Article de MM. Raymond Barre, député apparenté UDF, et Bronislaw Geremek, député à la Diète polonaise, dans "Le Monde" du 9 décembre 1994, sur leur proposition de créer une organisation d'experts pour préparer l'adhésion des pays d'Europe centrale à l'Union européenne, intitulé "Intégrer les pays d'Europe centrale".

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Média : Le Monde

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Il y a quelques mois le 27 juin, des personnalités de quatre pays de l'Europe centrale – Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque – occupant des postes de haute responsabilité, se réunissaient à Bruges afin de mettre en œuvre un processus tendant à surmonter les obstacles qui subsistent encore sur la voie de l'adhésion de leurs pays à l'Union européenne.

Elles ont relevé en particulier la nécessité d'une stratégie bien définie, et qui a fait jusqu'ici défaut, en vue de préparer de part et d'autre l'intégration des pays de l'Europe centrale dans l'Union européenne. Elles ont aussi souligné les difficultés actuelles de la communication entre les parties concernées qui conduisent à des perceptions erronées de la situation ou à des craintes non fondées vis-à-vis des conséquences de cette intégration. Elles ont encore noté l'absence d'une réelle approche concertée de questions d'intérêt commun comme la modernisation des infrastructures, la sauvegarde de l'environnement, les restructurations de certaines activités ou encore l’harmonisation de certaines réformes. Même si les transformations en cours dans ces pays en vue de leur passage complet à l'économie de marché ont acquis désormais un caractère irréversible et sont, à bien des égards, très positives, ces lacunes, s'il n'y est pas remédié, peuvent compromettre la réalisation du grand dessein de l'intégration européenne des pays considérés.

Ce grand dessein, pour être pleinement exécuté, implique aujourd'hui une stratégie d'approche et d'adaptation réciproque qui devra être acceptée à la fois par l'Union européenne et par les pays aspirant à y adhérer. Cette stratégie devra être élaborée de concert par les candidats à l'adhésion, mais cela ne requiert pas, pour autant, que l'on préconise un traitement collectif de ces candidats par l'Union européenne, traitement collectif dont ils ne veulent pas.

Les pays considérés restent, en effet, fortement attachés à leur indépendance en ce qui concerne les négociations avec l'Union européenne : celle-ci aujourd'hui, ne peuvent être conçues que de façon bilatérale. Mais une communauté d'intérêt serait souhaitable : une communauté d'intérêt entre pays qui, loin d'être les « semeurs de désordre » comme on les présente parfois à l'opinion occidentale, partagent la même volonté de passer à l'économie de marché et de rejoindre les autres nations de l'Union européenne. Ils l'ont prouvé par les succès qu'ils ont déjà obtenus, par leur propre action et sans aucun conflit intérieur, dans le domaine économique et par l'acceptation anticipée des règles de conduite appliquée par l'Union européenne. Une telle communauté d'intérêt implique la possibilité et, au-delà, la nécessité de rechercher ensemble des solutions aux problèmes, souvent identiques, qui se posent sur le chemin de la transformation en cours.

En travaillant ensemble, en montrant qu'ils peuvent coopérer dans certains domaines, ces pays veulent aussi donner plus de crédibilité à leur candidature à l'adhésion à l'Union européenne, à un moment où cette crédibilité est parfois mise en doute. À cet égard, ils peuvent prendre comme référence l'organisation qui s'est constituée face au plan Marshall en Europe, en 1948, l'OECE (Organisation européenne de coopération économique), et s'inspirer de l'exemple de coopération réussie qui a été donné par les pays de l'Europe occidentale au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Le « noyau » de Visegrad

C'est pourquoi, à Bruges, les représentants de ces pays ont décidé de proposer à leurs gouvernements et à l'Union européenne de créer une organisation légère et flexible d'experts, qui, sans être explicitement une structure intergouvernementale, serait soutenue et mandatée par les gouvernements afin d'effectuer des analyses et de formuler des propositions qui pourraient beaucoup faciliter les rapports entre l'Union européenne et les pays de l'Europe centrale.

Cette organisation pourra œuvrer selon trois axes principaux : contribuer à surmonter les obstacles qui se dressent sur le chemin de l'intégration européenne des pays candidats de l'Europe centrale notamment en ce qui concerne leurs exportations vers l'Union européenne ; aux problèmes que pose à ces pays le difficile et souvent douloureuse transition vers l'économie de marché, sans accepter aucune intervention extérieure ; faciliter le développement de leurs relations économiques avec l'Union européenne, mais aussi entre eux, et eux, et contribuer à traiter ensemble des questions « transfrontières » (communications et autres infrastructures, environnement, etc.), de manière à assurer leur mise à niveau pour l'adhésion à l'Union européenne.

En réalisant ce projet, les pays considérés se proposent, ainsi, de donner un exemple de coopération régionale, réalisé d'abord sur la base du « noyau » de Visegrad, mais qui pourra être suivi par d'autres pays de la région. Nous appelons donc les gouvernements concernés des pays de l'Europe centrale et les responsables de l'Union européenne, Commission et gouvernements des États membres, à soutenir une initiative qui nous apparaît opportune et importante pour l'avenir de l'Europe.