Texte intégral
RMC : vendredi 30 septembre 1994
RMC : Que pensez-vous de ces chiffres du chômage et de l'analyse de M. Giraud ?
C. Cumunel : Je crois que les chiffres du chômage démontrent une chose toute simple, c'est que la reprise est très fragile et que nul ne peut dire aujourd'hui que nous sommes partis sur un chemin où tout va s'améliorer. Le chômage reste difficile. Il y a trois éléments qui montrent que le chômage n'est pas résorbé et que nous ne sommes pas prêts de la résorber. Il y a tout d'abord le fait que les entreprises embauchent essentiellement sur CDD, peu ou pas du tout de CDI. La deuxième chose est que la durée moyenne du chômage est toujours supérieure à un an. Et troisième point, c'est le taux de chômage, 12,6 %. Comparons un peu avec les pays avec lesquels nous avons l'habitude de travailler : l'Allemagne. Nous sommes à un taux de chômage deux fois supérieur à l'Allemagne. Le Japon : taux trois fois supérieur.
RMC : Ça intéresse beaucoup les cadres aujourd'hui, le chômage ?
C. Cumunel : Ça les intéresse depuis 91, avec une année noire particulièrement dure, 1993, 35 % du taux de chômage des cadres, mais surtout une nouvelle réalité. En 1993, depuis la première fois depuis la dernière guerre, le nombre des cadres dans les entreprises a baissé. 15 000 postes de cadres supprimés en 93. Aujourd'hui, quelques frémissements. Mais je crois que nous ferions une erreur, tous, de considérer que parce qu'il y a plus d'offres d'emploi aujourd'hui, et c'est vrai, que cela veut dire qu'il y a plus de recrutement. Je prends le problème des cadres. Sur un an, les offres ont augmenté de 25 %, les recrutements de 8 %. Il y a donc une situation difficile. Je tiens à rendre hommage à la déclaration de Mme Veil. Ça fait trois ans qu'à la CGC, nous dénonçons le phénomène du chômage de qualification. Ça fait trois ans que nous demandons aux gouvernements successifs de mettre en place des politiques de l'emploi qui soient ciblées, démultipliées, qui prennent en compte la réalité des chômeurs, les jeunes, les moins jeunes, les qualifiés, les non-qualifiés. Et dans ce sens, nous avons dénoncé l'absurdité de cibler les exonérations des charges sociales uniquement sur des emplois non-qualifiés. Les entreprises ont besoin de compétences, de qualifications, elles ont besoin d'individus, d'hommes et de femmes qui s'investissent. Et Mme Veil a annoncé qu'elle mettait en garde sur l'absurdité de continuer une politique d'exonération des charges sociales sur les emplois non-qualifiés. Il faut avoir une politique d'exonération qui touche l'ensemble des catégories de personnel de telle sorte qu'on crée une dynamique de l'embauche, au moins du maintien de l'emploi dans les entreprises.
France Inter : vendredi 30 septembre 1994
B. Jeanperrin : Ça veut dire que le gouvernement Balladur a tout faux sur la manière dont il s'y prend pour donner un coup de pied pour que la relance aille plus vite ?
J.-L. Hees : Je ne dirais pas simplement le gouvernement Balladur, les gouvernements successifs depuis des années. Nous confondons, en France, d'une manière générale, la politique de l'emploi et la politique de redistribution des revenus. On ne peut pas à la fois vouloir faire une politique de redistribution des revenus et une politique de l'emploi. Aujourd'hui, l'urgence, c'est de tout mettre en œuvre pour que l'emploi soit favorisé. L'emploi dans les entreprises afin d'éviter les licenciements, l'emploi par la création d'entreprises, mettre en place ce que le gouvernement appelle les emplois de proximité et que j'appelle les emplois de qualité de vie, qui correspondent aux évolutions de société. Et puis ça veut dire aussi tout simplement un budget qui soit porteur d'espoir et pas simplement un budget à la Balzac.
J.-L. Hees : Qu'est-ce que tout ça a modifié dans l'esprit des cadres, dans leur culture, car ils étaient protégés ?
C. Cumunel : Je ne sais pas si les cadres avaient été véritablement protégés. Nous fêtons aujourd'hui nos 50 ans, la CGC s'est créée au lendemain de la Libération par ce qu'à cette époque, il y avait des ingénieurs et des cadres qui voulaient participer à la reconstruction de la France. Et toute l'histoire de notre organisation syndicale, ça a été d'être des partenaires, des acteurs, d'être actif dans l'entreprise, actif dans l'économie.
J.-L. Hees : C'est un langage économique pas tellement social ?
C. Cumunel : Un langage économique et social. Nous sommes une organisation spécifique mais pas catégorielle. Nous nous intéressons à tout le monde, aux problèmes de l'entreprise, de la société, des retraités et des jeunes. Et ce que nous constatons, pas simplement de la part des cadres, des jeunes, des plus anciens, c'est que c'est le désarroi, le doute, des interrogations : que veut dire l'Europe ? Le monde ? La finalité économique ? La seule réponse dont ils ont l'impression, c'est que tout est négatif : une exclusion forte, peu d'embauche de jeunes, des personnes qu'on considère aujourd'hui comme âgées à 50 ans. Alors comment construit-on la France ? Comment donner une cohésion sociale ? La cohésion, ce n'est pas simplement des mots, c'est de l'action, c'est une manière de porter un regard sur les hommes et les citoyens qui constituent la France.
B. Jeanperrin : Est-ce que la CGC porte vraiment ce regard ?
C. Cumunel : Nous avons nos difficultés mais les organisations syndicales ont leurs difficultés, les partis politiques aussi, parce qu'il y a une tradition très française qui est qu'on aime contester mais on ne s'engage pas pour autant dans un mouvement. C'est une réalité. Deuxième chose, les avantages ou les acquis des cadres : c'est nous qui avons créé, en 47, la caisse de retraite complémentaire des cadres mais c'est grâce à notre action pour les cadres que l'on a créé ensuite la caisse de retraite pour les non-cadres. Donc notre dynamique a contribué à l'ensemble des journalistes.
J.-L. Hees : Est-ce que les cadres croient encore en l'entreprise ?
C. Cumunel : Les cadres croient encore dans l'économie et l'entreprise mais avec de plus en plus de distance. Ils veulent bien investir, ils veulent bien donner beaucoup d'eux-mêmes, mais ils veulent être respectés. Ils veulent à la fois concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Ils ne veulent plus tout donner parce qu'ils ont découvert que plus ils donnaient, moins on leur donnait.
J.-L. Hees : Vous intéressez beaucoup le monde politique, puisque lors de votre célébration du cinquantenaire de la CGC, vous allez avoir deux candidats possibles ?
C. Cumunel : E. Balladur parce qu'il est le Premier ministre, et J. Chirac parce qu'il est maire de Paris.