Texte intégral
Monsieur le Secrétaire général,
Je voudrais d'abord vous remercier des paroles que vous venez de prononcer et des vœux que vous m'avez adressés. Et je voudrais profiter de la circonstance qui nous réunit ce matin pour vous dire combien j'apprécie votre action au poste particulièrement lourd et important qui est le vôtre.
Cette responsabilité est multiple. Elle est d'abord de coordonner les services de cette maison que dont avez dit vous-même tout à l'heure qu'ils avaient peut-être, parfois, pris l'habitude de ne pas travailler suffisamment ensemble et vous y avez mis, je crois, en grande partie bonne ordre. Il vous incombait aussi, et c'est la mission que je vous avais confiée, de veiller à l'application de la réforme qui a été lancée en 1993. Connaissant un peu l'administration, je sais que le propre des réformes est de s'ensommeiller très vite. Il fallait donc quelqu'un pour sonner le réveil le cas échéant, et vous l'avez fait tout au long de cette année 1994. Je n'oublie pas bien sûr l'un des aspects fondamentaux de votre mission qui est aussi de participer à la conception et à l'explication de la politique étrangère de la France comme vous l'avez fait à l'occasion d'un certain nombre de déplacements tout à fait utiles.
Je vous souhaite donc bonheur, santé, réussite pour vous-même, pour Mme Dufourcq et pour tous ceux qui vous sont chers en cette année 1995.
Mesdames et Messieurs, à vous tous et à vous toutes, au nom d'Alain Lamassoure, j'en suis sûr et en mon nom, je voudrais aussi souhaiter une bonne année et de tout cœur. C'est rituel, mais les rites cela compte. Croyez bien que ces vœux viennent du fond du cœur.
Comme le Secrétaire général, je voudrais bien sûr avoir tout d'abord une pensée pour les fonctionnaires du Quai d'Orsay qui sont en poste dans des pays troublés, parfois dans des pays où ils risquent quotidiennement leur vie et tout particulièrement bien sûr à ceux de nos collègues qui se trouvent en Algérie. C'est avec émotion que je pense aux agents du Département qui ont été assassinés durant cette année 1994 : Mme Afri, M. Toureille – en août – sur le site d'Ain Allah avec un agent de la Pairie et trois gendarmes et, la semaine dernière encore, dans des circonstances particulièrement dramatiques que nous avons ici presque vécues en direct, M. Yannick Beugnet, dont beaucoup appréciaient le rayonnement et les qualités. Tous ont payé de leur vie le fait d'être fonctionnaires de la République et je tenais ici, avec vous, à leur rendre hommage et à adresser leurs familles nos condoléances les plus attristées.
Je voudrais également vous remercier d'avoir su tout au long de cette année garder l'esprit d'équipe et de convivialité qui fait un vrai ministère ; non pas une juxtaposition de services mais une équipe. J'y tenais beaucoup et je crois que grâce à l'impulsion du Secrétaire général, grâce à aux méthodes de travail de mon Cabinet, auquel je tiens, bien que ce ne soit pas d'usage, moi aussi, à rendre hommage et au comportement de chacune et de chacun d'entre vous dans les responsabilités que vous avez dans l'Administration centrale, nous avons pu créer cet esprit d'équipe. Esprit d'équipe, d'ailleurs, qui nous amène aussi à penser à d'autres membres de cette maison qui, dans d'autres circonstances, nous ont prématurément quittés, je pense tout simplement à l'une des figures que je rencontrais tous les matins ici en arrivant dans cette maison, je pense tout simplement à notre huissier, M. Dominique.
Depuis deux ans vous l'avez dit, monsieur le Secrétaire général, nous nous sommes attachés les uns aux autres à faire en sorte que la réforme du Quai d'Orsay devienne une réalité et je crois pouvoir dire que cette maison a bougé et c'est un fait qui est reconnu dans l'État. Nous avons mis en œuvre un certain nombre de décisions, je pense notamment aux réunions annuelles des ambassadeurs qui ont été chaque fois, je crois, un moment de rencontres, d'échanges, d'initiatives importantes. Je souhaite que ces réunions se pérennisent, il y en aura une autre en 1995, et qu'elles deviennent à la fois des réunions de famille et des réunions de travail approfondies.
Nous avons mis en place, vous l'avez rappelé, le comité interministériel des moyens extérieurs de la France, exercice Ô combien périlleux et nous avons pu mesurer la force des résistances à laquelle nous nous heurtions mais grâce à la ténacité qui a été mise par tous les responsables, de premiers résultats ont été acquis, d'abord le seul fait qu'il fonctionne, et qui puis aussi un certain nombre de décisions concrètes, je pense à l'accord sur la construction de notre ambassade à Berlin, à l'amélioration des procédures comptables de la gestion du personnel, à l'accord de principe – très important – qu'il faut maintenant traduire dans la réalité budgétaire, sur la création d'un budget d'action extérieure de la France comme il existe un budget de la recherche et du développement. Le rapport que j'avais demandé à M. Cuvillier, sur la situation des agents du ministère des Affaires étrangères a aussi permis de lancer quelques actions concrètes et j'espère que d'ici quelques années, si nous maintenons le cap qui a été donné, nous pourrons disposer à Paris d'un parc de logements suffisant pour accueillir les fonctionnaires et notamment ceux de catégorie C qui passent par l'Administration centrale.
Cette réforme c'était aussi la volonté de mobiliser l'ensemble des agents du Département en améliorant la circulation de l'information et si j'en juge, tout en faisant la part, évidemment, des formules convenues parce que j'entends dans les postes à l'Étranger lorsque j'y passe, c'est sans doute l'une des modifications qui a été le plus vivement et le plus positivement ressentie dans la réforme. Je n'aurais garde d'oublier la réforme de la direction générale des Relations culturelles, scientifiques et techniques, qui là encore, a été conçue et appliquée dans des délais tout à fait remarquables.
Il faut poursuivre ce processus de réformes et mettre l'accent sur un certain nombre d'objectifs peut-être plus encore que par le passé. J'en cite quelques-uns : l'exigence des coordinations des services, nous en avons parlée vous et moi, la mobilisation des postes à l'étranger, la sécurité sous ses différents aspects, y compris la sécurité de l'information.
Nous pourrions également réfléchir au cours de cette année 1995 et ce sont des thèmes que je vous propose à de nouvelles avancées dans cette réforme, j'en cite quelques-unes l'organisation des postes à l'étranger. Je crois qu'il nous faut rengager une réflexion sur ce que pourrait être différentes catégories de poste-type, en fonction de la taille des pays ou des missions qui leur sont assignées. Je sais, que la direction générale de l'Administration et l'Inspection réfléchissent déjà à ces problèmes. Je sais vous l'avez rappelé, Monsieur le Secrétaire général, que ce type de réforme réussit d'autant mieux que la rigueur budgétaire n'est pas trop contraignante ; elle l'est, je crains qu'elle ne le reste quelle que soit la pugnacité que nous déployons, il faut prendre ces contraintes comme des bonnets et faire preuve, sans cesse, preuve d'imagination. Il nous faudra malgré tout procéder vraisemblablement, en 1995, à un réexamen de l'économie générale du chemin d'adaptation des réseaux et voir quelles sont les modifications qu'il convient de lui apporter.
Je souhaiterais enfin prolonger la réforme de 93 par deux actions. Tout d'abord une réforme de l'Inspection générale, je suis en train de l'examiner avec M. Hennekine. Des propositions m'ont été soumises et nous en parlerons dans quelques jours. Nous devons disposer, au Département et dans le processus interministériel, d'une Inspection qui soit véritablement un détecteur des dysfonctionnements administratifs et je compte donc prolonger la réforme du Département par une réorganisation ambitieuse de l'Inspection.
Deuxième piste de travail et de recherche : une réflexion sur ce qui pourrait être et devrait à l'avenir, et j'hésite à utiliser cette formule qui peut paraître trop ambitieuse, un ministère idéal des Affaires étrangères, ses compétences, sa place dans l'État, son rôle dans l'aide au développement, dans la réflexion économique et financière. Je crois que nous ne pouvons pas faire l'économie de cette réflexion. J'ai observé qu'elle était lancée ailleurs et il est d'autant plus nécessaire que nous la menions nous-mêmes.
Voilà pour ce qui est de l'instrument diplomatique que nous constituons ici dans cette maison et auquel, vous l'avez remarqué, je pense depuis presque deux ans, vos ministres sont tout particulièrement attachés. Cet instrument n'a de sens que s'il est au service d'une politique étrangère active, c'est sa raison d'être bien entendu. Je ne voudrais pas, après le Secrétaire général, refaire le bilan fût-il rapide de l'année 1994. Nous avons été en permanence au créneau. Nous avons eu à gérer, comme on dit, des crises régionales d'une ampleur inaccoutumée, celle du Rwanda notamment. A-t-on déjà oublié que les victimes se comptent par centaines de milliers dans cet abominable conflit et les réfugiés par millions. Je crois que le succès de l'opération Turquoise a montré qu'une fois encore la France doit dans certaines circonstances monter en première ligne, seule au besoin, pour montrer l'exemple.
D'autres conflits, bien sûr, ne cesseront de nous mobiliser dans les mois qui viennent ; l'Algérie. Je voudrais sans revenir sur les événements qui se sont déroulés à la fin de l'année 1994, vous dire malgré tout combien le ministère des Affaires étrangères et la cellule de crise qui a fonctionné depuis le moment où nous avons appris le détournement de l'avion sur l'aéroport d'Alger et jusqu'au moment où il s'est posé sur l'aéroport de Marseille, combien les fonctionnaires qui ont fait vivre cette cellule de crise ont été exemplaires tout au long de ces longues journées d'un week-end de Noël un original pour beaucoup d'entre eux, et je voudrais ici leur en dire toute ma gratitude. Le ministère des Affaires étrangères a montré, en la circonstance, qu'il savait accomplir sa mission avec rapidité, dévouement et efficacité.
Nous aurons aussi bien des soucis, j'en suis sûr, quels que soient les éclaircies qui sont apparus, à la fin de l'année 1994, avec la crise en Yougoslavie, certes la cessation des hostilités est aujourd'hui à peu près respectée. Certes, on peut espérer que se réenclenche le processus de négociation, mais nous ne sommes jamais à l'abri dans ce conflit Ô combien complexe.
D'autres succès de la diplomatie française sont à rappeler au titre de l'année dernière. Je pense au très bon démarrage du Pacte de stabilité qui se conclura dans quelques mois. Je pense à la manière dont nous avons accompagné avec le ministère de la Coopération la dévaluation du franc CFA. Je pense à d'autres initiatives qui peuvent apparaître plus ponctuelles mais porteuses d'Ô combien de développements futurs le dialogue avec la Chine, par exemple, qui a été renoué à l'occasion du voyage du Premier ministre après toute la préparation diplomatique que nous avons lancée dans cette maison dès le mois d'avril 1993.
Tournons-nous un bref moment, car je ne voudrais pas prolonger ce propos, vers les mois qui sont devant nous. Vous l'avez rappelé, Monsieur le Secrétaire général, nous sommes à quelques mois maintenant, trois mois, d'une échéance électorale importante, d'une échéance électorale essentielle dans la vie politique de notre pays. Nous y participerons les uns et les autres en fonction de nos convictions et de nos engagements respectifs, ce que je souhaite c'est que cela ne freine en aucune manière le fonctionnement régulier de cette maison qui doit rester durant cette période mobilisée aussi fortement, aussi continûment qu'il ne l'a été par le passé. Nous avons en effet à relever un défi, d'une certaine manière, qui est celui que je proposais d'ailleurs aux ambassadeurs en septembre de l'année dernière, qui est celui de la réussite de la Présidence française. Je ne rencontre pas de journalistes qui ne me disent que : « vous n'y arriverez pas, la présidence française comme la présidence allemande souffrira du calendrier électoral et vous ne pourrez rien faire ». Voilà une affirmation gratuite qu'il faut faire mentir dans les mois qui viennent et je compte sur vous, quel que soit votre poste, que ce soit un poste européen ou autre, parce que tout le monde doit y contribuer, pour que cette présidence soit un succès. Vous en connaissez les grands objectifs : mise en œuvre des principales initiatives décidées en faveur de la croissance et de l'emploi, renforcement de la sécurité du continent européen, affirmation de notre identité culturelle et du plurilinguisme en Europe, recherche pour concrétiser la dimension sociale de la construction européenne, préparation aussi du grand rendez-vous institutionnel de 1996. Il y a fort à faire, tout cela ne sera pas bouclé sous la présidence française bien sûr mais tout cela doit être engagé et nous devons être capables de donner les impulsions nécessaires. Sachez qu'avec Alain Lamassoure nous y consacrerons tout le temps et toute l'énergie qu'il faudra.
Nous aurons à être présents dans un certain nombre de grandes crises connues ou à venir, j'en ai cité quelques-unes. Enfin l'année 95 sera également marquée par le 50e anniversaire des Nations unies et je voudrais pour conclure rappeler que nous avons fait de notre engagement au sein de l'Organisation des Nations unies un axe fondamental de notre politique étrangère. L'activité de cette organisation est aujourd'hui critiquée, souvent de manière très injuste, et l'on voit réapparaître la tentation de l'unilatéralisme qui peut nous amener à toutes sortes de dérive. Eh bien je crois que l'une des responsabilités de la France sera aussi de combattre cette tendance néfaste et d'améliorer l'efficacité de la contribution que les Nations unies apportent à l'ordre international.
Je ne saurai, évidemment, dans un propos de ce genre être exhaustif, voilà quelques-unes des pistes ou des priorités qui seront les nôtres durant l'année 1995. Vous m'avez dit, Monsieur le Secrétaire général, que je pouvais compter sur vous au sens collectif du terme, pour les mettre en œuvre, je n'en doute pas et vous en remercie à l'avance et je vous dis encore « Joyeuse année 1995 ».