Texte intégral
Le Journal du Dimanche : Sur quoi le débat présidentiel va-t-il essentiellement porter, sur quoi voudriez-vous qu'il porte ?
Philippe Séguin : Pour avoir un débat présidentiel, il faut des candidats déclarés et des projets concurrents. Or, jusqu'à présent, nous avons, à la notable exception de Jacques Chirac, des candidats potentiellement concurrents mais non déclarés et une absence de réels projets. C'est pourquoi j'appelle de tous mes vœux chacun de ceux qui souhaitent présenter leur candidature à se déclarer au plus vite et à exposer clairement le sens de leur démarche. Quant aux grands thèmes qui m'apparaissent centraux pour la fin de ce siècle, ils sont ceux que je n'ai cessé de rappeler, en dépit de nombreuses protestations, depuis plusieurs années : d'abord, la restauration de la République et de ses valeurs à travers un Président arbitre, un Parlement actif, un Etat moderne ; ensuite, la lutte contre l'exclusion dont dépend l'unité nationale ; enfin, l'Europe, qui doit être relancée de manière à rester compatible avec le souveraineté des États qui la composent.
Alain Minc : Le débat présidentiel risque de porter sur l'illusion éventuelle d'une « autre » politique économique. Il devrait au contraire se concentrer sur la question clef: à politique macro-économique sérieuse, quels efforts la France doit-elle accomplir pour aller enfin à rebours du choix collectif qu'elle a fait en faveur du chômage ?
Le Journal du Dimanche : Sur quoi la présidence française du Conseil européen devrait-elle porter en priorité ses efforts ?
Philippe Séguin : il est clair que la présidence française ne pouvait tomber à un plus mauvais moment. Deux hypothèses existent : soit nous plaçons cette présidence entre parenthèses, dans l'attente des choix qui devront être effectués par le prochain Président de la République ; soit nous plaçons en quelque sorte l'Europe hors du débat présidentiel. Or, il m'apparaît fondamental que le débat qui s'ouvre traite de l'Europe, précisément parce que sa relance et sa réorientation devront être au cœur du prochain septennat. L'échéance majeure qui se présente devant nous est donc bien l'élection présidentielle. C'est à partir des grandes options qui seront arrêtées par le prochain Président que la France devra peser sur la révision institutionnelle de 1996. Cette révision est décisive parce qu'elle peut permettre de démocratiser l'Europe, de réintégrer la lutte contre le chômage dans l'Union économique et monétaire, d'accueillir enfin les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale.
Alain Minc : La question européenne ne pourra être traitée lors de la Présidence française. Elle se posera à nous, lorsqu'un Président nouvellement élu et donc légitime fera face au Chancelier Kohl : comment renforcer l'Ouest du continent, un pôle de stabilité et d'intégration plus poussée, seule réponse à un élargissement désormais naturel vers l'Est, Russie et Ukraine exclues ? Ceci passe par la réalisation de l'Union économique et monétaire, le plus vite possible et par la construction, autour de l'UEO, d'une défense intégrée.
Le Journal du Dimanche : Est-on à la veille (ou même en train) de connaître une réelle recomposition politique ? Recomposition seulement entre les familles politiques dites de droite ?
Philippe Séguin : Ce qui est certain, c'est que la prochaine élection présidentielle pourrait entraîner un passage de témoin entre générations, à gauche comme à droite. Ce qui est certain aussi, c'est que le cadre idéologique sur lequel a vécu la vie politique française depuis 1958 s'est écroulé à partir de 1989. Mais pour prendre l'exemple du RPR, dont vous comprendrez qu'il m'intéresse directement, je pense que les valeurs gaullistes qu'il a pour mission de défendre conservent plus que jamais leur actualité. En clair, à mes yeux, le RPR n'est pas soluble dans un grand parti conservateur et si cette hypothèse devait être envisagée, je m'emploierai à la combattre de toute mon énergie.
Alain Minc : Toute élection présidentielle porte naturellement une virtualité de recomposition, surtout si le vainqueur bénéficie d'une large majorité. François Mitterrand pouvait le faire en 1988, il n'a pas voulu effectuer les gestes authentiques qui l'auraient permis. En 1995 l'occasion se présentera peut-être : le nouveau Président fera-t-il ce qu'élu en 1974 Jacques Chaban-Delmas aurait tenté ?
Le Journal du Dimanche : Vous avez dialogué publiquement ensemble sur 306 pages. Ce dialogue va-t-il se poursuivre dans les prochains mois ? Quel rôle, individuellement ou tous les deux ensemble, aimeriez-vous jouer pendant la campagne et au début du prochain septennat ?
Philippe Séguin : Là encore, ne confondons pas les genres. L'intérêt de mon dialogue avec Alain Minc consistait à comparer les vues d'un politique et d'un intellectuel, d'un acteur et d'un commentateur, qui plus est défendant deux idées de la France différentes sans être pour autant irréconciliables. En tant qu'homme politique, j'entends prendre toute ma part au début présidentiel qui s'ouvre, et tout d'abord en soutenant la candidature de Jacques Chirac. Quant à Alain Minc, il lui reviendra de savoir s'il souhaite s'engager en faveur d'un candidat ; je doute cependant que s'il s'engage nous soutenions le même homme. Mais c'était là précisément l'objet et le charme de nos entretiens…
Alain Minc : Qu'un homme politique et un intellectuel dialoguent témoigne d'une société où les corporatismes et les barrières traditionnelles finissent par s'effacer. Nous nous sommes, je crois, réjouis l'un et l'autre de découvrir, à la fin des lins, que ces « Deux France » n'en font qu'une et que notre modèle d'intégration demeure le meilleur.
(1) Deux France ? d'Alain Minc et Philippe Séguin, Plon, 306 pages, 120 F.