Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
La construction européenne depuis plus de quarante ans a reposé avant tout sur la solidité et le dynamisme de la coopération entre la France et l'Allemagne. Sans doute historiquement, étaient-elles les deux adversaires à réconcilier. Sans doute aussi leur poids démographique, politique et économique, tout comme leur position géographique, les placent-elles au cœur des évolutions européennes. Nos deux pays ont conjointement lancé les grandes initiatives européennes lorsque, parfois, la dynamique semblait s'essouffler. Ils ont assuré aussi la stabilité de l'Europe dans les périodes de tension.
Entendons-nous bien : plus de 30 ans d'expérience d'une relation franco-allemande privilégiée sont là pour témoigner qu'elle n'est pas exclusive de toute autre, qu'elle ne vise pas à établir une influence exclusive sur l'Europe. Elle est simplement fondée sur ce constat d'évidence : sans l'entente entre nos deux pays, les conditions du progrès de notre continent ne peuvent être réunies.
L'Europe de demain ne ressemblera pas à celle des pères fondateurs. Elle regroupera plus d'une vingtaine d'États, dont les traditions, les niveaux de développement, l'organisation sociale seront très variés. Comment éviter qu'un ensemble si vaste et si divers ne soit condamné à l'impuissance ? J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur ce sujet. Il faut, je crois, qu'en chaque domaine, les États qui le veulent et le peuvent puissent s'associer en un cercle, fût-il d'abord restreint, qui leur permette d'aller ensemble de l'avant ; ils doivent le faire tout en restant accueillants aux autres membres de l'Union qui voudraient les rejoindre plus tard.
L'union monétaire que nous sommes en train de construire sera certainement avec les questions de défense et de sécurité l'un de ces cercles. Elle a, à cet égard, valeur d'exemple.
Bien vite dans la construction européenne, il est apparu que la coopération économique ne progresserait vraiment que si elle était soutenue par une coopération financière et monétaire. Je ne referai pas devant vous, qui la connaissez bien, l'histoire des étapes qui nous ont conduits là où nous sommes aujourd'hui. M. Barre, qui en est l'un des meilleurs connaisseurs, a eu à jouer un rôle important dans ce domaine. Qu'il me suffise de rappeler que toutes ces étapes sont le fruit d'idées proposées et élaborées en commun par la France et l'Allemagne :
– création dans les années 1960 du mécanisme de l'unité de compte, qui devait servir à la fixation de prix agricoles communs et dont on pensait qu'il entraînerait une stabilisation des parités des monnaies des pays membres de la Communauté ;
– création du système monétaire européen en 1979, sur proposition conjointe de l'Allemagne et de la France, monsieur Barre étant Premier ministre ;
– création enfin de l'Union économique et monétaire, avec la perspective de la monnaie unique en 1997.
Aussi tout au long de notre histoire commune, l'intégration économique et monétaire a toujours été l'instrument d'un renforcement des solidarités politiques.
Le rapprochement des économies française et allemande, sans lequel rien ne se fera, avec lequel tout devient possible, est désormais inscrit dans les faits. J'en soulignerai trois aspects :
Premièrement, nos deux économies sont intégrées l'une à l'autre au point de former réellement un seul marché. La France et l'Allemagne sont l'une pour l'autre premier client et premier fournisseur ; Nos entreprises ont développé des liens industriels et financiers qui vont au-delà du seul commerce. S'il faut n'en citer qu'un exemple, je rappellerai que de nombreuses sociétés françaises ont investi dans la partie orientale de l'Allemagne, tout comme des investisseurs allemands ont participé aux privatisations d'entreprises publiques en France.
Depuis longtemps, les relations franco-allemandes ne sont plus seulement affaire d'État à État. Elles sont la vie quotidienne de bien des hommes et de bien des entreprises dans nos deux pays engagés dans des projets communs.
Deuxièmement, nos deux pays sont appelés à connaître, dans les années qui viennent, une convergence presque parfaite de leurs cycles économiques. Les forces de rapprochement de nos économies étaient déjà puissamment à l'œuvre dans la seconde moitié des années 1980 et l'on a vu se dessiner, pendant cette période, les grandes évolutions qui se confirment aujourd'hui.
Le choc de la réunification des deux parties de l'Allemagne est venu bouleverser temporairement cette convergence entre 1990 et 1993. Elle en a désormais effacé avec succès les effets les plus rudes, et la période qui s'ouvre s'annonce sous les auspices d'une très grande proximité de nos économies :
– la croissance sera forte en 1995 en France comme en Allemagne ;
– la différence des taux d'inflation, devrait devenir négligeable grâce à l'effort de modération salariale et à la détente du marché immobilier en Allemagne ;
– les échanges commerciaux devraient être pratiquement équilibrés ;
– les tendances de l'investissement et de la consommation sont orientées de manière identique dans nos deux pays.
Troisièmement, les mécanismes de coopération que nous avons mis au point au fil des ans ont résisté aux crises. Ils nous ont permis d'élaborer peu à peu une approche commune des problèmes économiques, monétaires et financiers, qui fonde notre solidarité.
Cette coopération passe bien sûr par la participation aux institutions communautaires. Elle passe également par des contacts bilatéraux. Puis-je souligner le caractère exemplaire du Conseil économique et financier franco-allemand que nous avons créé en 1988, – je l'avais proposé, étant alors en charge de l'économie et des finances au sein du gouvernement français. Ministres des finances et gouverneurs des banques centrales de nos deux pays s'y retrouvent deux fois par an dans un cadre privilégié de confiance et de concertation.
Forts de cette coopération, nous avons su faire face ensemble aux soubresauts qu'a connus le système monétaire européen depuis la ratification du traité de Maastricht. À cet égard, je constate que la décision d'élargir les marges de fluctuation des monnaies prises pour mettre fin à la crise spéculative de juillet 1993, a non seulement permis de préserver le système, mais a aussi favorisé une grande stabilité de la plupart des devises qui participent au mécanisme de change.
Tout n'est pas résolu. Les événements des dernières semaines en sont la malheureuse illustration, les monnaies de certains États membres de l'Union européenne connaissent encore des variations excessives, sans rapport avec les données fondamentales des économies, et le désordre monétaire reste la règle dans le reste du monde. Devons-nous l'accepter ? Devons-nous nous résoudre à voir nos pays exposés à des chocs monétaires qui menacent leur prospérité et portent un grave préjudice aux échanges internationaux ? La réponse est non. Lorsque nous aurons créé avec nos plus proches partenaires une monnaie unique, pourrons-nous nous résigner à l'instabilité des autres devises ? Je ne le crois pas.
Il nous appartient maintenant de progresser dans la reconstruction d'un véritable système monétaire international. La France et l'Allemagne ont su unir leurs efforts dans le cadre du G7 lorsque les intérêts vitaux de leurs économies étaient en jeu, – je pense en particulier aux Accords du Louvre. Le passage à la monnaie unique devra être l'occasion pour elles d'œuvrer à nouveau ensemble pour la stabilité et la prospérité du monde. Il faudra élargir aussi vite que possible le cercle des pays participant à l'union monétaire et, au-delà, réinventer des mécanismes efficaces de coopération économique et monétaire internationale.
Nous n'en sommes sans doute pas encore là, mais déjà, voilà plus d'un an que nous sommes entrés dans la deuxième phase de l'union économique et monétaire. La convergence de nos économies et la confiance réciproque qui nous anime nous permettent d'envisager sereinement le passage à la troisième phase, si possible dès 1997. Je suis profondément attaché au respect des dispositions du traité. Elles ne doivent être ni assouplies, ni modifiées. Tous les pays de l'Union doivent s'employer à les satisfaire et faire preuve de la volonté politique d'aboutir.
La France, pour sa part, y est déterminée ainsi que le montre l'action du gouvernement.
Nous avons consacré par la loi un nouveau statut de la Banque de France. C'est désormais une institution indépendante qui conduit la politique monétaire de notre pays avec l'objectif clairement affiché d'assurer la stabilité du franc.
Nous avons ramené notre taux d'inflation à des niveaux jamais vus depuis plusieurs décennies. Avec une hausse des-prix à la consommation de 1,6 % en 1994, la France, est le plus sage des pays de l'Union européenne. J'observe d'ailleurs que la stabilité des prix et de la monnaie fait l'objet d'un large consensus dans notre pays, contrairement à ce que certains semble croire.
Nous avons entrepris l'assainissement de nos finances publiques. La maîtrise des finances de l'État est programmée sur cinq ans, avec pour objectif un déficit budgétaire ramené à 200 milliards de francs en 1997 ; les budgets 1994 et 1995 sont en phase avec cet objectif. S'agissant des finances sociales, nous avons clarifié les comptes et jeté les bases d'une gestion désormais plus rigoureuse avec la loi sur la sécurité sociale ; nous avons assuré, par la réforme des retraites, les conditions de retour à l'équilibre de l'assurance vieillesse ; nous avons commencé à maîtriser les dépenses de santé, avec des résultats encourageants puisque les dépenses de médecine ambulatoire auront progressé deux fois moins vite en 1994 qu'en 1993.
L'économie française est devenue une économie moderne et ouverte : nous avons développé nos exportations et nos importations dans des proportions qui font de la France l'un des pays du monde le plus tourné vers l'extérieur ; nous avons aboli les réglementations qui entravaient la liberté d'investissement et les mouvements des capitaux.
Vous le voyez, la France sera prête le moment venu pour le passage à la monnaie unique. Elle en a la capacité économique ; elle en a aussi la volonté politique.
Mesdames,
Messieurs,
La construction européenne et l'amitié franco-allemande sont les conditions de la paix sur ce continent, de la prospérité et de l'indépendance de nos peuples.
Cette vérité s'impose toujours à nous malgré les changements décisifs que le monde a connu ces dernières années. Aucun pays européen ne peut aujourd'hui accompagner seul la difficile transition démocratique et économique des pays d'Europe centrale et orientale. Aucun ne peut répondre seul au défi que représente la profonde transformation que traverse la Russie. Aucun ne peut rester isolé face à la concurrence internationale sévère des nouveaux continents ou aux nouvelles menaces qui pèsent sur notre sécurité. Qui d'autre qu'une Europe forte et solidaire dont l'Allemagne et la France sont les garantes, pourrait permettre de surmonter ces difficultés ?
Cette conviction qui fut celle du Général De Gaulle et du Chancelier Adenauer, comment ne pas la partager à notre tour ? C'est justement parce que nous sommes fidèles à cette inspiration qu'il faut renouveler les formes de notre coopération. Je l'ai dit, l'Europe devra évoluer puisqu'elle s'élargit. Je suis convaincu que l'esprit qui anime le modèle institutionnel mis au point pour l'Union économique et monétaire pourra servir d'inspiration à d'autres approfondissements. De même, la coopération franco-allemande doit s'adapter aux réalités d'aujourd'hui. J'ai formulé le vœu que nous puissions adapter et compléter le Traité de l'Élysée pour en tenir compte et affirmer nos préoccupations nouvelles, telles que le dialogue social ou les questions de sécurité. C'est un vaste horizon qui s'ouvre pour nos deux peuples. Sachons être dignes de l'attente de nos concitoyens.