Texte intégral
Je salue François Hollande qui remplit pleinement son rôle de Premier secrétaire : grâce à lui, le parti socialiste propose et agit, comme un partenaire exigeant de l'action du gouvernement, et réfléchit, pour mettre en perspective la politique engagée.
Je salue le choix du thème de cette convention – l'entreprise – et le choix de mener cette réflexion aujourd'hui avec les GSE – qui sont les premiers à avoir une réflexion sur l'entreprise qui part du terrain, du réel, du concret.
Notre stratégie pour l'emploi repose sur un objectif : la société du travail. Cela peut paraître banal et consensuel. Tel n'est sans doute pas le cas si l'on en tire toutes les conséquences.
Conviction que le lien social continue de se structurer autour du travail.
Conviction qu'il est nécessaire et possible de se fixer comme perspective de retrouver le plein emploi.
Conviction que c'est d'abord à partir d'une croissance soutenue et durable que ce combat se gagnera, même si la croissance à elle seule ne peut pas tout résoudre.
Conviction qu'il faut réduire le temps de travail de chacun (la société du temps libéré) mais pas de réduire le travail de tous (contre la « fin du travail »).
I – Notre stratégie pour l'emploi.
Le débat sur l'emploi n'est pas un débat sur les finalités : tout le monde veut créer des emplois, même si certains, dont nous sommes, le veulent plus fort que d'autres. C'est un débat sur les moyens. Nous avons, au cours de l'année écoulée, menés des discussions sur les emplois-jeunes, sur la RTT, et sur les abattements de cotisations. Je voudrais dire quelles conclusions j'en tire et comment s'articule aujourd'hui notre stratégie.
Une politique pour l'emploi doit reposer à la fois sur la recherche d'une croissance élevée, et sur des mesures structurelles destinées à faire en sorte qu'elle soit créatrice d'emplois. La gauche a longtemps mis l'accent sur la croissance et elle avait raison : améliorer le fonctionnement du marché du travail quand les entreprises n'embauchent pas, parce qu'elles n'ont ni débouchés ni perspectives, c'est sans doute utile pour l'avenir. Mais il n'en résulte guère de créations d'emplois. C'est pourquoi le retour de la croissance était un préalable absolu.
Mais la croissance seule ne suffit pas. Ni arithmétiquement, car si nous devions compter seulement sur elle, nous ne parviendrons pas à revenir à un taux de chômage plus acceptable. Ni qualitativement, parce que les causes du chômage sont multiples et qu'il faut aussi des mesures structurelles.
Notre stratégie s'articule donc autour de trois axes :
- assurer une croissance durable ;
- enrichir le contenu de la croissance en emplois ;
- donner à tous une chance d'accès à l'emploi.
Assurer une croissance durable. Personne ne contestera l'objectif, mais ici encore la question est celle des moyens. Ces moyens existent. En Europe, d'abord, car avec l'euro nous nous sommes dotés des outils d'une politique monétaire commune et d'une coordination des politiques budgétaires nationales. Ces outils, nous devons les mobiliser pour faire que dans un contexte d'insécurité financière et de fort ralentissement de la croissance mondiale, l'Europe reste un pôle d'expansion. Nous en avons besoin, le monde en a besoin, le monde en a besoin. Nous devons coopérer avec les autres grands pays, qui ont eux aussi des capacités de croissance, en sorte de préserver la croissance mondiale, et prévenir l'extension des risques financiers. C'est dans cet esprit que j'ai préparé le mémorandum français sur les questions financières internationales, c'est dans cet esprit que j'irai demain à Washington, au G7 puis au FMI, pour coordonner les politiques européennes et américaines au service de croissance. J'ajoute que j'ai le sentiment que ces idées sont de plus en plus partagées, et qu'en particulier nos camarades allemands ont de la situation et des réponses qu'il faut lui apporter une vision très voisine de la mienne.
Un mot sur la situation des marchés financiers. Les libéraux et les dérégulateurs eux-mêmes doivent le constater : laissés complètement à eux-mêmes, les marchés tendent à devenir fous. Après la correction nécessaire face aux niveaux excessifs atteints, la forte baisse des bourses n'est plus justifiée par aucun élément de l'économie réelle. Les tendances de la consommation sont solides, et beaucoup d'actions ont aujourd'hui baissé en dessous de la valeur industrielle des entreprises. Les gouvernements et les banquiers centraux suivent avec attention la situation des marchés financiers ; les investisseurs doivent se fonder sur les faits, et non sur les rumeurs.
Face aux marchés, les politiques ne doivent donc pas être spectateurs, mais acteurs. Mais les outils ne sont pas seulement européens. Ils sont aussi entre nos propres mains. Et nous les mettons en oeuvre : avec une stratégie qui a rendu confiance aux ménages et qui donc les incite à consommer ; avec une politique budgétaire raisonnable et ambitieuse qui ne pèse ni sur l'activité ni sur les revenus des acteurs économiques (la droite, qui ne rate pas une occasion de se tromper, nous reproche de n'être pas plus restrictifs. Voudraient-ils que nous augmentions la TVA comme ils l'avaient fait ?) ; avec un accent fort sur ce qui fait une croissance durable : la formation, l'innovation, l'investissement.
Enrichir le contenu de la croissance en emplois. Il ne suffit pas d'avoir la croissance, il faut aussi qu'elle soit créatrice d'emplois. On a beaucoup glosé sur le fait que ce ne serait plus le cas. La réalité est exactement inverse : en 1998, nous créerons sans doute un peu plus de 300 000 emplois, soit deux fois plus que dans les années soixante où, je vous le rappelle, la croissance était près de deux fois plus forte ! C'est bien la preuve qu'il est possible de faire en sorte que la croissance crée des emplois !
Nous avons favorisé par la baisse du coût du travail des salariés les moins qualifiés et par le développement du temps partiel, le contenu en emplois de la croissance s'est progressivement enrichi : le seuil à partir duquel l'économie crée des emplois dans le secteur privé est aujourd'hui proche de 1,5 % alors qu'il était supérieur à 2 % dans les années 80. Cet enrichissement de la croissance en emplois doit rester une priorité.
Réussir la RTT.
Dans un contexte de début de reprise économique, il est absolument nécessaire d'accélérer le rythme des embauches pour éviter que des chômeurs, à l'origine victimes d'une mauvaise conjoncture, ne deviennent de manière irréversible des chômeurs de longue durée. C'est à ce souci d'accélérer le rythme des embauches, dès le début de la reprise, que répond la réduction négociée du temps de travail.
La loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail du 13 juin 1998, que Martine Aubry a fait voter, réduit la durée légale du travail à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les autres. Elle engage ainsi une dynamique de négociation dans les entreprises et les branches professionnelles. Je crois à la RTT parce que je crois à la négociation : il faut la réussir, avec des stratégies gagnant-gagnant pour les salariés, pour les entreprises, et pour les chômeurs. J'y veillerai avec Martine Aubry, en particulier dans les entreprises publiques qui relèvent de ma responsabilité. A EDF, un accord de progrès social a été annulé par la justice : il ne m'appartient évidemment pas d'y revenir mais je souhaite que tous les parlementaires prennent très vite le chemin de la négociation.
Donner à tous une chance d'accès à l'emploi.
Quand la croissance est de retour, cibler les programmes publics sur les plus fragiles. Ne laissons personne au bord du chemin.
Favoriser l'insertion des jeunes sur le marché du travail.
Renforcer le traitement du chômage de longue durée.
Recentrer les emplois non marchands subventionnés pour les plus fragilisés.
Renforcer le mécanisme d'intéressement pour les bénéficiaires des minima sociaux.
Au total, une conviction : il ne faut pas opposer les mesures structurelles les unes et les autres. La caractéristique de notre politique, c'est qu'elle joue sur toute la gamme des instruments disponibles, pour attaquer le chômage de tous les côtés. Personne, même le C NPF, n'a pas le droit de baisser les bras face au chômage : les Français ne nous le pardonneraient pas.
II – Un budget de gauche pour l'emploi.
Parce que les choix de dépenses permettent de soutenir la demande intérieure.
- le niveau : + 1 %.
- l'accord salarial dans la fonction publique.
- les priorités, notamment les emplois-jeunes et les grands services publics intégrateurs (éducation, justice, santé).
Parce que les choix fiscaux favorisent l'emploi.
- une mesure qui est passée inaperçue l'année dernière mais qui entre pleinement en application cette année : le crédit d'impôt emploi.
- une mesure dont on a beaucoup parlé mais sur laquelle je voudrais revenir : la suppression de la TP sur les salaires.
- elle était dans notre programme de 1997.
- elle favorise le secteur tertiaire (- 50 % de TP dans le BTP, de 40 % dans le commerce).
- elle favorise les PME : plus de 80 % de l'allègement ira l'année prochaine aux PME de moins de 50 MF de CA.
- dans ses effets : la baisse de la TP sera en moyenne de 40 % dans les entreprises de moins de 50 MF et seulement de 25 % dans les entreprises de plus de 500 MF.
- pour les collectivités locales, l'évolution de la compensation (DGF) sera globalement comparable à celle des bases salaires. Elle sera plus favorable pour les communes qui perdent des emplois : c'est donc une mesure de redistribution.
C'est un budget de redistribution.
Depuis deux ans, ce que nous avons fait (cf. REF) :
+ 28 Mds d'impôts sur le capital,- 20 Mds sur le travail,
+ 12 Mds sur les 10% les plus riches, - 7 Mds sur les 90% de classes moyennes et ménages modestes,
+ 16 Mds sur les profits et les plus-values des entreprises, - 7 Mds sur l'emploi (TP).
Conclusion : le contre-budget libéral de Madelin
Le « contre-budget » présenté par A. Madelin vise à organiser la déflation budgétaire. Cette politique a un précédent célèbre : en 1935, alors que la grande dépression provoquait des millions de chômeurs, le gouvernement Laval organisait une brutale contraction des dépenses : baisse de la masse salariale publique de 10%, coupes sauvages dans les budgets sociaux. Cette politique avait enfoncé l'économie française dans la récession : elle est restée dans tous les manuels d'économie comme l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire quand le climat est incertain.
En fait, j'allais dire heureusement, A. Madelin n'est pas crédible. Il a déjà montré ce qu'il ferait s'il revenait au Gouvernement. En 1995, il a préparé le budget qui s'est traduit par 100 MdsF d'impôts nouveaux, et qui soit dit en passant a augmenté les dépenses de près de 50 MdsF.