Interviews de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, à TF1 et RMC le 1er septembre 1998, à RTL et dans "Le Parisien" le 2, et dans "Le Figaro madame" le 5 septembre 1998, sur la lutte contre la violence à l'école notamment le racket et le bizutage, la rentrée scolaire, la lutte contre l'échec scolaire, le rôle des parents d'élève, l'apprentissage des langues étrangères dans le primaire, la rénovation de l'école maternelle, et les créations de postes.

Prononcé le 1er septembre 1998

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - Le Figaro Madame - Le Parisien - RTL - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

TF1 - 1er septembre 1998

P. Poivre d’Arvor
Qu'est-ce qu'on peut faire contre ce phénomène de la violence qui paraissait impensable il y a encore 10 ans ?

S. Royal
- « D’abord, la violence, c'est le contraire de l’éducation, donc il faut tout faire pour éliminer la violence des établissements scolaires. Et parmi elle, le racket. Une campagne va donc être lancée, avec un document qui sera distribué à tous les collégiens, et puis un document à tous les adultes. »

P. Poivre d’Arvor
Parce qu'il faut bien faire la distinction : les adultes ont besoin de faire la morale, en tout cas de montrer qu’ils ne sont pas indifférents au problème de ce qui leur paraît mineur ?

S. Royal
- « Exactement. Ce que je voudrais, c'est qu'il n'y ait plus aucun enfant qui est peur en allant à l'école et que tout le monde comprenne que le racket, même un petit racket - on vient d'entendre dans votre reportage : 10 francs, on ne va pas réagir ; si, il faut réagir ! Parce que si on ne réagit sur un racket de 10 francs, il va y avoir une escalade. Le racket, c'est très grave, c'est un acte humiliant, ça peut marquer des enfants à vie. Il ne faut pas que les adultes soient indifférents. Donc, la loi doit être appliquée dans les établissements scolaires, et les élèves doivent parler, il faut lever la loi du silence. Alors parfois, ils ont peur de la répression des racketteurs, donc je voudrais leur dire qu'ils peuvent porter plainte sans donner leur adresse, en donnant l'adresse du collège, par exemple. Ils ont peur, ils se disent : c'est de la délation, on va passer pour des lâches, si on parle. Alors, je voudrais leur dire qu'ils doivent parler pour protéger les autres victimes. Si les victimes sont plus solidaires que les racketteurs, à ce moment-là, on gagnera contre le racket et donc contre la violence. »

P. Poivre d’Arvor
C'est ce que vous leur dites dans le petit livre vert. Dans le petit livre bleu, qu'est-ce que vous dites aux parents ?

S. Royal
- « Dans le petit livre bleu, je dis aux parents : soyez attentifs à votre enfant. S'il devient anxieux, si ses résultats scolaires baissent, s'il change dans la façon de s’habiller- en couleur grise, passe-muraille - c'est qu'il a dû être racketté et qu’il n’ose pas le dire. Et je dis aux enseignants : la violence entre élèves - parce que le racket, c'est une violence entre élèves - vous concerne, vous ne devez pas être indifférent, la loi doit s’appliquer. Quand un élève parle, vous devez le prendre au sérieux, l'écouter et l’aider. »

P. Poivre d’Arvor
Le bizutage continue, il y a des bizutages dits intelligents, mais il y a encore des humiliations ?

S. Royal
- « Bien sûr. J'ai reçu récemment la lettre de parents dont l'enfant était mort au cours d'un bizutage, à la suite d'une beuverie forcée. Donc, c'est vrai que des faits d'une extrême gravité se déroulent. Je suis très heureuse d'avoir fait voter cette loi. Cela a été difficile, il a fallu convaincre les parlementaires, mais je crois que ce sont des pratiques d'un autre âge, qui sont insupportables, qui portent atteinte à la dignité humaine. Il faut que ce soit complètement éradiqué du système scolaire. Donc, cette loi est votée, elle prévoit même des peines de prison dans les cas les plus graves. Tous les chefs d'établissements sont informés, je vais y veiller personnellement. »

RMC - 1er septembre 1998

- « Sur la lutte contre la violence à l’école, il y aura une campagne de mobilisation contre le racket, il y aura l'application aussi de la loi de lutte contre le bizutage qui a été votée en cours d’année. Donc là, les chefs d’établissement, les adultes vont avoir des moyens de riposter et d'empêcher certaines atteintes insupportables. Je pense à la mise en place aussi des classes-relais qui permettent de retirer des établissements scolaires les élèves les plus perturbateurs pour les ré-encadrer, les réinsérer ensuite dans les collèges lorsqu'ils ont appris à se comporter différemment. L'éducation civique se généralise à cette rentrée, de la maternelle au lycée, parce que je pense que plus on s'y prend tôt, plus c'est efficace. D'autre part, se met en place des modules d'éducation à la santé en classe de quatrième pour l'éducation à la prévention des conduites à risques - toxicomanie, alcool, tabac, problème de sexualité - qui fait aussi partie à mon sens de l'éducation à la citoyenneté. Car quand on se respecte, on respecte les autres. »

RTL - 2 septembre 1998

Question
10 millions d'élèves reprennent le chemin de l'école demain avec une grève en vue. C'est le nuage de la rentrée 1998 ?

S. Royal
- « Je crois qu’au contraire cette rentrée se présente sous de très bons auspices puisque malgré la baisse des effectifs des élèves, le nombre des enseignants à l'école primaire reste le même. Donc on va avoir un allégement du nombre d'élèves par classe. Et dans le second degré, nous allons avec C. Allègre, créer 3 300 postes d'enseignants dont 400 emplois d'infirmières et d'assistantes sociales pour renforcer l'action que j'ai commencé à conduire sur la santé. Donc je crois que jamais l'éducation nationale n’aura bénéficié d'un tel effort. Quant au préavis de grève que vous évoquez, pour l'instant il n'est pas confirmé. Je connais la conscience professionnelle du monde enseignant, et je pense que les enseignants seront là pour accueillir les 12 millions d'élèves qui sont heureux - vous l'avez vu dans les enquêtes d’opinion - de rentrer en classe. »

Question
C'est un appel à la raison. À propos de la situation des maîtres-auxiliaires, le gouvernement continue de faire quelque chose ?

S. Royal
- « Il continuera à faire ce qu'il a fait : c'est à dire le réemploi des maîtres-auxiliaires. C'est un lourd dossier qui traînait depuis quatre ans. Le système scolaire était régulièrement agité par des manifestations et des grèves de maîtres-auxiliaires. Vous savez que l'année dernière nous avons déjà accompli un effort considérable qui sera poursuivi. Les maîtres-auxiliaires seront réemployés, et j'ajoute que nous allons créer 20 000 emplois d’aides-éducateurs supplémentaires. Donc vous voyez, le Premier ministre avait dit que l'éducation nationale devait revenir au premier plan des priorités politiques, est je crois que jamais l'effort n'a été aussi considérable. Parce que l’éducation, c'est un investissement ; et cet investissement prépare la France de demain. »

Question
Mais l’échec scolaire persiste et reste quand même un problème important aujourd’hui. Comment y venir à bout, notamment dans la lutte contre l’illettrisme ?

S. Royal
- « Oui, c'est une des priorités de cette année. L'échec scolaire est un chantier qui n'est jamais terminé puisque de nouveaux élèves arrivent toujours, et donc de nouvelles difficultés surgissent. Je crois qu’aujourd'hui, nous avons les moyens de faire reculer avec beaucoup de détermination l'échec scolaire. Ce chantier de la lutte contre l'illettrisme concerne tous les âges. C'est à dire que j’entends, dès l’école maternelle, renforcer la prévention des difficultés. Puisque lorsque je vais dans les écoles maternelles je sais maintenant, les institutrices me le disent : tel ou tel enfant qui a des difficultés d'expression orale aura des difficultés d'apprentissage de la lecture. Donc l'école maternelle doit voir renforcer sa mission d'acquisition du langage oral et de démarrage de la lecture. A l’école primaire aussi des actions sont mises en place pour renforcer, là aussi, le dépistage des élèves en difficulté : le soin apporté aux problèmes de dyslexie, l'augmentation du nombre de livres qui sont lus. J'étais par exemple récemment dans une ZEP en Moselle : tout un travail a été fait d'abonnement des familles à des manuels de lecture. Et ce sont donc les parents, qui reçoivent aussi ce manuel de lecture, qui sont donc associés aux problèmes des élèves, etc. »

Question
Vous tenez à ce que les parents aient un rôle ?

S. Royal
- « Je pense que les parents peuvent jouer un rôle considérable dans la lutte contre l’échec scolaire, notamment les parents qui, eux-mêmes, ont été en situation d’échec scolaire. Car bien souvent, c’est de là que vient le frein pour leurs enfants qui font une espèce de résistance par rapport à la réussite scolaire, en se disant : je n’ai pas le droit, finalement, de lire mieux que ma mère. Or, si l’on associe les parents qui sont eux-mêmes en situation de fragilité scolaire à la réussite de leurs enfants c’est-à-dire en leur disant : même si vous, vous ne savez pas bien lire, encouragez votre enfant est un élément fondamental de sa réussite, venez dans la classe assister -comme je l'ai vu dans une école primaire à Nantes - une fois par semaine au travail de lecture de votre enfant, à ce moment-là, on obtient des résultats extraordinaires et des enfants arrivent, parce qu'il y a un déblocage psychologique qui se fait, à surmonter leurs difficultés culturelles. »

Question
Il y a une ambiguïté concernant l'apprentissage des langues étrangères. Plutôt que de généraliser cet apprentissage dès le CM2, certains parents disent qu'il est peut-être préférable de faire bien apprendre à lire et à écrire à nos enfants plutôt que d'apprendre une langue étrangère.

S. Royal
- « Je crois que ce n'est pas incompatible et je l’ai vu, en particulier dans des classes où il y a beaucoup d'enfants d'origine étrangère. Au contraire, l'apprentissage d'une langue étrangère, là aussi, fait tomber un certain nombre de barrières, de blocages qui permet l’acquisition plus facile de la maîtrise de la langue française, parce que ça relativise le poids et la contrainte de la langue. Et en expliquant à l'enfant qu’il a le droit aussi de ne pas renier sa propre culture mais qu'il faut absolument réussir à la maîtrise de la langue française - parce que c'est ce qui conditionne non seulement son assertion en tant que citoyen dans la société française mais aussi sa réussite scolaire -, je crois qu'au contraire, et toutes les expériences scientifiques l’ont montré : un enfant que l'on met de façon précoce au contact de la musique de plusieurs langues est mieux à même d'apprendre et d'assimiler la langue française. »

Le Parisien, 2 septembre 1998

le Parisien
Les phénomènes de violences inquiètent de plus en plus les parents. Que va-t-on faire cette année pour l’endiguer ?

Ségolène Royal. - L’année va débuter par deux grandes campagnes. L’une sur le racket, avec la distribution de dépliants à tous les élèves des collèges, avant la fin de septembre. L'autre sur le bizutage, avec une campagne d'affiches dans les établissements, qui devrait commencer dès le début du mois. Ces deux formes de violences sont très répandues et il y a un besoin d'information dans ce domaine.
Par ailleurs, un numéro Azur SOS VIOLENCE va être mis en place le 10 septembre (08 01 55 55 00). Il sera à disposition de tous, élèves, familles ou enseignants, afin de donner les réponses concrètes aux victimes ou témoins de cette violence. Il faut définitivement lever la loi du silence, d'autant que certains phénomènes de violence ne débouchent pas toujours sur une plainte. Soit les élèves ont peur de parler, soit l’école elle-même ne donne pas de suite à l’incident. L'éducation nationale travaille donc avec le ministère de l’intérieur et de la justice pour coordonner des actions entre les services de police, de justice et l’école. Nous préparons en outre un guide pratique à l'attention des directeurs de collège et de lycée pour les aider à trouver des solutions face aux actes de violence.

le Parisien
Que prévoyez-vous pour les cas les plus difficiles ?

Ségolène Royal. - Nous avons déjà créé une soixantaine de classes-relais afin de mettre à part les élèves les plus perturbateurs et de les recadrer avec des adultes formés pour cela. C'était un vrai besoin, et cela demande à être généralisé dans tous les établissements difficiles. On se rend compte que là où ces structures sont absentes, les petits caïds font toujours leur loi. Le nombre de ces classes-relais passera à 100 cette année et à 250 l’an prochain.

le Parisien
Allez-vous continuer à mettre l'accent sur l'instruction civique ?

Ségolène Royal. - Le contenu de l'éducation civique doit s'orienter autour de deux thèmes : le respect et la solidarité. Concrètement, une épreuve d'instruction civique va être inscrite au brevet des collèges dès cette année. L'instruction civique au collège est une matière en soi. Je l'envisage d'ailleurs dès l'école primaire avec l'apprentissage du respect mutuel.

le Parisien
Où en est la lutte contre l'exclusion scolaire ?

Ségolène Royal. - Nous allons appliquer, pour cette rentrée, les mesures d'urgence annoncées l’an dernier. Concernant les zones d'éducation prioritaire (les ZEP), c'est la mise en place de contrats de réussite en 10 points, applicables à tous les élèves. Tous les recteurs d'académie ont déjà les instructions : recentrage des projets d'établissements sur les savoirs fondamentaux, scolarisation dès la maternelle, soutien pédagogique aux élèves fragiles, ouverture de l'école sur le quartier, développement des activités périscolaires…

le Parisien
La baisse de fréquentation des cantines et les faiblesses en matière de santé scolaire ne contribue-t-elles pas aussi à l’exclusion ?

Ségolène Royal. - J'ai engagé une véritable politique de la santé scolaire. J'annonce dès maintenant la création de 400 postes de personnels médicaux-sociaux dans le budget 1999. Il s'agit d’infirmières, d’assistantes sociales et de médecins scolaires. Les bourses scolaires versées par le collège à la famille ont été rétablies cette année, et le fonds social de 290 millions de francs pour les cantines a été reconduit. Ces mesures permettront aux enfants dont les parents ne peuvent payer la cantine d’y manger tous les jours. C'est l’établissement qui recevra la bourse prévue à cet effet.

le Parisien
L'échec scolaire reste important, avec encore 12 % des élèves qui ne savent pas lire à l’entrée en 6e. Que comptez-vous faire ?

Ségolène Royal. - L'année qui s'ouvre sera celle du collège. Ma priorité s’attache à la façon dont le collège peut aider les élèves en situation d'échec scolaire. Je souhaite que l'on porte un intérêt tout particulier à la classe de 6e. J'ai rétabli les évaluations annuelles en 6e et je veux que l'on fasse quelque chose de ces évaluations : quand on repère des élèves qui ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux, on doit y remédier, en mettant en place des procédures de rattrapage, y compris pendant les vacances. Déjà, le nombre d’opérations « écoles ouverte » a doublé cet été.
Nous avons augmenté les crédits et développé les nouvelles technologies. Ça change tout quand on peut placer les élèves, trois semaines avant la rentrée, devant un ordinateur avec des logiciels d’écriture, de lecture par le jeu. On tient là une des clés du rattrapage des principaux retards.
Il faut aussi réfléchir au contenu des programmes, au nombre d’enseignants : il faut peut-être avoir moins d'enseignants au collège et davantage d'intervenants extérieurs à l'école primaire. Il est essentiel d'arriver à une meilleure cohésion entre école primaire et collège.

le Parisien
Est-ce que l'aménagement des rythmes scolaires ne permet pas déjà de multiplier les interventions à l'intérieur de l’école ?

Ségolène Royal. - Tout à fait, mais il faut relancer ce dispositif qui stagne aujourd’hui. S’il n’y a plus de nouvelles expériences d'aménagement des rythmes, c'est d'abord parce que ça coûte cher. C'est aussi parce qu’entre le ministère de l'éducation nationale d'un côté, celui de jeunesse et sports de l’autre, chacun tirait un peu dans son coin. Pour la première fois, quatre ministères viennent de signer un document de cadrage, le « contrat éducatif local » pour qu’enfin, sur le terrain, tous les moyens soient mis en commun au service de l'aménagement des rythmes scolaires. C'est très nouveau. L'éducation nationale apporte dans la corbeille de mariage 10 000 aides-éducateurs pour le primaire, qui viendra notamment soutenir ces contrats locaux. 10 000 aides-éducateurs sont également affectés aux collèges, car il faut étendre l'aménagement des rythmes. On a affaire à des ados qui se retrouvent parfois dans la rue à trois heures de l’après-midi. L’enjeu, c'est de maintenir l'ouverture des locaux après la classe.

le Parisien
Où en est-on de l'apprentissage précoce des langues étrangères ?

Ségolène Royal. - Cette année, on va généraliser l'apprentissage d'une langue étrangère dès le CM2 grâce à l'intervention d'assistants de langue, extérieurs à l’établissement. L'idée est de commencer dès le CM1 dans les années à venir. En primaire, l'enjeu de la lecture et du langage reste fondamental. Plutôt qu'un énième plan lecture, je préfère livrer des objectifs simples, comme étudier en classe un livre par semaine, retrouver l'habitude d'entendre le maître lire à haute voix de beaux textes. Nous organiserons au printemps des États généraux de la lecture et du langage pour profiter du formidable foisonnement d’initiatives et d'expériences pédagogiques et en tirer des mesures simples.

Le Figaro Madame, 5 septembre 1998

Brigitte Benkemoun. - Quand vous observez l'année scolaire qui commence, de quels changements êtes-vous satisfaite ?

Ségolène Royal. - Nous nous étions fixé trois priorités : l'amélioration des conditions de vie à l’école, la lutte contre l'exclusion et l’accentuation de la réussite scolaire pour tous. Dans ces trois domaines, les choses ont avancé. Sur la lutte contre l’exclusion, nous avons mis en place un fonds social pour les cantines auquel je tenais particulièrement. Je crois que l'accès au savoir pour tous impose que soient résolus, en amont, des problèmes sociaux comme celui-ci ou la lutte contre la violence dans les établissements, ou encore la relance de la politique de santé scolaire.

B. B. - Y a-t-il, en revanche, un domaine où vous regrettez de ne pas avoir pu agir ?

S. R. - On nous reproche déjà d'en avoir trop fait ! Donc, honnêtement, je ne crois pas que nous pouvions changer davantage en un an sans produire de saturation. Néanmoins, les idées lancées, comme les initiatives citoyennes ou bien la semaine nationale pour les parents d'élèves à l’école, vont maintenant se généraliser et se consolider. Et il me faut attaquer d'autres chantiers, dans le primaire et au collège.

B. B. - Au poste que vous occupez, qu'est-ce que cela change d'être femme et mère ?

S. R. - Ce n'est pas à moi de le dire. Je suis avant tout une responsable politique, bien sûr femme et parent d’élèves.

B. B. - Mais dans le souci, par exemple, d'accorder une place importante aux parents dans l’école ?

S. R. - Ce n'est pas parce que je suis parent d’élèves, mais parce que je considère que l’idée de modernisation des relations sociales, défendue par le gouvernement, doit aussi entrer à l’école. Les choses y sont parfois excessivement figées. Il y a une sorte de méfiance réciproque. Pour réussir, l'école a besoin des familles. Dès cette rentrée, je lance une campagne d'information destinée aux parents, suivie d'une semaine des parents à l’école, courant octobre. Je veux aussi généraliser, en maternelle et en primaire, le « cahier de vie ». École, élèves et parents témoignent en commun de la vie de l’enfant, de ses découvertes, de ses joies ou de ses problèmes, à l’école et chez lui. C'est ensemble qu'on aidera l’enfant à s'épanouir et mieux se conduire. L’école ne doit pas disqualifier les parents, et les familles doivent relayer et soutenir les efforts des professeurs.

B. B. - Une de vos premières actions a été, cette année, de rénover la maternelle. Était-ce vraiment une priorité ?

S. R. - C'est vrai que les parents sont satisfaits de la maternelle. Notre école maternelle fait aussi des envieux à l’étranger. Mais elle est perfectible. Elle doit notamment contribuer davantage à la prévention de l'échec scolaire. La maternelle doit rester l'école de la liberté, de la créativité, de l’initiative, mais j’ai souhaité un renforcement de l'apprentissage du langage oral et déjà de la lecture et de l’écriture. Ce n'est pas une garderie ni une école où l'on ne fait que s’amuser. Si certains élèves y sont en échec scolaire, il faut les repérer. S'ils sont en demande de lecture, il faut y répondre. La grande section et le CP font partie du cycle 1. Il faut donc que les deux classes travaillent plus étroitement. Et que l'on puisse faire avancer ceux qui en ont envie et donner un bon niveau d'expression orale à tous les enfants.

B. B. - Vous êtes favorables à la scolarisation à deux ans. Vous pensez que l'école est prête pour cela. Ou même faite pour cela ?

S. R. - Oui. Pour moi, c'est très important d'y parvenir, pour les familles qui le souhaitent, bien sûr. Je suis convaincue que c'est un facteur de réussite scolaire. Il faut simplement que l'école maternelle s’adapte à ces élèves qui n'ont pas les mêmes problèmes et le même éveil psychomoteur. J'ai mis en place des structures de réflexion sur les horaires, les systèmes de passerelle école-crèche ou école-famille qu'il faudrait inventer. En milieu rural, pour faire face aux grandes inégalités de scolarisation, je vais encourager les maîtres itinérants.

B. B. - On passe à l'école élémentaire. Quels sont vos objectifs ?

S. R. - Mon grand chantier de cette année scolaire est d’engager une action forte afin que les enfants arrivent en sixième en sachant bien lire et s’exprimer. C'est une bataille fondamentale contre l'exclusion scolaire. Il y a trop d'échecs aujourd’hui. Plus on s’y prend tôt, plus on est capable de remettre dans le circuit des enfants qui auraient pu être marginalisés. Un nouveau partenariat avec les parents est déterminant. Actuellement, les élèves lisent insuffisamment. Or, pour savoir bien lire, il faut lire beaucoup, et avec plaisir. Nous avons également une chance extraordinaire à saisir avec les nouvelles technologies. Certains enfants, qui sont en situation d'échec devant la lecture, sont métamorphosés par l'accès au multimédia.

B. B. - Justement, où en est l'équipement des établissements ?

S. R. - 80 % des lycées et 60 % des collèges sont déjà équipés. La situation est très disparate, en revanche, dans le primaire. Certains départements sont déjà complètement pourvus, alors que pour d’autres… Claude Allègre vient de redonner une impulsion grâce à une convention signée avec l'ensemble des opérateurs pour des offres à des prix très accessibles. Nous avons mis en place un fonds de la Caisse des dépôts et consignations deux 500 millions de francs pour des prêts à taux zéro pour les collectivités locales. Et il faut encourager les projets qui s'organisent autour de regroupements de communes. Mais il y a encore beaucoup à imaginer. Un problème me tient particulièrement à cœur : le soutien scolaire pendant les vacances. Avec le multimédia, des choses extraordinaires deviennent envisageables dans ce domaine.

B. B. - Ce n'est pas donné à tout le monde.

S. R. - J’envisage, dans les ZEP (zones d'éducation prioritaire), le prêt d'un ordinateur portable aux élèves en difficulté et qui seraient particulièrement motivés. Comme on prête aujourd'hui des livres, demain on doit prêter des ordinateurs portables. Le respect du matériel fait également partie de l’apprentissage. Je crois que nous n'avons pas idée de ce que le multimédia va bouleverser dans l’école. Il va entraîner aussi une revalorisation du rôle des enseignants : même à distance, ils pourront corriger les devoirs de vacances, dialoguer avec leurs élèves, au même titre qu'il y a, aujourd’hui, des écoles et des collèges ouverts l’été, avec des enseignants volontaires.

B. B. - Pour le collège, vous avez réalisé un audit. Quelles idées en avez-vous tirées ?

S. R. - Il s’agit d'améliorer le fonctionnement des collèges autour de quelques actions simples mais déterminantes : la qualité du chef d’établissement. Le renforcement du rôle de professeur principal et de celui du conseiller principal d’éducation. Des études dirigées de la sixième à la troisième, animées par des professeurs. Le soutien individuel aux élèves en difficulté (avec des animations SOS lecture pour ceux de sixième), ainsi que l'aménagement des rythmes scolaires et l'ouverture des locaux pour permettre des activités jusqu'en fin d’après-midi (il faut savoir que deux élèves sur trois ne pratiquent aucune activité en dehors des cours du collège).

B. B. - Les collèges sont surtout confrontés au problème de la violence ?

S. R. - Nous avons mis en place un dispositif. Quand la violence est là, il faut la faire régresser. Quand elle est brutale, il faut faire intervenir les comités locaux de sécurité. Là aussi, les mentalités ont beaucoup évolué : il y a quelques années, il était impensable qu’un commissaire de police entre dans un lycée. Désormais, c'est un partenariat non seulement accepté mais recherché. Ils travaillent même en liaison avec les élèves, qui sont d'ailleurs les premières victimes de la violence.

B. B. - Mais comment agir sur l'école quand les problèmes que l'on y rencontre dépassent largement le cadre scolaire ?

S. R. - On peut faire bouger les choses en prenant les problèmes à bras-le-corps. En s'attaquant par exemple à la question de l'hébergement des collégiens. Je voudrais créer des foyers, recréer des internats. Des internats de quartier pour les élèves n'ayant pas de place chez eux pour travailler. Pour que de bons élèves ne basculent pas en situation d'échec en raison de problèmes liés à la pauvreté. Des associations caritatives comme ATD Quart-Monde ne cessent de réclamer ce genre de mesures.

B. B. - Dès le collège ?

S. R. - Oui, dès le collège. Parce que c'est à l'adolescence que les problèmes vécus par les élèves peuvent compromettre leur avenir scolaire. Il y a d'autres types d'hébergement à imaginer pour les élèves difficiles. Il faut les sortir des classes qu'ils perturbent, mettre fin au phénomène de bandes et de caïds, créer des classes relais. Mon objectif est d'ouvrir 250 classes relais de ce type, au lieu de la soixantaine existante.

B. B. - Où les perturbateurs sont entre eux ?

S. R. - Oui, entre eux, mais encadrés et par groupes de six ou sept seulement. J'ai également des projets de jumelage rural-urbain. Il s’agirait d’emmener en milieu rural deux élèves qui ne sont pas des délinquants, mais qui ont besoin de prendre de la distance par rapport à leur quartier. Il faut envisager cela comme une récompense. Il y a des places en internat donc les petits collèges ruraux. Ce serait également un moyen de maintenir ces établissements et de lutter contre la désertification des campagnes. Je lance une expérimentation à la rentrée dans trois collèges ruraux de l'Est de la France et pour des élèves scolarisés en région parisienne.

B. B. - Revenons à la rentrée. Quels souvenirs avez-vous de vos rentrées des classes ?

S. R. - Que de bons souvenirs. Je dois presque tout à l’école. Autour de moi, aucune femme ne travaillait. J'ai très vite compris que l’école était ma chance d'accéder à l’indépendance. Ce sont mes professeurs de mon collège rural qui m'ont le plus marquée. Je me souviens encore presque de chacun d’eux et de la solidité de ce qu'ils m'ont enseigné : principes, connaissances et méthodes de travail.

B. B. - On imagine que tout cela doit influencer votre conception de l’école ?

S. R. - Sans doute ! Tous les jours, je me dis que j'ai une responsabilité extraordinaire : faire en sorte que l’école soit une chance pour tous. On ne répare que difficilement ce qui a été raté dans l’enfance. Plus tard, on peut toujours se rattraper. L’enfance, elle, est passée une fois pour toutes. Et ce qui n'a pas été appris le sera plus difficilement. L'école doit rendre les enfants curieux du monde, leur apprendre le sens de l’effort, leur donner les capacités de réussir leur vie. Il faut qu'un enfant puisse croiser des adultes qui lui donnent envie de devenir adulte. S'il n'a pas la chance de les trouver dans sa famille, il doit pouvoir les trouver à l’école.