Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur le développement des relations franco-québécoises, Paris le 24 janvier 1995.

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Circonstance : Visite de M. Jacques Parizeau, Premier ministre du Québec à Paris du 24 au 27 janvier 1995

Texte intégral

Point de presse conjoint du ministre des Affaires étrangères, monsieur Alain Juppé, et du Premier ministre du Québec, monsieur Jacques Parizeau, à l'issue de leur entretien – Propos du ministre (Paris, 24 janvier 1995)

C'est avec beaucoup de plaisir et grand honneur que je reçois à nouveau M. Parizeau qui m'avait rendu visite au mois de juillet dernier. Un certain nombre d'évènements se sont produits depuis lors, évènements heureux. Bien entendu, je suis très satisfait de l'entretien que nous venons d'avoir, qui m'a permis, dans le cadre de la politique que vous connaissez, de redire à M. Parizeau toute l'importance que nous attachions ici à la relance de la coopération entre la France et le Québec.

Très récemment, s'est tenue une réunion de la Commission permanente qui est le cadre de cette coopération et elle a été extrêmement positive. Je crois qu'un nouvel élan a été donnée à ces relations, notamment dans le domaine culturel et universitaire auquel nous tenons les uns et les autres. Il faut que le flux de nos relations, qui avait été si important dans le passé, puisse à nouveau se développer. C'est donc dans cet esprit que nous avons échangé nos points de vues à l'instant même et nous allons continuer autour de la table du dîner, dans ce climat d'amitié et de cordialité qui caractérise toujours nos rencontres. Je vais laisser M. Parizeau s'exprimer. Nous répondrons ensuite rapidement à vos questions.

Q. : Quelle est votre réaction à certaines déclarations de parlementaires français concernant le Québec et le Canada ?

R. : Je ne suis pas chargé d'assurer la discipline dans les rangs des parlementaires français. Je suis ministre des Affaires étrangères. Vous connaissez la ligne politique qui est la nôtre. Nous n'avons pas à nous ingérer dans les affaires de nos amis. C'est aux Québécois de décider ce qu'ils veulent faire à l'avenir. Je ne vais pas vous réciter la fameuse expression balancée que chacun connaît et qui vous rappellera que sans être indifférents, nous ne nous ingérons pas. Donc, voilà notre ligne et elle est parfaitement comprise, je crois, de part et d'autre.

Q. : Quelle est votre réaction aux propos tenus par l'Ambassadeur du Canada à Paris sur le Président de l'Assemblée nationale ?

R. : Je n'ai pas de commentaires à faire sur les propos de l'Ambassadeur canadien.

Q. : Et si le Québec devenait souverain, quelle serait l'attitude de la France ?

R. : M. Parizeau m'a parlé de son calendrier ; eh bien, nous allons observer tout cela avec beaucoup d'intérêt.

Q. : M. Parizeau vient d'indiquer qu'il n'y a aucune raison que les autorités françaises, au-delà de l'amitié, de la sympathie et de la compréhension, fassent quelque geste tant que la volonté du peuple québécois ne s'est pas exprimée.

R. : En tout cas, je peux vous confirmer que nous ne manquons pas ni de sympathie ni de compréhension.


Toast du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, lors du dîner offert en l'honneur du Premier ministre du Québec, M. Jacques Parizeau (Paris, 24 janvier 1995)

Monsieur le Premier ministre du Québec, Madame, Messieurs et Mesdames les ministres, Mesdames Messieurs, c'est pour moi un grand plaisir de vous revoir ici, Monsieur le Premier ministre, et un honneur de vous recevoir à dîner avec Madame Lisette Lapointe, de recevoir en votre personne le nouveau chef du gouvernement du Québec, ce qui n'était pas encore tout à fait le cas lorsque je vous ai accueilli au mois de juillet de l'année dernière, chef du gouvernement du Québec qui a choisi la France pour sa première visite officielle à l'étranger, et vous sentez bien que cela nous touche.

Séparés par la géographie, et trop longtemps par l'Histoire, la France et le Québec se sont retrouvés parfois avec passion, après votre révolution tranquille. Tant de pays connaissent devant nos yeux des convulsions et des déchirements, que je ne puis m'empêcher de vous dire l'admiration des Français pour l'extraordinaire capacité de réveil, d'imagination dont la société québécoise a su faire preuve pour s'engager résolument dans la modernité, l'ouverture et le pluralisme. Tout cela ayant été fait en réaffirmant avec force et détermination, cette identité à laquelle vous tenez de toutes vos fibres.

Grâce à l'impulsion donnée par le Général de Gaulle à notre redécouverte mutuelle, la relation entre le « vieux pays » et les descendants des habitants de la « Nouvelle France », est devenue d'une richesse et d'une diversité à bien des égards exceptionnels.

Fruit de notre volonté commune, la relation franco-québécoise est donc bâtie dans la durée et pour la durée. Elle a su s'abstraire de toutes les vicissitudes de l'actualité en s'adaptant et en s'enrichissant.

Vous avez souhaité, Monsieur le Premier ministre, dès votre discours d'investiture, que cette relation s'approfondisse, qu'elle s'intensifie encore pour tenir compte de l'évolution de nos deux sociétés et aussi de leur appartenance à leur espace géographique immédiat, pour nous l'Europe, pour vous l'Amérique, vous savez bien que nous sommes décidés à répondre à l'attente que vous avez ainsi exprimée. Déjà ces derniers mois ont porté leurs fruits et au cœur de la relation franco-québécoise, nous avons eu l'occasion de l'évoquer tout à l'heure au cours de notre entretien, la coopération culturelle, scientifique et technique a démontré une très grande capacité d'adaptation. Nous avons engagé un processus de rénovation dont les conclusions de la commission permanente qui s'est réunie à Québec les 17 et 18 janvier derniers constitue une étape importante, et j'étais heureux de voir que sur les priorités de cette coopération, nous avions la même réaction et le même sentiment.

Le dynamisme de notre relation s'est manifesté également dans le domaine économique et la présence à vos côtés de mon collègue et ami M. Rossi l'atteste, par la mise en place de grands partenariats industriels, dans les secteurs des transports, de l'énergie, des industries culturelles. La signature à laquelle votre visite à Paris donnera lieu, d'une nouvelle entente en matière de coopération industrielle entre l'ACTIM et le gouvernement du Québec augure une augmentation et un rajeunissement de nos échanges. Enfin, comme vous l'avez promis lors de la campagne électorale de l'automne dernier, vous avez engagé le Québec dans un vaste débat sur son avenir. Vous savez que la France dans ce domaine est respectueuse de sa position traditionnelle de non-ingérence et qu'elle ne saurait en même temps, se montrer indifférente au questionnement du Québec sur son destin. La France salue l'énergie que vous avez mis dans ce débat, et l'esprit démocratique que vous avez su y faire prévaloir, ce que vous m'avez expliqué tout à l'heure sur le grand débat, la grande concertation qui va jusqu'au tréfonds du peuple québécois est l'illustration de cette volonté démocratique. Alors, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous observerons avec sympathie et compréhension ce qui va se passer avec la même volonté de ne pas nous mêler des affaires qui relèvent avant tout de votre responsabilité et de votre libre choix. Quoi qu'il en soit, les liens entre nous sont tellement profonds, tellement anciens, tellement étroits, que je suis sûr que ce dialogue que nous avons eu ce soir n'est que le premier d'une longue série. C'est dans cet esprit que je voudrais lever mon verre à l'amitié entre le peuple québécois et le peuple français. Vive le Québec, vive la France, et vive l'amitié franco-québécoise, Monsieur le Premier ministre.