Interview de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'état à l'outre mer et ministre de l'intérieur par intérim, à Europe 1 le 16 septembre 1998, sur son rôle de ministre de l'intérieur par intérim, la situation en Corse, la régularisation de certains sans-papiers et le cas des non-régularisés, le redéploiement de 3000 policiers et gendarmes et la situation au Conseil régional de Rhône Alpes.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Est-il vrai que vous refusez d'occuper le bureau de J.-P. Chevènement ?

- « Oui, j'ai refusé parce que j'assure un intérim où J.-P. Chevènement avait son bureau, je me suis installé à côté, dans une grande pièce du ministère de l'Intérieur, mais j'assure l'intégralité des fonctions. »

Q - C'est-à-dire que le commandeur reste ministre ?

- « Le ministre, J.-P. Chevènement, reste celui qui inspire la politique, dans le cadre du Gouvernement. Mais moi, je suis là  pour assurer la continuité de l'Etat et je le ferai. »

Q - Un ministre par intérim, c'est juridiquement un ministre à  part entière. Mais politiquement et en l'occurrence, est-ce que vous vous estimez ministre à 100 % ?

- « Oui. En tout cas, je remplis mes fonctions avec cet objectif, dont l'Etat de droit, la sécurité, tout ce que sont les préoccupations de nos concitoyens. »

Q - Et êtes-vous impressionné par ce qu'il vous arrive et ce qui s'est passé ?

- « On est au coeur de l'Etat au ministère de l'Intérieur ; c'est une grande administration - des services fondamentaux, la police nationale, la sécurité civile, le rapport avec les collectivités locales. Je suis toujours à  l'Outre-mer, où je travaillais aux côtés de J.-P. Chevènement. Mais au sein de l'Intérieur, évidemment, c'est un univers beaucoup plus vaste. »

Q - Et vous estimez être installé pour une longue durée, une certaine durée ?

- « Je ne sais pas. Moi, je souhaite que J.-P. Chevènement revienne le plus vite possible. Sur le plan médical, vous avez les communiqués, qui donnent son état de santé et qui marquent des évolutions positives. Moi, je sers le Gouvernement et je sers l'Etat, je sers mon pays dans ces fonctions. »

Q - Vous rendrez les clefs à  Lionel Jospin -  les clefs du ministère -  quand il vous le demandera. A tout moment, vous y êtes prêt ?

- « Bien sûr ».

Q - Et jusque-là, quand vous dites : « ministre, peut prendre des décisions, c'est un ministère à  part entière » c'est-à -dire que vous pouvez proposer et décider ?

- « J'assume la plénitude des fonctions ; donc je présidais la réunion des préfets vendredi dernier. Et dans les déplacements, dans les responsabilités, je suis le ministre de l'Intérieur à  part entière. »

Q - Prenons quelques exemples : la Corse, est-ce que le mot d'ordre reste, pour vous aussi, l'Etat de droit, la loi sans faiblesse. Est-ce que vous affirmez ce matin qu'il n'y aura pas de concession, pas de négociation, pas de dérogation pour les tricheurs, les fraudeurs et les corrompus en Corse ?

- « Absolument. La volonté de l'Etat a été exprimé : c'est rétablir l'Etat de droit, faire régner la justice. Et cela sans faiblesse et sans faille. Donc cette volonté sera poursuivie. Je crois, d'ailleurs, qu'elle rejoint l'opinion publique en Corse, puisque l'opinion publique en assez de cette situation lourde ; lourde de violences, lourde d'agressions. Et je constate aussi que, pendant cet été, la Corse a connu une bonne saison touristique. Ce qui est le signe, quand même, d'un redressement. »

Q - Mais « les gros » qui ont été désignés par le rapport Glavany, auront-ils des problèmes avec la police et la justice ? Seront-ils arrêtés ? Et ceux qui ont été arrêtés et puis libérés sous caution, échapperont ils à  des jugements ? Bref, est-ce que vous garantissez l'égalité de traitement pour tous, « gros ou petits » ?

- « La justice continue son travail ; elle le fait dans la sérénité et dans la durée. Et la volonté, c'est justement que le droit s'applique en Corse, et qu'il n'y ait pas de situation protégée ou privilégiée. Je le réaffirme au nom du Gouvernement. »

Q - Quelles conséquences ou quels effets y aura t-il après le rapport Glavany, qui dénonçait les responsabilités de l'Etat, des élus corses, des Corses ?

- « C'est un rapport qui a été voté par toute la représentation nationale. C'est un rapport qui dénonce, qui fait l'inventaire de beaucoup de situations inacceptables, mais qui s'inscrit dans la démarche, donc qui renforce la volonté du Gouvernement, car c'est la volonté de l'ensemble de la Nation, d'aller, justement, en Corse vers un redressement, un rétablissement de l'Etat de droit, pour que la Corse soit dans une situation de droit commun, avec le statut qui le caractérise. »

Q - Il n'y aura pas de laxisme à  l'égard des gens de votre administration, des policiers qui sont distraits ou de mèche, et qui oublient ou perdent leurs armes ?

- « Il n'y aura pas de laxisme. Il y a des passages, effectivement, dans le rapport qui portent sur les différentes administrations, mais nous mettons en oeuvre une action de ressaisissement au niveau des administrations, de toutes les administrations. »

Q - Qu'est-ce que cela veut dire ?

- « Cela veut dire donner aux fonctionnaires les conditions de travail, les capacités de travail pour remplir leur mission. »

Q - Et il y aura des nouvelles nominations ou des mutations ou des sanctions ?

- « Ceci interviendra si nécessaire. »

Q - Est-ce que vous irez en Corse, vous-même ?

- « Probablement. La date reste aujourd'hui à  fixer. Mais la Corse et du ressort de l'action de l'ensemble du Gouvernement, pas uniquement du ministère de l'Intérieur. Le ministre de l'Intérieur a sa responsabilité dans le domaine de l'ordre public et de la sécurité. »

Q - Au passage, une des différences entre ce que vous faisiez et aujourd'hui est que vous êtes plus protégé. A cause de la Corse ?

- « En tant que ministre de l'Intérieur ? Oui. Je ne crois pas que ce soit la Corse, spécialement. »

Q - Autre exemple, les sans-papiers. La date butoir pour les ultimes recours, c'était hier. On vous demande de la prolonger. Est-ce que vous accorderez un nouveau sursis ?

- « Les recours qui sont faits, soit recours gracieux auprès des préfectures, soit recours hiérarchiques auprès du ministère de l'Intérieur, portent évidemment sur les personnes qui ont reçus un avis négatif. Il reste quelques dossiers à  examiner. Ceux-ci, une fois qu'ils seront examinés, pourront déposer des recours. La date du 15 septembre jouait pour tous ceux qui ont reçu des avis avant cette date. »

Q - Donc, il n'y aura pas de papiers pour tous ?

- « Non. C'est la position réaffirmée du Gouvernement. Elle était donnée dès juin 1997. Il y a régularisation sur critères, c'est-à -dire en tenant compte de conditions. »

Q - Il y aura à  peu près une cinquantaine de milliers de cas de non-régularisés. Vous allez les expulser ou vous leur demandez de préparer leur valise ?

- « Ils pourront soit prendre leur décision eux-mêmes, c'est-à -dire quitter notre pays -  nous mettons sur pied des mesures de réinsertion dans leur pays d'origine, dans les accords que nous souhaitons de co-développement avec des gouvernements de pays, notamment de pays africains -  et puis, il y aura des reconduites à la frontière, bien sûr. »

Q - La presse et les élus locaux se plaignent du souhait du Gouvernement de redéployer 3 000 policiers et gendarmes. Cela veut dire fermer 94 commissariats, confier à la police une quarantaine de communes dépendant des gendarmes. Est-ce que vous ferez vraiment cette réforme ?

- « Nous avons donné aux préfets une liste, département par département, des mesures qui peuvent intervenir pour regrouper les forces. Il s'agit de mieux organiser le service d sécurité, de ne pas opposer police et gendarmerie. Il y a une phase de concertation qui s'ouvre. Les préfets ont la charge de mener ce dialogue avec les élus locaux, avec les organisations professionnelles locales et notamment les organisations de policiers, de façon à ce que cette réforme se passe du mieux possible. »

Q - Elle le fera ?

- « Elle le fera. Nous tenons compte des conditions locales. Elles se fera dans la concertation. »

Q - La décision, s'il le faut, c'est vous qui la prendrez, puisqu'elle devait être prise par J.-P. Chevènement, à  la fin de l'année ?

- « Dans le cadre du conseil d'ordre et de sécurité intérieure. »

Q - Vos priorités en matière d'ordre et de sécurité ?

- « Justement faire régner l'Etat de droit. C'est la volonté du ministre de l'Intérieur. Il y a un besoin de sécurité. Vous savez que je suis élu d'une commune de banlieue lyonnaise : je vois combien nos concitoyens, et en particulier ceux qui ont des situations sociales parfois difficiles, aspirent à  la sécurité. Une sécurité qui doit se faire sans faille. »

Q - Justement, vous êtes élu local. Vous combattiez, à l'époque, C. Million pour la présidence de la région Rhône-Alpes. Aujourd'hui, vous êtes ministre de l'intérieur, votre position est, en principe, plus forte : est-ce que vous estimez qu'il faut laisser faire C. Million ou qu'il faut continuer de le sortir de sa présidence ?

- « Je souhaite qu'il y ait une majorité politique qui se dégage en Rhône-Alpes pour mettre un terme à  cette aventure, qui discrédite notre région. »

Q - A ce point ?

- « Oui, parce que la région Rhône-Alpes, aujourd'hui, ne fonctionne pas. Elle est marquée, tant sur le plan des activités que sur le plan international, par une image négative. C'est la dixième région économique en Europe. Moi, je n'admets pas que le Front national puisse, ainsi, être entré, grâce à C. Millon, dans les instances de direction et dans les orientations. »

Q - Mais sur le plan national, vous êtes ministre de l'Intérieur, vous avez tous les instruments aujourd'hui : vous dites qu'il y a une poussée du Front national ou il y a un risque de montée de l'extrémisme de droite ?

- « Il faut s'en préserver au maximum. Nous devons marquer -  et cela ne s'adresse pas simplement à  la gauche, mais à  toutes les forces républicaines -  notre refus de banaliser l'extrémisme. »

Q - Il y a un danger ?

- « Le danger existe et on voit comment une attitude faible ou complaisante peut favoriser l'extrême droite. »
Q -
Qu'est-ce qui fera, qu'est-ce que vous aimeriez qui fasse la couleur Queyranne, le parfum Queyranne ou le ton Queyranne, ministre de l'Intérieur par intérim ?

- « Cette volonté d'assurer la continuité de l'Etat, d'être présent sur le train de la vie quotidienne de nos concitoyens, avec les obligations qui sont les miennes. Je pense notamment à  l'exigence de sécurité, les contrats locaux de sécurité, c'est-à -dire la mise en oeuvre d'une politique qui associe la police et tous les intervenants sur le plan local. C'est une démarche que, moi, j'entends beaucoup pousser et qui va dans le sens d'une politique de la ville. »

Q - Et c'est un nouveau costume qu'il faut mettre ?

- « C'est un nouveau costume, mais le Gouvernement travaille beaucoup sur ce terrain. »