Texte intégral
M. Cotta : Vous avez appelé à voter pour E. Balladur il y a plus d'un an. Avez-vous changé d'avis ?
S. Veil : Non, mais je n'appelais pas à voter E. Balladur. Je disais simplement qu'il ferait un très bon candidat. Et même un très bon Président.
M. Cotta : J. Chirac publie, ce matin, le second volume de ses réflexions. Il affirme que nous sommes en état « d'urgence sociale » ; trouvez-vous le constat exagéré ?
S. Veil : Tout d'abord, la perte de confiance dans les politiques ne tient pas seulement à la situation. Elle tient au fait que, pendant des décennies, on a vécu sur l'idée que si tel autre mouvement était au pouvoir, la vie changerait. Souvenez-vous de la campagne de 1981 et de tous les rêves qu'elle a pu entraîner. Maintenant, partout dans le monde, il n'y a plus d'idéologies qui soient des utopies ou des idéologies de miracle. Les gens ont le sentiment que la politique ne peut plus leur apporter de solution. C'est l'une des raisons de la perte de crédibilité des politiques ; ce n'est pas la seule mais elle est profonde. Les gens ont besoin de rêver et n'ont plus le sentiment que la politique est capable de tout changer, et notamment d'apporter une solution à ce qui est le motif d'inquiétude le plus grave, le chômage.
M. Cotta : Est-on en état d'urgence sociale ?
S. Veil : On est en état d'urgence sociale, mais pas seulement depuis aujourd'hui. La situation s'est progressivement dégradée et on n'en a pas pris suffisamment conscience. Même quand je suis arrivée au ministère, il y a vingt mois, j'ai trouvé une situation sociale beaucoup plus dégradée que je ne le pensais. Ça n'avait aucun rapport avec ce que j'avais connu il y a vingt ans. Je dis cela parce que je suis malheureusement bien placée pour le voir puisque c'est très largement de mon ministère que dépendent des situations à réparer, pour lesquelles il faut essayer de trouver des solutions. Ce sont des situations sociales qui ont subi, en amont, les problèmes du chômage, qui entraînent des problèmes de logement, des restructurations familiales qui sont aussi une cause importante de ce phénomène. Mais tout cela est lié.
M. Cotta : Quand J. Chirac écrit que « plus de la moitié de la population française n'est ni entendue, ni défendue », quelle est la réaction du ministre des Affaires sociales ?
S. Veil : D'abord, ils sont défendus depuis très longtemps, et même avant que ça devienne un problème aussi crucial, par tout le monde associatif et le monde caritatif.
M. Cotta : Pas par le monde politique donc : n'est-ce pas un problème ?
S. Veil : Non, c'est vrai, vous avez raison. Peut-être parce qu'il y avait cette tradition française historique, le monde politique a très longtemps considéré que c'était les Églises qui prenaient en charge ce genre de situation sociale. C'est seulement quand elles sont devenues vraiment lourdes que le monde politique s'est senti interpellé.
M. Cotta : Tout le monde est interpellé, maintenant.
S. Veil : Tout le monde, parce qu'ils descendent dans la rue, parce qu'on ne peut pas les ignorer. Dans les phénomènes d'exclusion, on pense aussi à d'autres phénomènes de situation sociales très dégradées sans être d'exclusion au sens du « sans domicile fixe ». Il y a donc une espèce de nappe qui s'étend à des populations de plus en plus importantes et on ne peut plus l'ignorer. C'est une bonne chose qu'on ne puisse plus l'ignorer. Comme ministre des Affaires sociales, je n'ai pas pu l'ignorer. Ce que je tiens à dire, c'est que les socialistes ne voulaient pas le voir. Ils pensent, en· effet, que la société toute entière doit être telle qu'elle ne peut pas sécréter de telles situations. Si elle ne peut pas le faire, on ne s'occupe pas de le traiter. J'ai trouvé un ministère des Affaires sociales qui n'était plus en état de traiter ce type de situation.
M. Cotta : Et la surenchère sociale de tous les candidats ? E. Balladur a visité, hier, ATDQuart Monde.
S. Veil : Je peux vous dire qu'E. Balladur avait déjà rencontré la présidente d'ATD-Quart Monde, G. de Gaulle-Anthonioz, il n'y a pas loin d'un an. Au mois de novembre, nous avions pris rendez-vous pour aller à Noisy. C'est un mouvement que, pour ma part, je connais depuis trente ans environ – je travaille avec eux –, alors ce n'est pas nouveau.
M. Cotta : Quand. J. Chirac se positionne à gauche de la droite, vous pensez que le positionnement au centre est plus naturel et qu'E. Balladur en est le représentant ?
S. Veil : Se positionner à gauche de la droite sur les exclus, je trouve que ce n'est pas bien. Le problème n'est pas là. Il faut se positionner dans la justice, dans l'humanité, dans l'humanisme. Je parle des associations parce que ce sont elles qui ont fait un travail admirable depuis des années. Il y a des gens de droite et de gauche au Secours catholique, à ATD-Quart Monde. Ce sont simplement des gens qui ont le sens de l'humain, qui ne supportent pas de voir des femmes et des hommes confrontés à cette situation. Quand on dit qu'on se positionne sur cette situation, il faut dire comment on va payer. C'est ce que je demande. Ça coûte très très cher et donc, ça demande des sacrifices à d'autres. Alors qu'est-on capable de demander aux Français qui sont plus privilégiés pour aider ? Et il faut qu'ils le fassent. Sans argent, on ne fait rien. Il ne suffit pas d'avoir de la volonté et de dire je vais faire ça.
M. Cotta : Pensez-vous qu'E. Balladur est le candidat naturel de l'UDF et dans ce cas, faut-il regrouper l'UDF et le RPR après l'élection ?
S. Veil : Je crois qu'il y a des moments où une formation peut considérer qu'elle a un candidat qui ne vient pas de ses rangs mais qui remplit parfaitement le rôle et peut assumer les responsabilités et les objectifs d'une formation. Je ne suis plus inscrite à l'UDF, donc ça m'est difficile de me mettre cette place. J'y ai été longtemps et j'estime qu'aujourd'hui, ce qui est important, compte tenu de la situation difficile à laquelle nous sommes confrontés, c'est E. Balladur qui me paraît être le grand rassembleur. D'ailleurs, on le voit : il rassemble déjà presque toutes les formations de I'UDF puisque tous leurs leaders se sont successivement prononcés pour sa candidature.
M. Cotta : Pourriez-vous être le Premier ministre d'un président de la République qui s'appellerait E. Balladur ?
S. Veil : La question ne se pose absolument pas. Pour l'instant, nous sommes dans une campagne présidentielle qui va s'ouvrir prochainement et il s'agit de montrer, d'aider l'actuel Premier ministre à montrer qu'il est non seulement capable de rassembler – ce qu'il fait déjà –, mais aussi de faire bouger les choses. Je crois qu'il saura le faire.