Texte intégral
Q. : Vous avez proposé un Pacte de stabilité en Europe dont le but serait de stabiliser les relations entre les pays d'Europe occidentale, centrale et orientale. Où en est ce projet sur le plan pratique ?
R. : Ce projet, qui a été lancé à mon initiative dès le mois d'avril 1993 puis qui est devenu un projet européen – l'une des premières actions communes de la politique extérieure et de sécurité commune – se présente aujourd'hui de manière satisfaisante.
La Conférence de Paris sur la stabilité, qui s'est tenue les 26 et 27 mai dernier, a lancé officiellement le processus. Plus de quarante ministres des affaires étrangères y ont exprimé leur volonté politique d'apporter une solution aux problèmes qui menacent la stabilité en Europe et qui concernent en particulier le statut des minorités et celui des frontières. Cela était déjà en soi un événement symbolique tout à fait significatif.
Depuis, les deux tables de négociation régionales, l'une pour la région balte, l'autre pour l'Europe centrale, se sont réunies et ont commencé leurs travaux dans une ambiance satisfaisante. L'objectif est que tous les pays qui n'ont pas aujourd'hui signé entre eux d'accords de bon voisinage puissent y parvenir. Il est également que tous les pays apportent au Pacte leurs accords bilatéraux existants. Il est enfin que l'Union européenne et d'autres pays puissent apporter leur aide au financement de projets qui favorisent le bon voisinage et qui peuvent notamment concerner le transit transfrontalier, l'apprentissage de langues minoritaires ou encore certains projets d'infrastructures communs à plusieurs pays.
Bilatéralisme
J'observe que cette initiative a amené beaucoup de pays à réexaminer de façon positive leurs relations avec leurs voisins et à tenter de trouver des solutions aux différends qui les éloignent. Ceci a été vrai ces derniers mois tant dans la région de la Baltique, où les États baltes ont signé de nombreux accords avec la Russie, qu'entre la Hongrie d'une part, et la Slovaquie et la Roumanie d'autre part, où un dialogue s'est renoué. Notre objectif est que ce projet crée autour de tous ces pays un climat de confiance tel que les négociations bilatérales – qui sont naturellement de leur ressort de compétence exclusif – en soient facilitées.
Conférence finale en 1995
Une conférence intérimaire de préparation du Pacte aura lieu à Budapest au mois de décembre, parallèlement au Sommet de la CSCE et la diplomatie française appuiera de tout son poids les efforts de l'Union européenne pour que la Conférence finale puisse se tenir début mars 1995.
Q. : Quel accueil nos partenaires de l'Union européenne et les pays concernés hors de l'Union ont-ils réservé à cette initiative ?
R. : Cette initiative a reçu d'emblée un accueil favorable de la part de nos partenaires de l'Union européenne lors du Sommet de Copenhague, au cours duquel il a été décidé de l'étudier, puis lors du Sommet de Bruxelles en décembre 1993 où ils l'ont adopté comme une action commune de l'Union. Pour ce qui concerne les pays de l'Europe centrale et orientale, certains se sont interrogés sur la véritable dimension de ce projet et surtout sur les principes qui l'animeraient s'agissant des frontières et des minorités.
Minorités
Compte tenu de la très grande sensibilité de politique intérieure des problèmes à traiter, certains ont naturellement hésité à s'engager dans cette voie et on les comprend. mais ils ont été rassurés ; à la Conférence de Paris en mai dernier, les gouvernements ont compris que ces négociations s'appuieraient sur les principes acceptés au sein de la CSCE ou du Conseil de l'Europe, à savoir la protection des droits de tous les individus quelle que soit la minorité à laquelle ils appartiennent et, par ailleurs, l'inviolabilité des frontières et l'abandon de toute revendication territoriale.
Ils ont bien réalisé que l'Union européenne ne souhaitait pas se substituer à eux pour régler ces différends, qu'elle ne souhaitait créer aucune nouvelle organisation, qu'il ne s'agissait en aucun cas pour elle de retarder en quoi que ce soit leur adhésion future et qu'elle était décidée à peser de tout son poids pour créer un environnement favorable à ces négociations. Ce projet de Pacte est une chance pour eux de se rapprocher davantage de l'Union ; ils ont décidé de la saisir.
Q. : Pensez-vous qu'il soit possible d'instaurer en Europe une paix durable grâce à la seule mise en œuvre de ce Pacte ? Ce dernier pourrait-il notamment contribuer à ramener la paix dans les Balkans ?
Pacte européen de solidarité
R. : Le Pacte doit être, à mes yeux, l'une des assises essentielles de la future organisation de l'Europe et ceci pour deux raisons :
– la première c'est que rien ne pourra être fait en terme d'organisation de notre continent, et en particulier d'élargissement de l'Union européenne, si de graves contentieux subsistent entre les États ;
– la seconde raison est que les pays européens doivent tomber d'accord sur quelques principes de vie commune. Celui de la réconciliation, et par conséquent du "bon voisinage", qui anime le Pacte peut constituer une référence pour tous et ce que j'appelle le "Pacte social" de l'Europe de demain.
Balkans
S'agissant des Balkans la situation n'est pas encore suffisamment pacifiée, en particulier dans l'ex-Yougoslavie, pour que la méthode du Pacte puisse y être dès aujourd'hui appliquée. En revanche, si demain une solution de paix était trouvée, il va de soi que cette méthode serait particulièrement appropriée pour favoriser la réconciliation dans cette région et par conséquent sa stabilité future. Ce pourrait être le prochain volet du Pacte.
Diplomatie française
Q. : Quel rôle la France entend-elle jouer dans ce nouveau cadre si le projet qu'elle a formulé aboutit dans un délai raisonnable ?
R. : Toutes ces questions sont une priorité pour la diplomatie française et pour l'Union européenne. Quelle crédibilité aurions-nous si nous n'appliquions pas en priorité nos efforts à trouver une solution aux problèmes de la stabilité de l'Europe ? J'observe que la diplomatie française est au premier rang pour favoriser une solution de paix dans l'ex-Yougoslavie. J'observe également qu'elle est à l'origine de la principale initiative sur la stabilité en Europe qui est, Je le rappelle, un exercice de diplomatie préventive. Cette activité exprime une volonté gouvernementale qui est pour moi tout à fait essentielle.
Europe (organisations)
Q. : Comment le Pacte de stabilité en Europe s'inscrira-t-il dans le dispositif général qui doit assurer dans l'avenir la sécurité de l'Europe : OTAN, UEO, CSCE ? N'y-a-t-il pas un risque de confusion dans le domaine des institutions ?
R. : Ce qu'il est convenu d'appeler "l'architecture européenne" est aujourd'hui un édifice complexe et formé de très nombreuses institutions. Le Pacte vise, sans créer aucune institution nouvelle, à mieux coordonner sur le terrain toutes celles qui existent pour les faire contribuer davantage à la stabilité.
PECO
L'organisation de l'Europe doit s'appuyer sur quelques idées simples. Il y a un premier pôle qui est celui de l'Union européenne qui est amené à s'élargir à ce qu'il est convenu d'appeler les PECO. Cet élargissement doit avoir une composante économique, politique et militaire. Ce premier pôle doit avoir des relations de partenariat particulièrement étroites avec la Russie et les pays qui sont regroupés autour d'elle au sein de la CEI. Ce partenariat a une dimension économique mais il doit aussi avoir une dimension politique et de sécurité. Enfin, il y a une organisation qui regroupe l'ensemble du continent et qui doit être un lieu d'échanges politiques constants, c'est la CSCE.
CSCE
Je suis partisan pour ma part d'un renforcement de cette dernière institution qui soit capable d'affirmer l'unité de notre continent. La France et la Russie en particulier ont été à l'origine de la CSCE. Il me paraîtrait souhaitable qu'au prochain Sommet de Budapest des initiatives soient prises pour donner un nouvel élan à la CSCE, développer son activité normative et la doter d'une réelle capacité de décision. J'observe que le Pacte de stabilité contribuera à dynamiser la CSCE puisqu'elle sera la gardienne de ses résultats.
États-Unis – Russie
Q. : Quel sera le rôle dévolu, dans le futur Pacte de stabilité, aux puissances qui ne font pas partie de l'Europe – États-Unis, Russie –, mais qui sont directement ou indirectement concernées par son évolution ?
R. : Dès l'origine, j'ai souhaité que les États-Unis et la Russie soient associés au projet de Pacte. Il n'est pas possible de parler de la stabilité de l'Europe en l'absence de deux partenaires qui y jouent un rôle si essentiel. La participation de ces deux pays aux tables régionales, à la demande des pays intéressés, peut contribuer à favoriser la signature d'accords de bon voisinage et l'amélioration du climat de confiance dans les régions considérées. Ces deux grands pays peuvent également apporter leurs contributions aux projets de bon voisinage. Enfin, le fait qu'ils signeront le document final apportera à celui-ci un poids politique particulier.