abord le travail fait par les congressistes. À toutes celles et tous ceux qui ont été les artisans de cette réussite, aux nombreuses fédérations et aux militants qui ont enrichi les débats par leurs contributions, au sénateur-maire de Rouen, notre ami François Gautier et à ses collaborateurs, aux équipes du CDS, je renouvelle ici mes félicitations et mes remerciements.

Le ton a été donné à nos travaux de conclusion par les témoignages émouvants de Jeanine Bonvoisin et de Maurice Blin qui ont fait revivre devant nous la personnalité rayonnante de Jean Lecanuet.

Aujourd'hui, au-delà de ce ressourcement, nous devons d'abord nous attacher à transformer notre succès. L'union de la majorité autour de Dominique Baudis a été particulièrement appréciée. Lors du référendum sur le traité de Maastricht, tous les commentateurs ont noté la force des oui ou la nette différenciation des résultats dans les départements à nette dominante CDS Là, nous devons confirmer cette mobilisation mais en allant systématiquement à la recherche de ceux qui alors avaient voté non au référendum. En outre, nous devons poursuivre et développer dans les mois à venir les débats entamés à Rouen, reprendre effectivement l'initiative sur le terrain social.

Il s'agit d'abord de l'emploi. La loi quinquennale comporte des outils. Il appartient à chacun d'entre nous de les mettre en œuvre en ce qui concerne la formation professionnelle et l'apprentissage, le temps partiel incité financièrement, les contrats emplois solidarité ainsi que les emplois de service.

Le retour de la croissance qui s'esquisse ne permettra pas seul de résoudre les problèmes de l'emploi. Il faut donc les poser en termes structurels, ce qui suppose de grands efforts de pédagogie et de mobilisation.

Celle pédagogie est nécessaire aussi pour préparer le débat des élections présidentielles, avant même que se pose la question du choix des présidentiables, pour laquelle nous n'avons pas actuellement les éléments. Ce débat portera notamment sur les moyens de redéployer l'État-providence vers ceux qui cumulent aujourd'hui les désavantages de l'insécurité et des bas salaires. Nous parviendrons à progresser vers une société décentralisée d'hommes et de femmes responsables si nous savons faire des Français des acteurs du changement.

Pour aborder un tel débat dans les conditions de plus grande efficacité, notre parti doit améliorer son organisation. C'est pourquoi, Bernard Bosson et moi-même, avons proposé au Bureau politique de réunir une commission des statuts. Elle aura notamment pour mission de redéfinir le mode de désignation et les responsabilités qui s'attachent aux fonctions de secrétaire général.

De leur côté, à l'occasion de leurs déplacements dans les départements, les ministres et responsables nationaux du CDS devront aller systématiquement dans les fédérations pour prolonger les discussions engagées à Rouen.

C'est sur tous, militants, élus et ministres que je compte pour occuper le terrain du Centre avec la force des convictions et l'exemplarité que nous avons su montrer au cours de ce congrès.

François Gautier, Sénateur et maire de Rouen, accueille le IXe Congrès national du CDS à Rouen

"Je suis heureux d'accueillir le 9e Congrès du CDS organisé pour la première fois à Rouen".

Vous êtes ici dans l'agglomération rouennaise, 12e agglomération de France (400 000 h/33 communes) au sein de laquelle la ville de Rouen (105 000 h – 35e ville de France) occupe une situation politiquement contrastée au sein du Sivom Rouen est la capitale régionale de la Haute-Normandie, héritage historique du Duché de Normandie, avec l'un des premiers archevêchés de France.

C'est une "ville patrimoine", avec ses nombreux ensembles gothiques, mais aussi ville portuaire dans une agglomération à vocation industrielle. Rouen a souffert le martyre lors de la dernière guerre mondiale, mais s'est reconstruite rapidement, pour s'embellir sous l'impulsion de Jean Lecanuet, "la beauté est un acte social".

Au début de ce congrès, congrès de l'hommage à Jean Lecanuet, congrès de ressourcement, de positionnement sur les problèmes sociaux, congrès de lancement de la campagne pour l'élection au parlement européen.

Quelles suggestions peuvent faire un élu de terrain comme le sénateur-maire de Rouen :

Le CDS doit renforcer son travail doctrinal : "la crise du sens" dont souffre notre société appelle des pistes de recherche, des tentatives d'explication, particulièrement en ville. Il faut relancer France Forum, remarquablement dirigée par Henri Bourbon, pour en faire la grande plate-forme doctrinale du CDS et au-delà pour un maximum d'élus, sympathisants, humanistes.

Le CDS doit renforcer ses propositions sur la décentralisation. Avec la continuation de l'Europe, il faut redéfinir le rôle de l'État "trop grand pour les petits problèmes, trop petit pour les grands problèmes", et celui des collectivités locales. Je ne suis pas sûr que la démarche d'aménagement du territoire actuellement engagée aille dans le bon sens.

Le CDS doit structurer son organisation nationale et fédérer de façon rigoureuse ses élus locaux, n'est-il pas opportun notamment de s'interroger sur le cumul des fonctions de ministre et de dirigeant de notre formation politique ? Il me paraît indispensable d'avoir une association d'élus locaux active. Les collectivités locales représentent les 3/4 de l'équipement du pays ; elles sont de plus en plus sollicitées pour l'emploi ; elles sont le ciment de la cohésion sociale.

Intervention de Pierre Méhaignerie, Président du CDS lors de l'ouverture du Congrès du CDS, à Rouen, le vendredi 22 avril 1994

Nous voici aujourd'hui confrontés à de nouveaux bouleversements : l'implosion de l'Union Soviétique, l'internationalisation croissante des relations économiques et dans le monde, l'approfondissement du fossé entre la richesse du Nord et la pauvreté du Sud, l'accroissement des flux migratoires qui en résulte.

Cependant, aujourd'hui comme hier, devant d'autres dangers l'unité fait la force et l'Europe demeure la grande espérance – j'allais dire la seule – offerte à ses peuples par ses initiateurs et ses continuateurs, l'héritage le plus précieux que nous puissions transmettre aux générations futures.

Jean Lecanuet


Jean Lecanuet, Dominique Baudis et l'Europe

Cher Jean,

Il n'y aurait pas eu pour toi de joie plus grande que de voir l'un de ceux que tu aimais, un centriste, conduire, pour l'Europe, la liste de toute la majorité.

Militant parmi les militants, je me réjouis particulièrement qu'à la tête de cette liste commune, ce soit Dominique Baudis.

En tant que Président du CDS, je suis heureux de remercier tous ceux qui m'ont aidé à faire en sorte que ce soit l'un des nôtres qui assume cette importante responsabilité politique.

Ma satisfaction est renforcée par le fait que demain le PPE sera rejoint à Strasbourg par l'ensemble des élus de cette liste.

Prendre nos responsabilités au cours de ce congrès

Au-delà de cette fierté légitime, nous devrons, au cours de ce congrès, nous tourner vers l'avenir et prendre nos responsabilités.

Restituer notre action par rapport à nos engagements et aux mutations du monde extérieur

La première de ces responsabilités, c'est de restituer notre action politique non seulement par rapport à nos engagements, mais aussi par rapport aux mutations d'un monde qui a beaucoup changé en quatre ans, depuis le congrès de Saint-Malo.

Charles Péguy distinguait des périodes où rien ne bouge, et des périodes où l'histoire se met en mouvement. En 1989-90, nous sommes brutalement entrés dans une période où l'histoire s'est mise en mouvement :

La chute de l'empire soviétique, c'est bien sûr d'abord l'échec d'un système totalitaire que nos pères et nous-mêmes avons combattu ; mais c'est aussi l'échec des systèmes centralisés par rapport aux systèmes décentralisés qui privilégient l'initiative et la responsabilité.

La réunification de l'Allemagne, c'est aussi la mutation de la construction européenne, qui nous impose une adaptation de notre vision traditionnelle de l'Europe :

La résurgence de conflits ethniques en Europe Centrale accroit encore la nécessité d'une Europe unifiée et forte pour maîtriser la montée des nationalismes.

La mondialisation de l'économie et l'émergence de nouveaux pays industriels entraînent peurs et, inquiétudes dans le pays : de nouveaux foyers de prospérité sont apparus en Asie, mais un continent voisin, l'Afrique, nous place face à de difficiles problèmes d'immigration et d'appauvrissement économique.

Ni les structures centralisées, ni les hommes ne sont préparés en France au changement

Nous sommes donc dans une de ces périodes de changement mais en France ni les hommes ni les structures centralisées n'y sont préparés : aussi, la France pays riche, est désormais plus touchée que d'autres par le chômage, ce qui n'était pas le cas il y a quinze ans.

Je me souviens de Jean Lecanuet au Sénat, rappelant, devant certaines lamentations, que nous étions désormais entrés dans un monde de lutte, d'efforts et de vigueur :
– ou les Français en acceptent les exigences,
– ou la France connaîtra le déclin.

Ce déclin, tous ici nous le refusons pour notre pays, pour notre dignité, pour nos enfants.

Affronter trois difficultés

L'action, c'est d'abord la pédagogie, et le langage de vérité est le seul langage d'espoir. Nous devons affronter trois problèmes majeurs : 
– le chômage ; 
– l'État providence à rééquilibrer ;
– la responsabilité à réhabiliter.

D'abord, le chômage

C'est l'injustice majeure. C'est une atteinte à la dignité de la personne. C'est une réserve de violences, d'explosions et de difficultés pour le pays. Le chômage, c'est plus qu'un combat que l'on doit mener, c'est une guerre, mais on ne peut gagner que les guerres que l'on mène. Et cette guerre, pour moi, doit se mener sur plusieurs fronts :
– celui de la psychologie ; 
– celui de la maîtrise de la dépense publique et du recentrage de l’État sur ses fonctions essentielles : toute aggravation de la dépense publique entraîne une aggravation du chômage ;
– celui de la meilleure gestion des systèmes sociaux et de la responsabilisation des acteurs ; 
– celui d'une meilleure considération de la formation professionnelle ;
– celui de la réduction des charges sociales sur les bas salaires ;
– celui du développement du temps partiel.

Dans un livre récent, Daniel Cohen, écrit : "en France, le chômage a moins effrayé que les remèdes qui auraient été nécessaires pour le contenir".

Lutter contre le chômage est un choix politique qui demande beaucoup de courage et de discipline. Le parti socialiste a refusé de faire ce choix dans les années 80-90, compte tenu du coût politique auprès de son électorat. Il vient de le démontrer, à nouveau, il y a une semaine, dans son argumentation pour les élections européennes.

Pour ma part, je souhaite ardemment que le CDS, quels que soient les risques, constitue le fer de lance de cette politique de lutte contre le chômage et la vraie question pourrait être ainsi résumée : aujourd'hui, les 12 millions de personnes assurées de leur emploi sont-elles décidées à accepter les disciplines qui permettraient de donner un peu plus de sécurité aux autres 10 millions d'actifs, pour lesquels le taux de chômage est supérieur à 20 %, et un peu plus d'espoir aux 3,5 millions de chômeurs ?

Ce combat, c'est celui de la dignité, c'est celui qui est au cœur de notre engagement politique.

Nous devons le mener.

Une nouvelle appréciation de l'État providence

Notre responsabilité, c'est d'engager une nouvelle appréciation de l'État providence. En effet nous n'avons plus la capacité de repousser les limites de cet État providence car, au-delà, nous détruisons l'emploi ! S'il n'est pas question pour le CDS de réduire l'effort global de solidarité nationale, aujourd'hui la véritable urgence, c'est de redéployer cet effort au bénéfice de ceux qui sont actuellement les plus vulnérables, c'est à dire, les exclus, les chômeurs et ceux qui cumulent bas salaires, manque de sécurité et manque de considération.

Diffusion des responsabilités

Notre objectif, c'est de diffuser beaucoup plus les responsabilités. Soyons conscients de ce que les sociétés aujourd'hui prospères ne reposent pas sur l'État, mais sur la capacité d'initiative et de responsabilité des citoyens. Nous vivons dans une société beaucoup trop bureaucratisée et centralisée.

Aujourd'hui, trop souvent, initiative, créativité, imagination, capacité de mobilisation sont paralysées par une profusion de réglementations, tatillonnes au point de désespérer les meilleures volontés.

L'un des deux enjeux du congrès c'est de reprendre l'initiative sur le terrain social

C'est se mobiliser sur le terrain pour stopper le chômage en 1994.

C'est repenser et redéployer l'État providence au bénéfice de ceux qui ont le moins.

C'est accentuer les politiques de proximité, de décentralisation, de déconcentration et d'expérimentation pour faire des Français les acteurs du changement.

Le bilan à partir des cinq engagements pris devant l'électeur

Il y a un an, j'ai pris devant mes électeurs cinq engagements sur :
– l'emploi ;
– l'éthique et la justice ; 
– la sécurité ; 
– la politique européenne ; 
– enfin, l'aménagement du territoire.

Ces cinq engagements me dictent ma conduite, je pourrais les examiner tous, car le bilan est largement positif, mais je m'arrêterai aujourd'hui sur le plus difficile, celui qui suscite le plus de contestations : la loi quinquennale sur l'emploi.

En particulier, à propos de la loi quinquennale sur l'emploi

Quelles que soient les imperfections de cette loi, j'ai la conviction qu'elle comporte des outils pour stopper le chômage en 1994 et regagner des emplois en 1995 :

- la formation professionnelle et l'apprentissage, avec l'objectif des 500 000 jeunes en entreprise, soit 200 000 de plus qu'aujourd'hui et plus encore :
– le temps partiel incité financièrement – et c'est pourquoi j'attends beaucoup de l'allocation parentale ;
– les contrats emplois-solidarité ; 
– la relance du bâtiment et des travaux publics ; 
– les emplois de service.

Dans mon département d'Ille-et-Vilaine, la pente naturelle ce serait 2 000 chômeurs de plus cette année ; mais avec ces outils, j'ai la volonté et la capacité, par une forte mobilisation locale, de retrouver 2 000 contrats ou emplois et ainsi de stopper le chômage. Bien sûr, il faut pour cela que tous, et à tous les niveaux, se battent ensemble. On ne doit pas attendre de l'État qu'il règle les problèmes pendant que les Français regarderaient en spectateurs.

Pour ceux qui attendent tout de l'État et rien d'eux-mêmes, il n'y a pas de solution aux problèmes du pays. Beaucoup de nos retards actuels s'expliquent par le mensonge des années 80 et les campagnes de M. Mitterrand fondées sur le slogan "l'État le fera pour vous."

Pour moi, le signe de l'alternance réussie, ce serait d'avoir convaincu les Français de remplacer ce slogan des années 80 "l'État le fera pour vous" par celui du "faisons le nous-mêmes, au niveau où se pose le problème".

L'action au cours des douze mois à venir

Chers amis,

Au cours des douze mois qui viennent la pire des solutions serait l'immobilisme à la Rocard (qui plus est, à l'époque, dans une période de vaches grasses).

L'autre solution, serait de faire des réformes courageuses mais, si elles sont suicidaires, ce n'est pas mieux.

La réforme est attendue ; la réforme est possible, même à un an des présidentielles. Mais pour être acceptée : 
– elle doit être équitable ;
– elle doit être expliquée ; 
– elle doit être expérimentée.

Déjà il y a deux ans à Batz-sur-Mer, et les JDS s'en souviennent, j'avais dit à M. Balladur que lorsque les réformes nécessaires étaient difficilement digestibles, il fallait fragmenter les difficultés, soit par l'expérimentation, soit par la régionalisation. Cette méthode vaut tout particulièrement pour l'emploi, pour la formation professionnelle, pour la protection sociale, la santé.

L'horizon de l'élection présidentielle

L'horizon politique de la France est maintenant celui de l'élection présidentielle, dont le premier tour aura lieu dans un an jour pour jour.

Sur quels critères ?

Le moment venu sur quels critères le CDS se déterminera-t-il pour les élections présidentielles ? D'abord sur la proximité des convictions, sur le refus de la démagogie et du clientélisme, sur l'engagement européen, sur le recentrage de l'État sur ses fonctions essentielles, l'exigence de décentralisation et de diffusion des responsabilités. Mais d'ici là, nous devons agir ! Et s'il faut changer de méthode pour continuer la réforme, eh bien, n'hésitons pas : changeons la méthode !

Le Parti

Depuis un an, le CDS n'a jamais manqué à la solidarité avec le Gouvernement : il continuera avec détermination. De plus : le Parti doit mieux affirmer son identité : il doit exercer son devoir d'émulation, de proposition; il doit mieux faire remonter du terrain les attentes de nos concitoyens ;  élus aussi bien que ministres CDS doivent rester cohérents par rapport à la philosophie du mouvement, dans leur action ministérielle et dans leur action locale.

Depuis un an, j'ai entendu dire – et j'ai même lu – que le CDS s'était affaibli, qu'il avait perdu du terrain. Mais aujourd'hui, après les élections cantonales où nous avons gagné des sièges et alors que toute la majorité s'est rangée derrière l'un des nôtres, Dominique Baudis, que valent donc ces commentaires-là ?

Chers amis, ayons confiance en nous ! Nous sommes en position de force pour aborder les mutations importantes que connaîtront probablement les partis de la majorité après les élections présidentielles si, comme j'en suis convaincu, c'est la majorité qui l'emporte alors.

L'organisation de nos alliances

Quant à l'organisation future de nos alliances au sein de la majorité, si l'UDF est notre alliance naturelle et privilégiée, nous ne sommes fermés à aucune hypothèse de regroupement plus large, dès lors que ce serait pour nous le moyen de mieux faire passer nos convictions. Nous devons tous reconnaître que l'une des grandes faiblesses de notre démocratie, c'est que les électeurs français votent plus souvent contre quelque chose ou quelqu'un que pour des projets ou des idées. Nous devons admettre que les partis ne remplissent pas pleinement leur rôle et que leur dissémination, actuellement, au sein de la majorité, contrarie leur capacité de conviction et de mobilisation sur le terrain.

Lors de ces années passées à la présidence du CDS, l'une de mes grandes fiertés est d'avoir pu – avec les efforts et le travail de tous – conduire cette modernisation de notre pensée politique et de nos principes d'action, dans le respect de nos idéaux et de la doctrine du personnalisme communautaire, telle qu'elle a été fondée par Emmanuel Mounier et Marc Sangnier et modernisée par Étienne Borne et Jean Lecanuet.

Les rendez-vous de fin d'année

Depuis plusieurs mois, j'ai dit et répété que je quitterai la présidence du CDS après les élections présidentielles. J'ai constaté que cette date paraissait trop lointaine à certains. Après mûre réflexion, j'ai décidé d'avancer cette date et d'éviter au CDS un affrontement artificiel.

Il m'aurait été insupportable, à un moment aussi difficile pour notre pays, à seulement un an des élections présidentielles et municipales, de voir notre parti, vu et perçu comme le plus cohérent, placé sous les feux médiatiques et de ce qui aurait été considéré comme un pur jeu d'ambitions personnelles. Cette attitude aurait été radicalement contraire à mes engagements personnels : le pays avant le parti, le parti avant moi-même. Et puis aussi parce que cet affrontement nous aurait gravement affaiblis ! Qui peut croire un seul instant que cet affrontement, affrontement fraternel, bien sûr, mais affrontement tout de même nous aurait permis d'obtenir il y a deux semaines la désignation de Dominique Baudis comme tête de liste UDF-RPR pour les élections européennes ? Qui peut croire que le CDS affaibli aurait pu ainsi imposer l'un des siens ?

Le CDS choisira son prochain Président en même temps qu'il choisira son candidat aux présidentielles de mai 1995. Ce choix aura lieu au cours d'un congrès extraordinaire à Paris.

Pour ce congrès extraordinaire, j'ai demandé à une commission de travailler pour nous proposer une modification de nos statuts qui ferait disparaître à l'avenir la dualité que nous connaissons à la tête de notre mouvement, avec un président et un secrétaire général tous deux élus par le Congrès, tous deux pouvant revendiquer une même légitimité. À l'expérience, cette dualité – cette dyarchie – n'est pas un atout pour notre parti.

Dans un an, chers amis, nous nous déterminerons en fonction de l'intérêt de la France et des Français. D'ici là, travaillons, aidons le Gouvernement de la République à réussir les réformes, à remettre en marche notre économie, à ressouder notre société, à restaurer la confiance de tous les Français dans leur avenir.

Ce que vous direz au cours de ce congrès de Rouen aura une importance toute particulière car vos propos seront écoutés et transmis. Les six ministres de notre Parti le feront chacun dans le domaine de responsabilité qui est le sien.

Pour ma part, ministre d'État participant à tous les arbitrages ministériels, j'ai la volonté de relayer dans tous les domaines, vos réactions, vos analyses et les propositions du CDS jusqu'au plus haut niveau du Gouvernement. Je n'ai pas manqué de le faire depuis un an. Soyez certains que je continuerai à m'y employer avec toute la force de mes convictions, pour accroître l'influence de notre mouvement au service d'une France plus juste, plus efficace et plus solidaire.

François Bayrou : "Éloge du militantisme"

C'était ma dernière visite à Rouen du vivant de Jean Lecanuet. Journée sombre. Il m'avait reçu à l'hôtel de ville et, marchant dans les couloirs, venait de me faire l'aveu de sa maladie, de me confier le sombre pronostic des médecins. Il est revenu alors sur une de ses souffrances "Tu vois", me dit-il, "j'aurais tant aimé accueillir un congrès à Rouen." (…) Le CDS est venu à Rouen. Jean Lecanuet l'y a accueilli, avec sa présence vivante, avec son visage heureux, avec son éloquence et son amour de vivre, avec son visage douloureux aussi, avec ses combats et ses souffrances, unifié, rayonnant, reconnu. (…)

Conscience du sens des choses, du sens des actes, le philosophe en lui n'a jamais cessé d'orienter le politique. Je sais la vanité apparente de l'invocation du philosophe en ces temps médiatiques, où vous avez trente-deux secondes au journal de 20 heures pour transmettre votre pensée. Et pourtant, il n'y a pas de plus belle manière d'honorer la mémoire de Jean Lecanuet que de reprendre après lui cette manière de faire qui est en vérité une manière d'être et de nous placer en situation de politiques, c'est-à-dire de citoyens qui refusent la condition de sujets et s'affirment responsables de la cité. (…)

(…) Il y a, à cette entreprise, une condition sans laquelle elle est vouée à l'échec. Il n'y a pas d'entreprise politique sans parti politique pour la soutenir. La mode est de brocarder les partis. Je veux, au contraire, finir sur un éloge du militantisme et du militantisme dans nos rangs. Le plus haut degré de la conscience et de la responsabilité, c'est l'engagement. Si on laisse se déliter les partis, et il y a plusieurs manières de les laisser se déliter, la lutte de clans, les désunions, l'abandon des idées au seul avantage des luttes de personnes, alors on expose la cité à toutes les aventures, on expose la cité tout court. C'est alors le temps des démagogues et quand commence le temps des démagogues, le temps des tyrans n'est pas loin.

Il me semble que nous pouvons être heureux de l'image que nous avons donnée, en ce week-end de congrès, au moment où le monde était exposé à la menace, de ce que doit être l'engagement politique. Grâce à vous, il a été mémoire, autour de la présence de Jean Lecanuet. Il a été fête et conviction, autour de la désignation de Dominique Baudis. Il a été responsable et chaleureux, dans le refus des luttes de clan. Il a été conscience et réflexion. Il a été militant et il a été généreux. Il y a un jugement de la sagesse des nations qui dit qu'à partir d'un certain âge, on a le visage que l'on mérite. Vous avez eu, nous avons eu le congrès que nous méritions. Merci.

René Monory : "Le devoir des centristes"

L'Europe est notre tradition, notre fierté et notre combat de toujours ; cette Europe que nous voulons de plus en plus unie, transparente, proche des citoyens.

Elle nous a beaucoup apporté et peut encore nous apporter beaucoup. Elle est cette chance à saisir pendant qu'il en est encore temps. La liste d'union de la majorité, dont nous sommes heureux qu'elle soit incarnée et conduite par l'un des nôtres, Dominique Baudis, portera le message d'espoir.

À l'heure où le doute d'Europe existe, nous devons convaincre les Français qu'il n'est d'autre voie que l'approfondissement communautaire.

La tâche n'est pas facile, aujourd'hui, plus encore qu'hier, tout se gagne et se mérite. Trois défis nous attendent qu'il nous faudra relever. C'est d'abord le défi économique de la nouvelle société. Le monde bascule sur son axe. Nous étions hier l'oligopole de la croissance. Nous la partageons désormais avec un autre pôle qui émerge l'Asie. Cette mutation n'est pas réversible et nous devons, pour un temps, du moins, apprendre à vivre et à travailler autrement.

L'autre défi est géographique. Nous devons savoir quelles frontières nous voulons pour demain. De l'Atlantique à l'Oural de l'Arctique à la Méditerranée, le modèle européen suscite appels et demandes. L'élargissement peut incontestablement être un moteur pour l'Europe à condition d'être bien pensé, préparé, maîtrisé, ce qui n'a pas été le cas lors des récentes négociations.

Enfin, il y a un troisième défi qui découle des deux précédents : l'Europe politique, sans laquelle le formidable projet de nos pères restera inabouti (…) Si nous savons prendre la mesure et la cadence de tous ces changements, si nous choisissons l'Europe, nous inscrivons notre pays dans une dynamique économique, nous le faisons entrer dans le troisième millénaire. Si nous optons pour le repli, nous creusons l'ornière de ce qui n'est plus seulement une crise.

On entend souvent dire ici ou là que la société est bloquée, qu'elle est fragile. C'est plutôt certains esprits politiques qui souvent aspirent à diriger demain les affaires du pays qui manqueraient d'audace et de courage (…)

Le devoir des centristes est d'imaginer pour l'homme une place dans la société de demain qui préserve sa richesse, lui permette d'exprimer sa liberté et de cultiver sa spiritualité. Il est donc essentiel, dans le respect de l'alliance, que nous préservions notre identité. Nos idées, ne les vendons pas mais partageons les pour mieux les servir.