Interviews de M. Philippe de Villiers, député européen et président du mouvement pour la France, à RTL le 14 novembre 1994, dans "Le Figaro" le 17 et France 2 les 20 et 30, sur les relations dans la majorité, sa candidature à l'élection présidentielle de 1995 et le financement des partis politiques.

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Circonstance : Lancement à Paris le 20 novembre 1994, du Mouvement pour la France par M. Philippe de Villiers, président de Combat pour les valeurs

Média : RTL - Le Figaro - France 2

Texte intégral

Q. : Après celle de M. ROUSSIN, le Premier ministre peut-il assumer une démission par mois ?

R. : Non, la situation est très grave et le remaniement à la pièce n'est pas la réponse qui convient. On a l'impression depuis quelques semaines que ce sont les juges qui recomposent le gouvernement par remaniements techniques successifs. Il n'est pas sain qu'un gouvernement soit ainsi sous l'empire de la nécessité et sous l'emprise de la menace de la rumeur. Je crains que la chronique politique des semaines à venir ne se résume à la question suivante : "à qui le tour ?". Je pense qu'E. BALLADUR devrait refaire complètement un gouvernement, un gouvernement pour combattre notre adversaire qui est J. DELORS.

Q. : Se débarrasser d'un certain nombre de ministre, ce serait les désigner face à ces juges ?

R. : Il fallait être assez clairvoyant au moment de la composition du gouvernement pour choisir des ministres qui n'auraient pas à faire à la justice.

Q. : Vous avez dit : "la corruption est une tumeur qui nous ronge", qu'est-ce que vous proposez pour l'éradiquer ?

R. : Trois choses : l'indépendance de la justice, on a donné l'indépendance à la Banque de France, il faut la donner au garde des sceaux. Ensuite, il faut revoir le financement politique en coupant les financements avec les entreprises mais en permettant aux mouvements naissants d'accéder au financement public et en allant plus tôt vers le financement des citoyens plutôt que le financement des contribuables. Il faut aussi un contrôle du patrimoine des élus politiques avec, pour les futurs candidats à l'élection présidentielle, l'acceptation d'un audit de contrôle sur leur patrimoine depuis qu'ils sont entrés en politique.

Q. : Jusqu'où arrêter cette notion de patrimoine ?

R. : Il faut faire place nette, ce qui s'installe dans l'esprit des Français, c'est le doute et je suis persuadé que si les Français connaissaient la situation des élus, ils seraient amenés à restituer à la confiance qu'ils avaient en leurs élus et notamment ceux de la base qui sont écœurés par ce qu'ils voient en ce moment. Je trouve que la réponse du milieu politique en général et celle du gouvernement en particulier n'est pas à la mesure de cet écœurement qui est en train de saisir le pays.

Q. : Cet écœurement n'est pas votre cheval de bataille ?

R. : Je constate que les affaires sortent les unes après les autres, que des grandes entreprises expliquent qu'elles ont arrêté les financements. Je constate que si on ne fait rien, c'est non seulement l'effondrement des partis et de la vie politique française, mais le discrédit moral de la cité elle-même. Il faut retrouver, au sens de la lettre aux instituteurs de J. FERRY, le sens et le goût du bien commun.

Q. : Comment en est-on arrivé à celle confusion entre J. CHIRAC et E. BALLADUR ?

R. : Quand on perd le sens de l'idée centrale de la politique, c'est-à-dire l'intérêt supérieur de la France, on en est réduit à s'arracher des morceaux de la croix de Lorraine.

Q. : Qu'est-ce que vous suggérez ?

R. : La méthode des primaires, la méthode consistant à mettre tout le monde d'accord a échoué.

Q. : Il ne faut plus penser aux primaires ?

R. : La méthode de C. PASQUA est la seule possible pour sortir de cette espèce de confusion, mais est-ce qu'on a encore le temps ? On a toujours le temps quand on a la volonté, mais je crois qu'on ne pourra battre le candidat J. DELORS que si on développe d'un autre côté une cause forte. Nous ne l'emporterons que s'il y a un candidat de souveraineté populaire nationale qui réunira la gauche et la droite parce que je suis persuadé que les idées maastrichtiennes qu'incarne aujourd'hui J. DELORS, le pays n'en veut pas.

Q. : J. DELORS sera candidat ?

R. : Il sera le candidat d'une Europe fédérale à dominante germanique et cette Europe là je n'en veux pas et je ne veux pas de Monsieur DELORS.

Q. : Il fait des réserves sur le fédéralisme dans son livre ?

R. : Comme Monsieur BAUDIS pendant la dernière campagne il va faire l'abjuro fédéralis, car finalement tout le monde est européen, mais J. DELORS a enrayé le processus de la construction européenne en désarmant l'Europe, en livrant nos emplois à la concurrence des pays à bas salaires.

Q. : Vous commencez la campagne ?

R. : Je n'ai qu'un adversaire, c'est J. DELORS, je n'ai pas choisi mes propres amis pour adversaires.

Q. : Avec 12 %, aux dernières européennes, vous pouvez poser des conditions à la majorité, lesquelles ?

R. : Trois : une nouvelle politique européenne qui soit aux antipodes de celle de Monsieur DELORS et qui permette à la France de retrouver sa souveraineté. Deuxièmement : une politique de l'emploi, nouvelle, qui nous permette de sortir du socialisme. Troisièmement : un pacte de probité publique qui nous permette de sortir de cette atmosphère de corruption.

Q. : Par qui vos idées peuvent-elles être défendues et, si elles ne le sont pas, vous présenterez-vous ?

R. : Si mes idées ne sont pas représentées je me présenterai. Je répondrai en janvier ; la configuration politique, l'éventail des candidatures vont beaucoup changer d'ici-là. Si quelqu'un le dit aussi clairement que moi, je le soutiendrai, sinon j'irais.

 

17 novembre 1994
LE FIGARO

Avant le lancement du Mouvement pour la France

Villiers : "La majorité est en morceaux, je les ramasse !"

"Mon seul objectif, c'est que Jacques Delors soit battu", affirme le président du conseil général de Vendée.

Philippe de Villiers, fondateur de Combat pour les valeurs, président du conseil général de Vendée et député européen (il a renoncé, pour cause de cumul des mandats, à son siège au Palais-Bourbon), lance dimanche à Paris le "Mouvement pour la France" afin, dit-il, d'apporter à la majorité un "souffle nouveau" et de "sortir du syndrome de la génération défaite." Il ajoute : "La majorité est un corps vivant, ce n'est pas une momie qu'on embaume. Divisée, elle est en morceaux, je les ramasse !" Ironisant sur la vie politique "installée entre les bouderies et les perquisitions" et sur la "nouvelle formule du gouvernement tourniquet", Philippe de Villiers se veut avant tout le "champion des idées anti-Delors" et affirme qu'il n'a "pas d'autre intérêt que la défaite de Jacques Delors". Qualifiant d'"esprit faux" le président de la Commission européenne, il s'exprime dans nos colonnes.

Le Figaro : Pourquoi créer un nouveau parti politique, qui risque d'accentuer les divisions au sein de la majorité ?

Philippe de Villiers : Ce n'est pas un parti, une machine électorale, c'est un mouvement au sens d'un grand rassemblement de tous ceux qui sont écœurés par les affaires, les querelles de personnes, parce qu'aujourd'hui il y a un vrai danger, c'est la division au sein de la majorité, et une vraie menace, c'est la victoire de Jacques Delors à l'élection présidentielle.

Moi, je veux me battre pour une idée centrale, la souveraineté, et pour des valeurs transversales : la France, qui est le bien commun de tous les Français, l'honnêteté et le civisme, la liberté d'aller et de venir, elle-même menacée, la famille, qui permet de lutter contre l'exclusion, et la préférence communautaire, qui seule peut sauver l'Europe. J'entends réunir dans ce mouvement des gens de tous horizons qui veulent parler "France".

La cohabitation : une "erreur fatale"

Q. : Il s'agit bien d'un nouveau parti, puisque vous avez l'intention de présenter des candidats aux prochaines élections…

R. : Notre mouvement présentera des candidats aux élections municipales dans le cadre majoritaire. Il n'est pas question pour nous de créer des concurrences supplémentaires, ni de mettre la gauche en situation de gagner. Nous serons présents dans le cadre majoritaire, soit comme têtes de liste dans quelques cas, soit comme l'une des composantes des futures listes municipales. Car chacun voit bien que la majorité a besoin, tant au niveau national que local, d'un souffle nouveau pour sortir du syndrome de ce que l'on pourrait appeler la "génération défaite". La majorité est un corps vivant, ce n'est pas une momie qu'on embaume. La majorité est actuellement divisée, en morceaux, je les ramasse !

Q. : Ferez-vous campagne contre certains maires de droite ?

R. : Notre spécificité, c'est l'opération "villes propres". À chaque fois qu'il faudra en découdre avec des maires de droite ou de gauche qui n'ont pas respecté les principes élémentaires de la probité publique, nous serons présents.

Q. : Appartenez-vous toujours à l'UDF ?

R. : Non, j'en ai été exclu.

Q. : La fédération UDF de Vendée a-t-elle été dissoute ?

R. : Elle n'est pas dissoute, elle vit sa vie, son nouveau président est un de mes amis. Je précise d'ailleurs qu'au sein du Mouvement pour la France, les militants qui appartiennent à l'UDF ou au RPR auront une liberté nouvelle : la double appartenance. C'est en cela que notre mouvement est non partisan, et se situe au cœur de la majorité.

Q. : Les dirigeants de la majorité considèrent pourtant que vous n'en faites plus partie…

R. : Il y a deux majorités : la majorité passée, qui est sortie des urnes en mars 1993, et la majorité présidentielle à venir. J'entretiens d'ailleurs les meilleures relations personnelles avec tous les grands leaders de la majorité actuelle Édouard Balladur, Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing. Et j'ai une communauté de convictions avec Charles Pasqua. Je suis même l'un des seuls à n'avoir aucun contentieux avec personne.

Q. : Que pensez-vous d'Édouard Balladur en tant qu'homme ?

R. : C'est un homme intègre.

Q. : Et en tant que chef du gouvernement ?

R. : Il expédie les affaires courantes et les affaires qui courent. Il a commis une erreur fatale, c'est la cohabitation, dont on pouvait pressentir qu'elle serait une période d'attentisme et de connivence c'est l'attentisme pré-présidentiel sur tous les sujets de fond (la fiscalité, la protection sociale, l'école, la famille…), et la connivence dans le domaine européen, puisqu'on met en œuvre le traité de Maastricht. En outre, la cohabitation a installé le régime des partis, qui est contraire à l'esprit de la Ve République. Cette période aura été malheureuse pour la France.

Q. : Malheureuse aussi pour l'image du gouvernement ?

R. : Il est certain que le gouvernement a démâté au sommet, et qu'à la base, la majorité connait le plus grand désarroi. On inaugure en France une nouvelle forme de gouvernement : le "gouvernement tourniquet". Le nôtre donne l'impression de subir et d'accueillir les affaires comme les Hébreux dans le désert accueillaient les pluies de sauterelles, c'est-à-dire des catastrophes naturelles ! Trop de ministres, depuis quelques mois, ont partagé leur temps entre les affaires ministérielles et les affaires tout court. La vie politique est installée entre les bouderies et les perquisitions. Il faut que cette période de cohabitation cesse au plus vite, car il s'agit ni plus ni moins de sauver nos institutions. Le gouvernement devrait créer le conflit avec le Président de la République sur la question de la place de la France dans l'Europe, au moment où notre pays prendra la présidence de l'Union européenne le 1er janvier prochain. Car là sera le moment de vérité : ou bien nous choisirons l'orbite fédérale, ou bien nous opterons pour l'Europe des souverainetés.

Q. : En fin de compte, le divorce Balladur-Chirac sert vos intérêts…

R. : Mon seul objectif, c'est que Jacques Delors soit battu.

Candidature : décision fin janvier

Q. : Seriez-vous prêt à participer à des primaires présidentielles ?

R. : C'est un bon système. L'idée de Charles Pasqua est de salut public, car il n'est jamais trop tard pour une candidature d'union. Je propose d'ailleurs que se tienne très vite une réunion des dirigeants de la majorité qui vont compter dans le débat présidentiel pour bâtir une cause forte face à Jacques Delors, qui est le tenant d'une Europe fédérale et libre-échangiste à dominante germanique, et d'un système social-démocrate. Jacques Delors est mon adversaire, en politique intérieure comme extérieure, c'est un esprit faux sur fond de bons sentiments. Je considère qu'il a fourvoyé la construction européenne et livré nos emplois à la concurrence des pays à bas salaires. Le débat présidentiel doit être centré sur une seule idée : la souveraineté de la France. Est-ce que la France va contribuer en Europe à éviter la rupture de digue de la poussée méditerranéenne de l'islam ? Car je ne veux pas que la France devienne la fille ainée de l'islam. Est-ce que la France va être le fédérateur d'une Europe des nations, d'une Europe de la paix entre l'Est et l'Ouest ? Si un candidat de la majorité cherche à faire, pendant la campagne présidentielle, du "sous-Delors", ou à défendre l'Europe de Maastricht, il créera la confusion dans le débat et risquera d'être battu. Je considère qu'il faut opposer à Jacques Delors une vraie candidature de souveraineté populaire et nationale.

Q. : Quand ferez-vous savoir vous-même si vous êtes candidat ?

R. : Fin janvier. Pour l'heure, je vais me faire le champion des idées anti-Delors, et si mes idées ne sont pas représentées, j'en tirerai les conséquences. Le prochain septennat sera celui de la renégociation du traité de Maastricht en 1996, une période décisive pour relancer le débat sur la préférence communautaire, l'occasion d'une nouvelle donne européenne et économique.

Q. : Que répondez-vous à Jean-Marie Le Pen, quand il dit que vous faites partie de la "tactique" de la majorité ?

R. : Oui, je fais partie de la tactique et même, au-delà, de la stratégie de la majorité, car je suis moi-même au cœur de la majorité, et je ferai tout pour la faire gagner. Je ne suis pas un sous-marin de la majorité, mais un bâtiment de surface, avec un tirant d'eau majoritaire, et un pavillon tricolore sur fond de Grande Europe. Je n'ai pas besoin de M. Le Pen pour me définir, L'implosion intellectuelle et morale de la droite fait qu'aujourd'hui, il suffit que M. Le Pen utilise certains mots (comme France, immigration, souveraineté ou probité) pour qu'ils deviennent tabous. M. Le Pen est un homme du passé, qui se situe en challenger de la majorité. L'immigration est un problème crucial dont je compte beaucoup parler dans les mois qui viennent. Les problèmes de la France ne doivent pas être considérés comme des "territoires annexés" par M. Le Pen. Il faut, il est grand temps, que la majorité se remette à exprimer des idées. Je m'y emploie.

 

Dimanche 20 novembre 1994
France 2

Q. : Certains prétendent que votre nouveau parti va gêner J. CHIRAC et favoriser E. BALLADUR ?

R. : On dit souvent que je suis un sous-marin. Non, je suis un bâtiment de surface. La seule personne que je voudrais gêner c'est J. DELORS. Quand j'entends l'Internationale à Liévin, en 1994, quand on sait ce qu'a été l'Internationale, ce qu'a été le socialisme et ce qu'a été le communisme, je me dis : on a vraiment tout oublié ! J'ai un adversaire, c'est J. DELORS, pas l'homme mais les idées, parce que pour moi il représente le socialisme libre-échangiste. C'est Monsieur catastrophe, Monsieur nationalisation, Monsieur dévaluation, Monsieur délocalisation et pour les paysans de France, Monsieur jachère. Et je ne peux pas penser qu'on puisse un jour élire à la charge suprême Monsieur DELORS.

Q. : Est-ce que vous serez candidat s'il y a des primaires dans la majorité ?

R. : J'ai toujours été favorable aux primaires, à l'idée de C. PASQUA, je ne suis pas sûr que les primaires puissent avoir lieu, mais si clics ont lieu, naturellement, je serai candidat.

Q. : Quitte à gêner E. BALLADUR ?

R. : Il s'agit d'ouvrir un grand débat d'idées sur trois questions essentielles : qu'est-ce qu'on fait de la France ? Est-ce qu'on se met sur une orbite fédérale sous hégémonie allemande ? Est-ce qu'on continue à poursuivre les politiques de lutte contre le chômage et contre l'exclusion classique, dont on voit bien qu'elles échouent ? On continue avec le libre-échangisme mondial et avec la social-démocratie ? Est-ce qu'on va accepter un pacte de probité publique ?

Q. : Si E. BALLADUR est candidat unique de la majorité après les primaires, vous présenterez-vous ?

R. : S'il y a des primaires et que j'y participe, ce que je souhaite c'est une candidature unique qui retienne nos idées et, en particulier, nos idées anti-DELORS.

Q. : Sur Maastricht vous n'avez pas les mêmes idées qu'E. BALLADUR ?

R. : Non, mais pendant les élections européennes. D. BAUDIS était fédéraliste, à la fin il était abjuro-fédéraliste. Regardez l'évolution de J. CHIRAC qui demande un référendum sur la monnaie unique. Les électeurs français, pêcheurs, agriculteurs, ouvriers, ceux qui voient qu'il y a une délocalisation par jour, vont poser le problème si les hommes politiques ne veulent pas le poser. C'est la même chose que la corruption. Si on continue à gérer les affaires courantes, la politique sera discréditée. Le Mouvement pour la France n'est pas une machine électorale, c'est le mouvement de tous les gens qui en ont assez des querelles d'hommes, des affaires de combines et des affaires de partis et qui veulent promouvoir une grande cause : la France et sa liberté, la France et sa souveraineté.

Q. : Qui d'autre que vous peut représenter vos idées ?

R. : Quelqu'un qui a mon âge vous dirait : "je serai candidat", c'est ridicule. Je défends un certain nombre de convictions : le salaire parental, la liberté des créateurs, la suppression de la taxe professionnelle – qui est un impôt stupide – la liberté de l'école.

Q. : Qui d'autre que vous…

R. : On ne connaît pas encore les candidats. E. BALLADUR a du flegme, c'est sans doute un homme d'État. La cohabitation ne lui a pas permis de le démontrer. Monsieur CHIRAC est bouillonnant, il est dynamique, il a beaucoup d'idées et j'ai beaucoup d'amitié pour lui. Quant à C. PASQUA, nous avons, ensemble, une communauté de convictions. On verra bien quel est celui qui est le mieux placé, et qui défend le mieux les idées auxquelles nous croyons. Si ces idées n'étaient pas défendues et s'il n'y avait pas de primaires, je n'hésiterai pas une seconde.

 

Mercredi 30 novembre 1994
France 2

Q. : Est-ce que la conception d'E. BALLADUR exprimée dans Le Monde vous satisfait ?

R. : Je ne suis pas satisfait. J'ai lu l'article trois fois, et j'en suis toujours au même point. C'est fin, E. BALLADUR pose des œufs de mouche dans des toiles d'araignée. Il répond au noyau dur par un noyau mou. Pour ma part, je pose des questions concrètes sur la vie des gens, sur notre vie quotidienne. Que fait-on en Bosnie ? Il faudrait faire une Europe de la sécurité. Qu'est-ce que l'Europe propose aujourd'hui ? Elle propose l'Europe de la monnaie unique, c'est-à-dire que ce n'est pas du tout la bonne priorité. L'Europe de la monnaie unique est une Europe qui deviendra fédérale, c'est une machine à transférer le pouvoir budgétaire, le pouvoir fiscal, le pouvoir social, autrement dit la souveraineté d'une nation. Je pose donc la question à E. BALLADUR : est-ce que oui ou non, vous êtes pour la monnaie unique ou est-ce que vous êtes pour la monnaie commune comme c'était le cas il y a quelques années. Deuxième question, l'insécurité. Dans quelques jours, la France va demander l'application du traité de Schengen : c'est un traité qui démantèle tout le contrôle aux frontières. Est-ce que c'est vraiment le moment ? Troisième question. Dans quelques jours, le Parlement français va se voir proposer de ratifier le GATT, qui abolit toute idée de préférence communautaire. Quand on voit chez nous cc qu'est le chômage, la désertification rurale, on se prend la tête dans les mains pour se demander pourquoi on peut faire de tels contre-sens historiques. Au moment où il faudrait renforcer les frontières, on va abolir les contrôles. Au moment où il faudrait renforcer les protections extérieures de la Communauté européenne pour qu'elle ne soit pas une zone de libre-échange, on pousse aux délocalisations. Au moment où il faudrait l'Europe de la sécurité pour faire la paix en Europe, je pense à la Bosnie, on fait le contraire à savoir l'Europe de la monnaie unique, qui est une folie.

Q. : J. DELORS n'aurait-il pas raison lorsqu'il dit que la fédération des États nationaux est la seule façon de mener une action diplomatique et militaire en Bosnie ?

R. : J. DELORS est un euro-utopiste. Il continue sur son utopie. Il a fait l'Europe du chômage, l'Europe de l'insécurité, l'Europe de la technocratie et il continue à nous dire qu'il faut continuer dans ce sens-là. Il se trompe. Nous, ce que nous voulons, c'est une Europe démocratique, une Europe des nations. Quand vous avez deux nations qui ne veulent pas travailler ensemble, ce n'est pas la peine d'essayer de faire une fusion car cela ne marchera pas. Or on l'a bien vu en Bosnie, l'Europe, au lieu de mettre sur pied un corps de défense commun non pas fusion mais avec des corps mixtes, s'en est remise au "machin" de l'OTAN, au "machin" de l'ONU et aujourd'hui l'Europe est impuissante. Or J. DELORS nous disait qu'avec Maastricht cc serait la paix.

Q. : Avez-vous lu les sondages qui disent que 54 % des patrons qui pensent que J. DELORS ferait un bon Président de la République ?

R. : J'ai lu ce sondage et je me suis dit la chose suivante. Ce que je vais dire est très dur. Évidemment pour un patron, c'est pratique le système Delors. Cela consiste à dire "je garde mon siège social à Paris et je mets mon usine en Asie du Sud-Est ; donc les profils à Paris et les bras là-bas". Cela fait l'Europe des sièges sociaux et des RMIstes. Les Japonais, eux, exportent et se protègent. Le contrat Alsthom sur le TGV pour la Corée du Sud ne va maintenir que 500 emplois en France. Il ne faut pas raconter d'histoires. Ce qui compte ce n'est pas la balance commerciale mais la balance d'emplois. En ce domaine, J. DELORS est complètement à côté de la plaque.

Q. : À première vue, nous ne semblez pas très satisfait par l'action du gouvernement ?

R. : Il y a quand même une évolution puisque E. BALLADUR dit qu'il n'y a plus d'Europe fédérale. J. CHIRAC dit qu'il faut un nouveau référendum. J'ai l'impression qu'ils viennent sur notre terrain, à savoir le terrain de C. PASQUA, de P. SEGUIN, de J. GOLDSMITH, de moi-même pendant les élections européennes. C'est toujours bon signe pour les idées que nous représentons. Je n'ai aucune envie de me présenter à l'élection présidentielle mais si j'ai le sentiment que sur la question de la survie de la communauté nationale, sa souveraineté, son identité, son rayonnement, on n'a pas une position claire, je n'hésiterais pas.

Q. : P. MÉHAIGNERIE a annoncé un projet en ce qui concerne la corruption, êtes-vous satisfait ?

R. : Je ne suis pas satisfait parce que c'est une nouvelle loi scélérate. Aujourd'hui les grands partis représentent 46 % des voix et se réserve 90 % de l'argent public. Un parti comme le Mouvement pour la France n'a rien du tout. La nouvelle loi proposée par P. MÉHAIGNERIE consistera à réserver l'argent du contribuable aux partis politiques classiques pour en faire une sorte de huis clos définitif des ayants-droits de la vie politique et rien pour les autres. C'est la carte forcée pour le contribuable. C'est une captation de la démocratie et j'ai d'ailleurs écrit en ce sens-là à E. BALLADUR. Je ne suis pas sûr qu'E. BALLADUR suive son garde des sceaux.

(Invité de G. Leclerc, France 2 – 7 h 45)