Déclaration de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur la place de la zone franc dans l'union économique et monétaire à 100 jours de la naissance de l'euro, Paris le 1er octobre 1998.

Prononcé le 1er octobre 1998

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence "l'Europe et la zone franc, pôles de stabilité et de croissance dans une économie mondiale en mouvement", à Paris, le 1er octobre 1998

Texte intégral

Messieurs les Ministres, Messieurs les Gouverneurs, chers amis, je veux vous dire le plaisir que j'ai de vous retrouver à  Paris.

C'est la troisième fois que nous nous retrouvons depuis notre première rencontre ici même en septembre 1997 et, ensemble, nous avons pu voir le paysage évoluer. Si l'on s'en tient aux changements intervenus depuis notre réunion d'avril, à  Libreville, deux données méritent notre attention.

La première, c'est l'aboutissement d'un projet politique mûri de longue date : l'Union économique et monétaire de l'Europe. La mise en place de l'euro est entrée dans sa dernière ligne droite depuis le Conseil européen du mois de mai. L'irréversibilité du processus est aujourd'hui universellement admise. Pour ceux qui sont ici, ce n'est pas une surprise. Mais rappelons-nous l'espace d'un instant que cette qualité d'évidence n'a pas été partagée par tout le monde.

La deuxième donnée illustre a contrario ce qui peut se produire lorsque le projet politique et régulation collective font défaut. Je pense bien sûr à  la crise asiatique et, plus encore, à  ses rebondissements, vis-à-vis desquels il faut avoir le courage de reconnaître que nous avons été en partie désarmés.

Sur cette double évolution, je souhaite échanger avec vous analyses et propositions, comme je l'ai fait tout récemment avec les partenaires européens de la France.

1 - Notre réunion s'inscrit dans la perspective de l'avènement de l'euro, qui interviendra dans moins de 100 jours.

Vous le savez comme moi, cette étape n'altérera en rien notre coopération monétaire. Nous en avons longuement parlé à  Libreville. Depuis, selon votre voeu commun - dont les Banques centrales africaines se sont fait le relais - , la France s'est attachée à  obtenir une claire reconnaissance par ses partenaires européens de la pérennité de cette coopération et de sa parfaite compatibilité avec les engagements contenus dans les traités européens. Vous avez reçu le 6 juillet la bonne nouvelle de l'accord très précis qui est intervenu sur ce point au sein du Conseil des ministres de l'économie et des finances de l'Union européenne. J'y ajoute une confirmation : l'avis favorable de la Banque centrale européenne, qui vient de nous parvenir et qui nous permettra d'opérer avant la fin de cette année la mise en forme officielle de l'accord.

C'est donc adoubé par l'Europe que la zone franc va franchir le cap du premier janvier 1999. Il y a là  un moment important dans l'histoire de notre coopération et, ce moment, j'ai pensé que nous devions le marquer.

Telle est la raison pour laquelle j'ai pris l'initiative de convier à  nos travaux mon collègue et ami, le Ministre autrichien des finances, M. Rudolf Edlinger, qui préside actuellement le Conseil des ministres de l'économie et des finances de l'Union européenne. C'est lui qui vous présentera les termes de l'accord intervenu en juillet dernier, accord dont je dirais simplement ici qu'il assure dans les meilleures conditions possibles l'autonomie de gestion des accords de la zone franc, après l'avènement de l'euro.

Ce lien renouvelé - élargi à  l'Union européenne - est dans mon esprit une première concrétisation du thème de la « nouvelle alliance » dont j'avais parlé à  Libreville.

A mes yeux, cette nouvelle alliance ne serait pas possible sans ce que l'on pourrait appeler la modernité de la zone franc. Cette modernité vous en êtes les meilleurs artisans : les efforts d'assainissement macro-économiques que vous avez consentis n'ont peut-être jamais pesé aussi lourd qu'à  l'heure où nous sommes, celle du rendez-vous de la zone franc avec l'Europe. Je tiens à  le dire bien que je sache les secousses que la conjoncture impose à  certaines économies africaines, ou plus précisément parce que je les connais : c'est quand la mer se fait difficile que l'on se félicite d'avoir renforcé le navire.

Cette modernité, elle tient aussi à  ce que j'appellerai le réalisme de la zone franc. L'une des facettes de la mondialisation est l'exigence de stabilité, notamment en matière monétaire. Or la crise asiatique a montré combien il était difficile - et parfois même illusoire - pour des économies en développement de construire cette stabilité sans soutien extérieur. Quelles que soient les turbulences, l'ancrage à  l'euro donnera un effet de levier à  vos efforts de rigueur financière. Les retombées positives ont déjà  commencé. Je citerai un seul exemple : malgré leur hausse récente, les taux d'intérêts réels en zone franc restent inférieurs en moyenne à  5 %, alors que, dans la plupart des pays d'Afrique australe ils dépassent 10 %. Serait-ce le cas si les effets protecteurs de l'euro n'étaient pas là  ?

Dans l'avenir, la zone franc sera ce que nous en ferons. Pour qu'elle soit de plus en plus un outil au service du développement, il faut que l'Afrique accélère le passage de l'économie de rente à  l'économie de production. C'est l'un des thèmes que j'avais avancés à  Libreville, je n'y insiste donc pas sauf pour dire que c'est aussi une réponse à  la crise : intégrer vos économies vers l'aval, c'est l'un des moyens de réduire leur exposition aux chocs extrêmes. Ce combat est avant tout votre affaire mais nous comptons bien rester à  vos côtés. L'exemple que je citerai ici, il y a un an, lorsque vous nous aviez demandé de communiquer davantage pour vous aider à  attirer les investissements en zone franc.

Cela dit encore ayons acquis en tête : la zone euro devrait être en 1999 la zone de croissance la plus forte de toutes les économies industrialisées. L'Afrique devrait parallèlement se maintenir comme le pôle le plus dynamique du monde en développement, avec une croissance annuelle de 4 à  5 %.

Ces réalités sont une réponse éloquente aux « Afro-pessimistes » et aux « Euro-sceptiques ».

2 - Si la relation entre l'Europe et la zone franc est forte et protège, elle n'est pas pour autant une relation exclusive ou fermée. Elle doit vous permettre de mieux vous affirmer dans une économie mondialisée. Sur ce plan, la crise des pays émergents nous concerne :

- la crise plaide pour une libéralisation ordonnée de l'économie et des mouvements de capitaux. Que l'on me comprenne bien, ce serait une erreur cruciale de prôner le retour à  un protectionnisme, ou à  un contrôle des changes et des flux de capitaux. Le financement du développement a besoin de capitaux à  long terme et il est de l'intérêt des pays en développement de s'ouvrir aux capitaux privés ;

- elle plaide pour la solidarité des systèmes bancaires et financiers. Cela impose que les disciplines et les règles prudentielles soient mise en oeuvre, dans un cadre national, ou mieux encore comme vous vous y efforcez à  travers des règles et des instances de contrôle régionales ;

- elle appelle à  la poursuite des réformes des réformes de structures et en faveur de la transparence.

Je veux ici insister sur un point. Dans le contexte actuel de redéploiement des flux de capitaux, l'Afrique a tout gagner à  se montrer attractive. J'observe d'ailleurs que les flux d'investissements directs ont doublé en Afrique en 18997, alors qu'ils se sont contractés en Asie.

la crise souligne enfin la nécessité de trouver une réponse à  l'instabilité financière internationale et d'engager une réforme du système monétaire et financier international.

Dans cette perspective le Gouvernement français a proposé le week-end dernier à  ses partenaires européens un mémorandum qui tourne autour de douze propositions et de quelques idées fortes.

Il faut d'abord de donner au FMI une véritable légitimité politique en transformant le Comité intérimaire en Conseil, qui deviendrait un organe de décision authentique. C'est pour le partenariat entre l'Europe et l'Afrique, l'occasion de mieux faire entendre les préoccupations du développement : ces deux ensembles pèsent en effet pour près du tiers des droits de vote au FMI. Il s'agit ensuite de permettre aux institutions de Bretton-Woods d'assurer la solidité et la transparence du système financier international. Il s'agit enfin, sans remettre en cause le principe de la liberté des mouvements de capitaux, de mettre en place des conditions d'ouverture progressives et ordonnées, tenant compte des infrastructures financières des pays concernés.

J'y reviendrai plus en détails tout à  l'heure.

Plus que jamais, l'évolution de notre environnement doit nous conduire à  une double exigence : celle de la responsabilité et celle de la solidarité. Messieurs les Ministres, soyons heureux et fiers de démontrer que la zone franc est l'expression et l'exemple de cette double exigence.

Je vous remercie.