Texte intégral
RTL : mercredi 16 novembre 1994
M. Cotta : Êtes-vous en train de vous séparer de J. Chirac après le congrès du RPR, ou c'est un problème de forme ?
P. Séguin : Sur le fond, je soutiens J. Chirac dans la mesure où je pense qu'il est le seul susceptible de porter un grand projet pour la France, sur les trois thèmes qu'il a choisis l'Europe, la République, la lutte sur l'emploi et l'exclusion. Pour autant, je pense qu'il faut absolument sortir de la logique suicidaire qui est la nôtre aujourd'hui et qui repose sur le refus de reconnaître que nous avons deux candidats et, probablement, avec deux projets différents.
M. Cotta : Il ne fait aucun doute qu'E. Balladur est candidat ?
P. Séguin : Je vais vous faire une confidence, un candidat déclaré et un candidat non-déclaré, j'ai beau faire les comptes dans tous les sens, cela fait toujours deux. Si d'aventure E. Balladur n'avait pas l'intention de se présenter, compte tenu des perturbations que l'éventualité de sa candidature a causées, je suis certain qu'il nous aurait fait connaître qu'il n'était pas candidat. Il ne l'a pas fait, je considère donc qu'il est candidat. Il est candidat non-déclaré, ça viendra plus tard, comme J. Delors dont tout le monde sait qu'il est candidat.
M. Cotta : Il n'y avait pas d'autre façon qu'une lettre co-signée avec C. PASQUA pour prévenir J. Chirac ?
P. Séguin : Je lui ai envoyé cette lettre avant que la décision concernant le vote ait été prise. Cette décision a été prise, j'en ai tiré toutes les conséquences et j'ai parfaitement mesuré les risques de passer pour le traître, le fourbe. Quand on a une conviction et une analyse il faut s'y tenir.
M. Cotta : Vous avez gâché le départ en campagne de J. Chirac ?
P. Séguin : Le problème n'est pas là. Il faut savoir si, oui ou non, on porte un projet et si, oui ou non, on est décidé à le porter jusqu'au bout. Aussi longtemps que le débat présidentiel, au lieu de se résumer à la confrontation de projets différents, se réduit à une guerre de positions qui consiste pour l'un à empêcher l'autre d'être candidat et pour l'autre d'empêcher l'un de le rester, on est dans une logique suicidaire et cela ne sert à rien. Les deux candidats s'attirent vers le bas et le débat ne progresse pas. Je crois que chacun doit admettre la présence de l'autre, en tirer toutes les conséquences et présenter son projet. Une élection présidentielle, c'est la confrontation de projets pour la France.
M. Cotta : Sur les trois thèmes présentés par J. Chirac, vous pensez qu'il y a opposition avec E. Balladur ?
P. Séguin : S'agissant de la lutte contre l'exclusion et pour l'emploi, J. Chirac en fait une priorité absolue. Il a une analyse à laquelle j'adhère totalement, c'est qu'au-delà des statistiques, au-delà de l'exclusion d'un certain nombre de Français, il y a un risque de dilution de notre modèle républicain, de notre modèle de citoyenneté, c'est la raison pour laquelle ce doit être la priorité des priorités et je crois qu'il est le seul à le dire de cette manière.
M. Cotta : E. Balladur dit aussi que l'exclusion est la priorité ?
P. Séguin : Je ne crois pas que ce soit la même approche.
M. Cotta : Sur l'Europe, il y a deux approches différentes ?
P. Séguin : Il faudra savoir ce que pense E. Balladur et, sur ce point, je rejoins volontiers J. Delors quand il dit qu'il se prononcera quand il saura ce que pense E. Balladur en matière européenne.
M. Cotta : Vous ne le savez pas ?
P. Séguin : Il ne l'a pas vraiment précisé. Je pense que l'approche de J. Chirac est une bonne approche. Maastricht a été voté, pour autant les critiques qui avaient été formulées contre le système de la monnaie unique, demeurent. Les critiques, c'est que le système n'était pas un système démocratique dans la mesure où les décisions fondamentales étaient du ressort de technocrates. D'autre part, l'objectif donné à la politique monétaire était uniquement la lutte contre l'inflation. Or, c'est un objectif qui est à côté de la plaque dans la mesure où chacun sait que la lutte contre l'inflation ne suffit pas à garantir une bonne économie et qu'une bonne économie ne suffit pas à garantir la pleine activité. Je pense qu'il faut, dans le cadre de Maastricht, trouver un moyen d'apporter un contrepoint démocratique au mode de gestion de la monnaie et qu'il faut d'autre part donner aux gouverneurs de banques centrales, en dehors de la lutte contre l'inflation, un autre objectif pour leur activité qui est la promotion de l'emploi.
M. Cotta : Dans La Tribune, J. Chirac préconise une discussion de fond avec l'Allemagne sur l'avenir de l'Europe, vous êtes d'accord ?
P. Séguin : Évidemment, le couple franco-allemand demeure fondamental et il y a un certain nombre de malentendus à lever. L'Allemagne semble demeurer sur une perspective fédérale. Il semble qu'il y ait l'ébauche d'un consensus, sous réserve des positions de Monsieur E. Balladur et de celles de J. Delors qui restent très ambiguës, contre l'hypothèse fédérale en France. Il faut s'entendre sur les objectifs.
M. Cotta : Sur le référendum avant la dernière phase de l'unité monétaire, vous êtes d'accord ?
P. Séguin : Je m'étonne du tohu-bohu que cela a suscité. Est-ce qu'on a assisté au même tohu-bohu au moment où les Allemands ont décidé de redécider au moment du passage à la troisième phase ? Les Allemands ne pourront pas passer directement à la troisième phase et le Bundestag aura à se déterminer. Je ne vois pas pourquoi, alors que l'Angleterre est exonérée de monnaie unique, qu'il en est de même pour le Danemark et que l'Allemagne doit se redéterminer, pourquoi les Français seraient les seuls à être dans la procédure d'automaticité.
M. Cotta : Dans VSD vous dites : « lorsque J. Delors commencera à parler et lorsqu'on commencera à l'entendre, je crois que tout le monde redescendra sur terre ». Votre adversaire principal est J. Delors ?
P. Séguin : Actuellement, J. Delors est un mythe. Comme tous les mythes, il prospère et, aussi longtemps que le mythe n'est pas démystifié, il peut monter dans les sondages. Au fur et à mesure qu'il s'expliquera, on redescendra sur terre et un verra qu'on est confronté à des projets différents, qu'il faut faire un choix et j'ai bonne confiance dans la capacité des Français à choisir le projet auquel je crois.
InfoMatin : 2 décembre 1994
InfoMatin : Une partie du groupe UDF refuse d'examiner les propositions d'une loi anticorruption. Au-delà des arguments techniques avancés, certains députés refusent en réalité de faire votre promotion personnelle. Que répondez-vous ?
Philippe Séguin : Mon rôle était de mettre l'Assemblée nationale, compte tenu de problèmes qui se posaient et des initiatives prises par le Premier ministre, en situation de légiférer, si elle le souhaitait. J'ai conduit cette démarche à son terme. Ce ne fut pas une tâche aisée, mais je crois qu'elle a été fructueuse. Désormais, c'est à l'Assemblée nationale et au Sénat de débattre, voler ou rejeter des propositions de loi qui, je le rappelle, ne sont pas les miennes, mais celles du groupe de travail qui avait été constitué avec l'ensemble des groupes. Et fidèle à mes principes depuis que je préside l'Assemblée nationale, je m'abstiendrai de toute prise de position de tout vote. D'ailleurs, m'avez-vous déjà entendu m'exprimer personnellement sur le fond du sujet ?
InfoMatin : Vous avez forcé la main d'un Premier ministre qui ne souhaitait pas « légiférer à chaud »…
Philippe Séguin : C'est le Premier ministre qui a eu le mérite, le premier, de dire qu'il fallait conduire une réflexion sur les rapports entre la politique et l'argent. C'est lui qui a lancé la commission présidée par Madame Rozès et composée de MM. Bergeron et Ceyrac dont tout paraissait indiquer qu'ils déboucheraient sur des propositions concrètes. J'ai seulement pensé qu'il serait souhaitable que l'Assemblée nationale prenne sa part de cet effort de réflexion. Toute sa part. D'ailleurs, c'est aux parlementaires UDF, les tout premiers, que j'ai eu l'occasion d'exposer ma suggestion, lors de leurs journées parlementaires à Vittel, le 30 septembre dernier. Cela n'avait suscité aucune opposition. D'ailleurs, tous les groupes l'ont acceptée.
InfoMatin : Est-on fidèle à l'esprit des institutions de la Ve République lorsqu'on permet aux députés et aux sénateurs de légiférer malgré la résistance passive du gouvernement ?
Philippe Séguin : L'expérience a montré que, si l'Assemblée nationale ne s'était pas impliquée, nous n'aurions peut-être pas des textes sur lesquels réfléchir, débattre, voter. À cette occasion, je me réjouis de voir que l'Assemblée nationale a démontré sa capacité d'initiative dans le domaine législatif, prérogative que lui reconnaît la Constitution. Cela s'inscrit dans l'effort de rénovation du Parlement et de réhabilitation de l'action parlementaire.
InfoMatin : La lutte contre la corruption, la rénovation du Parlement seraient donc les deux points d'orgue du candidat Philippe Séguin ?
Philippe Séguin : Foin d'arrière-pensées. La préoccupation du groupe de travail n'aura pas seulement été de compléter une législation répressive, mais de donner à l'ensemble des élus et des responsables publics les moyens de s'affranchir d'un climat de suspicion permanente qui non seulement risquerait de les condamner à l'immobilisme, mais est, de surcroît, très dangereux pour la qualité de notre démocratie.