Interview de M. François Léotard, ministre de la défense, et président d'honneur du PR, à RTL le 18 décembre 1994, sur l'abbé Pierre et les réquisitions, la pluralité des candidatures à l'élection présidentielle dans la majorité, l'éventualité d'une dissolution de l'Assemblée nationale après les élections, l'hypothèse d'un retrait de la FORPRONU et de la levée de l'embargo en Bosnie.

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Média : Emission Le Grand Jury RTL Le Monde

Texte intégral

Passages importants

« L'abbé pierre doit être écouté »

Question : Que dites-vous à l'abbé Pierre qui a fait occuper un immeuble vide de la COGEDIM ?

Réponse : L'abbé Pierre doit être écouté. (…) Mais ce n'est pas nécessairement à la porte de l'État qu'il faut frapper: c'est à la porte des maires. (…) Cela dit, je reconnais qu'à Paris ce soit plus difficile qu'ailleurs. (…)

Bien sûr, je ne suis pas pour des actions illégales. Mais je suis pour des actions fortes permettant de réveiller l'opinion et de faire appel à la sensibilité des Français. (…)

À la place du propriétaire de l'immeuble, j'irais tout de suite ouvrir les portes. (…)

Les armées ne restent pas en dehors du mouvement de solidarité. J'ai au contraire donné des instructions pour qu'elles y soient, en fournissant des couvertures par exemple. (…)

Depuis quelques années, la situation de certains Français s'est dégradée et les mesures sociales qui ont été trouvées, comme le RMI, ne sont pas toujours suffisantes pour sortir quelqu'un de la détresse. (…)

Question : Pourriez-vous lancer un appel aux maires du PR ?

Réponse : Ce que j'ai fait dans ma commune évite à n'importe quel citoyen d'être ce soir en situation de détresse absolue, c'est-à-dire d'être dans la rue (…) J'espère que chacun fait ainsi. En tout cas, j'utilise votre micro pour le demander (…).

M. Balladur est « au-dessus de la mêlée »

Une des conditions majeures de la crédibilité d'un homme qui se présente à l'élection présidentielle, c'est son indépendance vis-à-vis des partis politiques (…). Cela ne veut pas dire qu'il ne doit pas avoir de conviction. (…) En disant cela, je ne fais que me référer au très beau message du général de Gaulle. (…)

M. Balladur est à mon avis celui qui remplit le mieux cette condition.

Question : Cela signifie-t-il que Jacques Chirac soit disqualifié ?

Réponse : Je ne disqualifie personne. (…) Quand on se présente à l'élection présidentielle, on ne doit pas être prisonnier d'un parti politique, on ne doit pas en subir les pressions : on doit être au-dessus de la mêlée et l'on doit s'adresser directement au peuple français. (…) Depuis dix-huit mois, c'est l'attitude constante d'Edouard Balladur. (…)

Question : La candidature de Jacques Chirac est-elle légitime ?

Réponse : À ses yeux certainement, ainsi qu'à ceux de nombreux Français.

(…)

La « faute de stratégie forte » de Jacques Chirac

La pire des démarches serait de se situer en opposition avec le Gouvernement. J'ai d'ailleurs vécu une période de ce genre entre 1986 et 1988 (…) Suivre le chemin que M. Barre avait emprunté à l'époque serait, pour M Chirac, un étrange paradoxe. (…) Ce serait une faute de stratégie forte (…)

« Revenons à l'esprit de la Ve république ! »

On peut très bien être dans un parti sans suivre sans arrêt ses diktats. (…) On n'est pas obligé de faire prévaloir le succès d'un parti au détriment du pays tout entier ! (…)

Revenons à l'esprit de la Ve République ! Le candidat à la Présidence s'adresse au peuple tout entier et n'est pas le prisonnier d'une formation politique ! (…)

M. Balladur devrait-il annoncer dès maintenant sa candidature ?

C'est à Édouard Balladur de choisir le moment. (…) Mais il doit gouverner le plus longtemps possible dans la sérénité. (…) Attendre janvier ou février me semble procéder d'une très saine attitude. (…)

Peut-on, comme M. Chirac, parler de l'« immobilisme » de m. Balladur ?

La politique extérieure de la France, la politique culturelle, le vote de quatre lois quinquennales, l'engagement de la justice vers sa réforme, la loi de programmation des armées, le problème des retraites : sur tous ces sujets, peut-on parler d'immobilisme ? (…)

Pluralité de candidatures et unicité de la politique gouvernementale

Nous voyons se dessiner une pluralité de candidatures, et je le regrette. (…) Mais attention ! La gauche n'est pas complètement défaite, contrairement à ce que pensent certains. (…)

Le ministre des affaires étrangères semble avoir fait un choix différent du mien. Cela dit, pour ce qui concerne notre action au Gouvernement, nous travaillons tous les jours en osmose (..).

La « présomption » de Charles Millon

J'avais employé à son encontre un adjectif un peu rude – celui de « ridicule » (…). On avait proposé à M. Millon d'être ministre de l'agriculture. Or il y a une sorte de présomption à refuser cette tâche difficile pour se porter candidat à une tâche qui l'est dix fois plus. (…)

Et Raymond Barre ?

Quel est le meilleur apport que M. Barre pourrait donner à la France si ce n'est son soutien à Edouard Balladur ? (…) M. Barre a une expérience européenne et il a gardé dans l'esprit des Français une image de rigueur, de droiture, de volonté. (…)

Et Valéry Giscard d'Estaing ?

Je n'ai pas de commentaires à faire. (…) Nous sommes le seul pays occidental ou l'on peut être indéfiniment candidat. (…) Pourquoi n'accepte-t-on pas le jugement des électeurs ? Il s'est fait (…)

Le parti républicain soutiendra-t-il unanimement Édouard Balladur ?

Connaissez-vous un seul parti en France où !'on puisse dire : « tout le monde … » ?

Prochainement, d'autres parlementaires, notamment des sénateurs importants, apporteront leur soutien à M. Balladur. (…)

Nous avons la volonté commune de maintenir un Parti républicain fort, qui représente une 1orce libérale dont la France, : une France moderne, a besoin. (…)

La concurrence entre le PR et le CDS

Moi, j'aime bien la concurrence. (…) M. Bayrou est un homme tout à fait remarquable. Je suis ravi de cette compétition modeste et dans le même temps d'une communauté d'idées très forte. (…)

Le refus de l'« épicerie politique »

J'entends dire : pourquoi ne négociez-vous pas ? J'ai refusé l'idée de l'épicerie politique dans laquelle on négocie en permanence un prix. (…)

Le renoncement de Jacques Delors est-il une chance pour la majorité ?

La personnalité de Jacques Delors, qui a beaucoup de qualités, cachait l'état de délabrement dans lequel se trouve le Parti socialiste. (…) Les socialistes réussiront-ils à dégager un autre candidat ? Je n'en sais rien. (…)

Je crains que la situation ne suscite à droite des appétits tumultueux et une flambée de candidatures. (…) Ce serait une erreur de morceler au premier tour notre électorat (…), qui a au contraire besoin d'être rassemblé. (…)

Les « affaires »

J'ai un goût très modéré pour le rôle, que beaucoup s'attribuent aujourd'hui, de procureur. (…) Ni moi, ni vous n'avons à nous substituer à la justice. Nous sommes entrés dans une période où, malheureusement, tout le monde est juge, et beaucoup sont délateurs (…).

J'ai beaucoup d'admiration pour la dignité avec laquelle Gérard Longuet a traversé cette terrible épreuve humaine. (…) Il a été amené à se démettre de ses fonctions ministérielles et, à l'heure qu'il est, il n'a pas encore été entendu une seule fois par un juge. (…) Sommes-nous bien dans le pays de la raison, de la séparation des pouvoirs ? (…) Plus personne n'en parle !

Question : On a écrit beaucoup de choses sur le financement du Parti républicain par un réseau international. Qu'avez-vous à en dire ?

Réponse : Je n'ai jamais eu connaissance d'une telle pratique. Gérard Longuet a pris récemment un certain nombre de mesures pour que le financement soit détaché complètement de la gestion politique du Parti. (…) C'est une très bonne décision. (…)

Pour une dissolution de l'Assemblée nationale après l'élection présidentielle ?

Le droit de dissolution est un pouvoir du Président de la République. (…) Le Président de la République à venir fera ce qu'il entend. S'il considère que la vie politique française s'est passée paisiblement dans ces dernières semaines ou ces derniers mois, que tout le monde aime le monde politique, que la France vit dans une période sereine, il ne dissout pas. S'il a le sentiment qu'après avoir relégitimé l'exécutif, Président de la République et Gouvernement, il est peut-être nécessaire d'aller plus loin et de faire en sorte qu'on relégitime également le Parlement, il le fera.

Il ne faut pas être grand clerc pour dire aujourd'hui que, quel que soit le candidat élu, il fera ainsi, quelles que soient aussi les déclarations antérieures. (…)

C'est à ne pas l'avoir fait en 1974 que nous devons les grandes difficultés de la majorité. (…)

Je suis convaincu – je suis prêt à prendre date (…) – que quel que soit le candidat élu, il sera amené à prendre cette décision s'il veut faire les réformes qu'il annonce. (…)

Vers une formation unique de la majorité ?

Conservateur ou libéral ? Trouvez les mots qui conviennent, cela n'a pas d'importance, l'essentiel, c'est de faire le Parti républicain américain ou le Parti conservateur britannique. (…)
    
Les soldats français en Bosnie

S'il devait y avoir un retrait auquel nous serions contraints – c'est une hypothèse possible – vous auriez (…) un débordement de la guerre vers le Sud, c'est-à-dire le Kosovo, l'Albanie et la Grèce, et vers le Nord, c'est-à-dire vers la Croatie. Bref, un embrasement généralisé d'une partie importante de l'Europe. (…) les soldats français (…), malgré les difficultés, protègent des femmes et des enfants, des convois humanitaires, et permettent à la ville de Sarajevo de survivre. (…)

Question : Le journal Le Monde a rapporté des propos tenus par des soldats français qui disent ne plus savoir ce qu'ils font sur place.

Réponse : J'y suis allé plusieurs fois et je n'ai jamais entendu cela d'un seul soldat français. (…) Ils m'ont tous dit : on est fier de faire cela, parce qu'on protège des gens ! (…) J'ai un régiment dans ma commune qui va partir bientôt. Il a un état d'esprit formidable. (…) Il meurt d'envie de partir ! (…) Qu'il y en ait un ou deux qui doutent, peut-être (…) Vous pensez qu'au cours de notre histoire militaire, il n'y a pas des soldats qui ont douté ? (…) C'est moins difficile qu'à Dien Bien Phu. (…)

Je vais passer la nuit de Noël avec eux. (…)

Ils font leur devoir avec beaucoup de conviction et, pour beaucoup d'entre eux, d'enthousiasme. (…)

Sur le plan diplomatique comme sur le plan militaire, c'est toujours de la France que viennent les propositions. (…)

Levée de l'embargo et retrait des Casques bleus

Si nous ne dynamisons pas la FORPRONU dans les semaines et les mois qui viennent, nous aurons mécaniquement la levée de l'embargo sur les armes, et donc le retrait. (…) Ce retrait serait un cataclysme ajouté au drame d'aujourd'hui. (…) Nous allons proposer quelques mesures qui permettront d'éviter que le Congrès américain (…) ne lève l'embargo sur les armes. (…)

Défense européenne et souveraineté française

Nous avons multiplié les coopérations. Dans la loi de programmation militaire, les programmes en coopération passent de 16 à 25 %. (…) Il faut bien que les Européens, compte tenu d'un certain désengagement américain, construisent eux-mêmes leurs outils de défense. Nous progressons très rapidement. (…) Il faut faire en sorte que nous ayons les mêmes armements : c'est l'objet de l'Agence de l'armement. Contre vents et marées, nous le ferons avec les Allemands et, petit à petit, nous associons l'Italie et la Grande-Bretagne. (…) Nous allons donner sa capacité opérationnelle au Corps européen. (…) Nous allons assurer une meilleure maîtrise des mers, notamment grâce à la coopération en Méditerranée avec les Espagnols et les Italiens. Enfin, nous essayons d'obtenir une réforme profonde de l'OTAN qui permettrait une meilleure adaptation aux crises d'aujourd'hui. (…)

Je refuse qu'un jour ou l'autre, un système de décision prive la France de sa souveraineté dans le domaine de la vie ou de la mort. Si l'on voulait envoyer des militaires français à l'étranger contre l'avis d'un gouvernement français légitime, je serais le premier à m'y opposer. (…)