Texte intégral
Q. : Voici huit jours, monsieur le Premier ministre, votre gouvernement décidait d'intervenir au Rwanda. C'est un acte grave. Or, malgré les demandes que j'ai réitérées au nom du groupe communiste en conférence des présidents, le Gouvernement refuse d'inscrire à l'ordre du jour un débat qui permette aux parlementaires de se prononcer sur cette grave question. On ne peut tenir pour un débat la réponse faite à une question d'un parlementaire de la majorité. Le Parlement est donc tenu à l'écart d'un débat pluraliste, conforme à la tradition républicaine, sur un sujet majeur de l'actualité. Ce n'est pas acceptable ! Ce n'est pas acceptable pour notre groupe, pour d'autres non plus – j'ai pu m'en rendre compte en conférence des présidents.
Ce n'est pas acceptable, pas seulement parce que nous émettons avec d'autres, ici et dans le monde, des réserves sur cette intervention, et que nous le maintenons, pas seulement parce que nous souhaitons que la France prenne d'urgence des initiatives pour qu'une action humanitaire accrue de l'OUA et de l'ONU se substitue le plus rapidement possible à celle de la France, mais parce qu'il est inconcevable que la représentation nationale ne puisse se prononcer sur un tel sujet.
Il y a crise de l'institution parlementaire. L'image de l'Assemblée nationale est altérée dans l'opinion. Or, refuser ce débat porte atteinte à la dignité de notre assemblée et est contraire aux règles de la démocratie parlementaire.
Ma question est donc simple : un débat sur le Rwanda ne pouvant avoir lieu pendant la session extraordinaire, puisqu'il n'est pas inscrit à l'ordre du jour – par ailleurs démentiel – de celle-ci, quand le Gouvernement entend-il faire, d'ici à la fin de la session, comme il en a encore la possibilité, une communication à l'Assemblée sur ce sujet suivie d'un débat ?
R. : Monsieur le député, c'est devant l'Assemblée nationale, il y a huit jours, que M. le Premier ministre a présenté les conditions de l'intervention française au Rwanda. Nous en parlons encore cet après-midi et j'en ai rendu compte aussi, hier après-midi, devant la commission des affaires étrangères. Par ailleurs, je puis vous assurer que le Gouvernement reste ouvert à toute suggestion du président et du bureau de l'Assemblée nationale pour mieux associer l'Assemblée au suivi de cette opération.
Je vais maintenant vous en rendre compte. Ainsi que le Premier ministre l'a indiqué la semaine dernière, l'opération française était soumise à quatre conditions :
1. D'abord, il y fallait un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU. Il a été obtenu, ainsi que nous le souhaitions. C'est la résolution 929 qui fournit le cadre et le fondement juridique de notre intervention.
2. Deuxièmement, il s'agissait d'une opération strictement humanitaire, comme tout le monde le souhaite ici, dotée de moyens militaires compte tenu de la situation. Nous avons envoyé un détachement sur place. L'opération « Turquoise » est en cours. Elle se déroule dans des conditions satisfaisantes. Il ne s'agit pas de prendre part à un conflit ethnique, mais de sauver les populations déplacées et les populations civiles menacées – dans un premier temps, les minorités tutsies qui subsistent dans les zones contrôlées par les Hutus. Nous considérons qu'aujourd'hui, environ 10 000 personnes bénéficient de la protection des troupes françaises. Pour bien faire comprendre le sens de cette opération, nous avons pris des contacts politiques à haut niveau avec les représentants des deux parties. Je constate que, maintenant, même les dirigeants tutsis le comprennent. Et leur porte-parole a annoncé qu'ils n'entreprendraient pas d'action militaire contre la France.
3. Troisièmement, nous ne devions pas y aller seuls. Nous avons sollicité un soutien diplomatique et un soutien technique. Après quelques flottements nous avons obtenu le soutien diplomatique de nos principaux partenaires : sans ambiguïté, celui de nos partenaires européens à l'occasion du Sommet de Corfou, celui de nos partenaires africains hier, à l'occasion du sommet des pays de la zone franc à Libreville. Pour ce qui est de l'assistance militaire et technique, 300 Sénégalais sont également sur place et le concours d'autres pays africains est annoncé, ainsi que le concours technique de plusieurs pays européens.
4. Enfin, dernière condition, sur laquelle il convient d'insister parce qu'elle est très importante : il fallait que ce fût une action limitée et temporaire. Elle n'était qu'un relais pour pallier en urgence la carence des organisations internationales compétentes. Il fallait que quelqu'un osât aller au secours de ce peuple tout entier en danger de mort. La France a osé. Il appartient à la communauté internationale, à l'issue du délai de deux mois que nous avons fixé en accord avec l'ONU, de prendre la suite. La France a pris toutes ses responsabilités. La parole est maintenant à la communauté internationale.