Texte intégral
RMC : Jeudi 12 janvier 1995
P. Lapousterle : Qu'est-ce que vous voulez faire ?
B. Kouchner : Il faut transformer notre pays qui est vieux, pesant, vermoulu. Il faut le faire, parce que vu d'Europe, vu de Bruxelles, vu de Strasbourg, la France est en arrière de la main. La France, on en attend beaucoup et elle ne fait que promettre. Il faut changer nos structures, nos institutions, notre façon de voir, nos hommes politiques, le langage lui-même. Regardez le festival de langue de bois que va nous réserver l'élection présidentielle. On est en plein dedans. Les gens en ont marre. Les jeunes ne peuvent pas y croire. Pourtant, ils se sont inscrits. Ça veut dire aussi l'Europe à construire qui est notre aventure, ça veut dire le monde qui tend l'oreille vers la France. La France, c'est formidable vu d'un peu loin. Et qu'est-ce qu'on en fait, qu'est-ce qu'on a fait de l'Afrique, qu'est-ce qu'on fait du monde ? Il y a tout cela à reprendre en main. Et ça, c'est exaltant, c'est l'aventure. Mais c'est une aventure qui doit passer par la démarche individuelle. C'est ça le risque choisi. Je pense qu'il faut abolir le service militaire habituel, faire un service civil obligatoire, ici, chez nous, dans notre France, aux côtés des exclus, et puis ailleurs pour apprendre avec les autres pour rencontrer l'immense monde qui ne va plus s'apercevoir de notre existence bientôt.
P. Lapousterle : Vous avez été ministre de la République pendant cinq ans. Vous savez bien que c'est difficile de mettre tout cela en œuvre. Est-ce que c'est aux hommes politiques de le faire ?
B. Kouchner : Ce que je veux dire, c'est que maintenant, il faut une démarche individuelle pour s'intégrer dans une démarche collective. Mais tout vient de soi-même. On croyait trop à l'État. On a trop cru à cette rédemption administrative. Maintenant, même pour le système social, il faut une démarche individuelle qui rencontrera un soutien de notre appareil social. Vous me dites que j'ai été ministre. Oui, j'ai été ministre pendant cinq ans et je n'ai pas à en rougir. En presque quatre ans, je crois avoir lancé à travers le monde, ce qu'on a appelé l'ingérence humanitaire. Pas en Tchétchénie, maintenant, où j'entends comme d'habitude les rengaines du type, c'est une affaire intérieure, laissons-les mourir. La France est capable, elle l'a prouvé, même dans les institutions internationales, de commencer les démarches. Je l'ai dit. Il faut continuer. Et en France, ce que j'ai fait au ministère de la Santé, et qui est d'ailleurs souvent mieux continué, poursuivi, par Simone Veil et Philippe Douste-Blazy, parce qu'ils ont eu du temps. Moi, j'ai tout changé, la Santé publique, la transfusion sanguine, l'éthique avec les lois sur la bioéthique, j'ai changé le système de distribution en France, une attitude différente envers les toxicomanes, la méthadone, etc.
P. Lapousterle : Est-ce que vous êtes intéressé à être candidat à la présidence de la République ?
B. Kouchner : Je suis intéressé à ce qu'on lise mon livre et qu'on me le dise, et je suis intéressé au débat. Je pense qu'il est mal parti et que, comme d'habitude, ce sont les vieilles querelles, les vieilles lunes, les vieilles phrases, la langue de bois. Nous sommes dans des ornières. Il faut être dans des partis, ils décident de tout. C'est une querelle interne entre les partis, à l'intérieur des partis, qui va présider, en tout à cas à gauche, à la désignation du candidat. Ça ne sera pas le débat. Évidemment, il y a un boulevard pour la droite dans ces conditions. Et pourtant, regardez Jacques Delors, il y avait 54 % de Français qui voulaient que cela change. Eh bien nous allons retomber à des chiffres minimums. À votre question précise je ne réponds pas encore parce que je vais, dans les jours qui viennent, publier un certain nombre d'idées sous forme d'idées précises sur lesquelles il faudra se prononcer. Et puis, si j'en juge l'intérêt et les injures qui commencent, mon semblant de début de balbutiement de candidature, qui a consisté à aller voir M. Hory qui m'avait invité il y a 15 jours, intéresse. Alors, évidemment, les conformes vont s'affoler. Comment ? Cet anticonformiste ? Celui qui n'est pas dans le sillon ! Il n'y aura que des énarques à la présidentielle…
France Inter : lundi 23 janvier 1995
J.-L. Hees : Que pensez-vous de la situation au PS ? Je voudrais aussi savoir si vous allez bien puisque vous sortez de l'hôpital. Avez-vous eu le temps de réfléchir ?
B. Kouchner : On a le temps de réfléchir à l'hôpital, sur moi-même, sur les autres, sur la vie, sur les choses importantes. Je ne peux pas répondre à votre première question. Je n'y vois pas plus clair et je voudrais bien savoir quoi répondre. La mare est assez glauque, de part et d'autre, à vous entendre. C'est assez sinistre mais c'est aussi le fonctionnement de la démocratie. Ça veut dire que les partis ont du plomb dans l'aile avant cette élection présidentielle. C'est normal, d'ailleurs. Cette élection, c'est le face à face de plusieurs candidats et du peuple de France. Le jeu des partis est plus que troublant, il me fatigue. Si vous voulez que je tranche entre Jospin, Lang et Emmanuelli, vous vous êtes trompé d'adresse : je ne sais pas ce qu'ils veulent.
J.-L. Hees : Mais qu'est-ce que vous souhaitez ?
B. Kouchner : Je souhaite qu'on en finisse avec le XIXe siècle, et peut-être même avec le XXe et peut-être, qu'on s'aperçoive que les temps ont changé, que le monde a changé. Cette espèce de fracture entre la gauche et la droite est dépassée, elle s'étend ailleurs. Il y a des gens progressistes à droite et des gens réactionnaires à gauche. Il faut en prendre conscience. Les problèmes qui sont devant nous, concernant par exemple notre appareil de protection sociale, doivent être abordés de front, avec des idées, un large débat. Le sort qu'on fait à nos aînés, aux personnes âgées en France, la manière dont on se retrouve à l'hôpital : ce sont des vrais problèmes de société. Surtout, il faut se rendre compte que notre pays – je sais que je vais choquer – va bien par rapport au reste du monde, qu'il y a la paix civile, en-dehors de ces épisodes un peu ridicules auxquels nous avons fait allusion. Il va bien et pourtant, il s'angoisse. Il déprime. Il y a de l'exclusion, il y a trois millions de gens qui vont mal. Partager un peu d'espoir, partager aussi de la richesse par rapport au reste du monde. Ça, nom d'une pipe, quand va-t-on en parler enfin ? Il y a du catastrophisme, de la surenchère sur de l'exclusion. On ne sait pas comment les Français veulent vivre. J'aimerais bien le savoir et l'élection présidentielle est une bonne occasion pour cela. Ce n'est pas le jeu des partis qui nous l'apprendra.
J.-L. Hees : Vous avez une position un peu particulière, vous êtes à la fois politique et humanitaire.
B. Kouchner : Mais ce n'est pas incompatible, mon cher. J'aimerais bien que l'humanitaire déteigne un peu sur la politique et « lycée de Versailles ».
J.-L. Hees : Vous avez trouvé beaucoup d'humanité, dans la vie politique ?
B. Kouchner : Pas du tout. J'ai trouvé que les amis vous fracassent le crâne et qu'avec les ennemis, c'est assez courtois. On sait où sont les divergences. Entre Jack Lang, que j'aime beaucoup, Lionel Jospin, avec qui j'ai des rapports excellents depuis très longtemps, et Henri Emmanuelli, où sont les différences ? Pourquoi s'agonisent-ils d'injures ? J'aimerais bien savoir. Évidemment, on peut répondre que c'est le jeu nécessaire pour arriver à être désigné candidat du parti. Mais c'est plus que ça, c'est plus pesant. Il y a quatorze ans de socialisme au pouvoir, un bilan nécessaire de cette pratique-là à proposer. Un bilan critique, mais pas seulement négatif, loin de là. On devrait pouvoir en parler de manière plus détendue ; ce serait cela la politique. Un jour, ce serait proche de l'humanitaire, même s'il y aussi des gens qui s'assassinent dans l'humanitaire.
J.-L. Hees : Vous avez songé à vous présenter ?
B. Kouchner : J'y ai songé, j'y songe encore. J'attends de voir.
J.-L. Hees : Comme Raymond Barre ?
B. Kouchner : Non, pas avec le même volume, si je peux me permettre, tout respect dû à Raymond Barre. Si ça tourne à la manière dont vous décrivez la bataille, au pugilat, il va bien falloir quand même qu'on s'adresse aux gens qui nous regardent et qui se sont inscrits sur les listes électorales en masse et qui sont les jeunes. Être jeune, ça définit maintenant un groupe sociologique défini, voire terrorisant, le péril jeune. C'est grotesque. Ce pays, qui est relativement épargné par rapport au reste du monde, se fait peur lui-même. Nous devons, ensemble, régler nos propres problèmes, avec l'Europe. Et ce n'est pas ce qui se dessine.
J.-L. Hees : Le PS vous aime bien ?
B. Kouchner : Ça dépend lesquels apparemment. En gros, ils ne m'aiment pas bien.
J.-L. Hees : Ça pose un problème, dans le cas d'une candidature ou pas ?
B. Kouchner : Ça pose un problème pour le Parti socialiste. Il faut inverser les choses. Moi, ça ne me pose pas de problème. Si je devais être candidat, si je devais développer un certain nombre de thèmes que je développerai de toute façon, et en particulier ces thèmes de société, la place de la France dans le monde, la vie des hommes sur cette planète – pas seulement les Français –, je ne me poserais pas la question de savoir qui sont mes alliés dans les partis. Peut-être qu'après tout, le bon sens l'emporterait.
J.-L. Hees : Vous en auriez déjà à radical ?
B. Kouchner : Radical m'a manipulé de manière assez grandiose. J'ai été les visiter avec mon œil en berne, trois semaines après avoir reçu l'invitation. On m'a aussitôt déclaré candidat de Bernard Tapie.
J.-L. Hees : Ça vous choque ?
B. Kouchner : Pas du tout, ce n'est pas vrai.
J.-L. Hees : Êtes-vous proche de Bernard Tapie ?
B. Kouchner : Pour le moment, Radical arbitre les élégances à gauche. Donc, c'est de la position de Radical que dépendra en partie la désignation du candidat socialiste puisque l'un peut se prétendre rassembleur de la gauche et les autres, non. C'est quand même une situation paradoxale.
J.-L. Hees : C'est un constat que vous faites ou regrettez-vous que Radical soit l'arbitre de la gauche ?
B. Kouchner : Je regrette beaucoup plus que l'on ne sache plus ce qu'est la gauche, la droite non plus d'ailleurs. Il faudrait redéfinir tout cela. Peut-être faudrait-il un grand parti conservateur et un grand parti progressiste comme bien des pays modernes. Mais sur quoi fonder ces partis ? Il y au moins deux positions sur notre protection sociale : va-t-on la modifier pour l'améliorer en prenant à témoin tous les Français qui la subissent ou en bénéficient ? Ou va-t-on laisser ce système, qui date de 1944 ? Nous définirons un certain nombre d'oppositions sur ce problème. Que fait-on pour éviter la guerre en Tchétchénie ? J'ai décrit dans un papier du Monde le déroulement de l'indifférence à ce sujet. La France a de la voix en cette affaire. En Algérie, nous nous sommes trompés, quand va-t-on le reconnaître et défendre les démocrates ? Il y a cette conférence de Rome dont nous avons été absents. Pourquoi ?
J.-L. Hees : Regrettez-vous que M. Rocard ne soit plus candidat ?
B. Kouchner : J'avais fait quarante propositions pour l'Europe et on n'en a pas entendu parler du tout. Des propositions précises, et extrêmement simples dont on n'a pas discuté. Si une campagne électorale n'est pas l'occasion de discuter de tout cela, cela ne m'intéresse pas. Je regrette que M. Rocard n'ait pas pu demeurer le candidat dit naturel de la gauche et je regrette encore plus que Jacques Delors ait jugé bon de se retirer car il apportait de la clarté au débat.
J.-L. Hees : Pourquoi ne vous présentez-vous pas pour défendre vos idées ?
B. Kouchner : Il y a des gens qui pensent que je dois me déclarer et il y a aussitôt des gens qui m'assassinent… Je n'arrive pas à cataloguer les Français seulement en bons et méchants. J'ai essayé de m'étiqueter moi-même, mais je préfère les idées. Je pense qu'il y a en France de grands mouvements à faire naître autour d'idées générales qui seraient des idées de générosité et que l'on entendrait à travers le monde. Est-ce que c'est la gauche et la droite ? Je n'en suis pas sûr du tout. Pour que je me présente, il faudrait qu'il y ait un mouvement d'appel. Mais vous savez, je suis en convalescence et je ne peux pas m'engager comme cela dans une campagne.
RTL : lundi 30 janvier 1995
J.-M. Lefebvre : Dans ce livre, vous évoquez votre conception de la politique et vous écrivez : « la gauche n'est pas une démarche politique, pour moi c'est une démarche morale ?
B. Kouchner : Oui, j'espère que ça va demeurer vrai. Pour moi, la gauche, c'est la générosité, c'est une disposition du cœur, ce n'est pas une analyse scientifique, laquelle sinon a fait faillite. Je vous écoutais parler de solidarité en France et du malheur des autres devant les lycéens de Toul, et je trouvais que notre pays qui se sent mal à l'aise est quand même un grand pays.
J.-M. Lefebvre : La gauche officielle, dites-vous, déteste le risque, la charité, elle n'aime pas les démarches individuelles. Vous pensiez à vous ?
B. Kouchner : Non, je pensais à l'Histoire, à moi aussi bien sûr… Je raconte cela dans « Ce que je crois » : j'ai été élevé dans un milieu qui ne donnait pas de pièces aux mendiants parce qu'il fallait changer la société, changer la vie. Les démarches individuelles, les mains tendues, les aventures individuelles n'étaient pas de mise, c'était au contraire encourager la mendicité. C'était une très belle bêtise et maintenant on a changé. C'est bien, on change un peu, il faut faire les deux bien entendu ! Il faut essayer de prévenir, remonter en amont, c'est pourquoi je parle beaucoup de médecine, ça m'a beaucoup appris d'être médecin.
J.-M. Lefebvre : Est-ce que les notions de droite et de gauche, aujourd'hui, pour vous sont dépassées ?
B. Kouchner : Je crois qu'elles sont très largement dépassées. Je crois que c'est une conception un peu hémiplégique de la politique. Je crois que certains hommes – je pense à Jacques Delors, à Raymond Barre – sont beaucoup plus proches qu'on ne le croit l'un de l'autre. Mais ne vendons pas la peau de l'ours… La gauche c'est quoi ? Nous avons dit une disposition du cœur. Il en restera, j'espère, une. Simplement, déplaçons les barrières. La gauche, c'est pas seulement le PS, la gauche a existé avant le PS, elle lui survivra. Je crois qu'on peut s'interroger sur la nécessité, comme dans bien d'autres pays, d'avoir deux grands mouvements : celui du progrès, et celui du conservatisme. Nous nous dirigeons lentement vers cela. Je crois que nous sommes presque au XXIe siècle, il faut construire de la responsabilité, et ce n'est pas ce qu'on fait exactement dans le jeu des partis. Regardez comment, finalement – j'entendais Jean-Marie Colombani le dire – nous sommes tous déboussolés face à ce qui se passe ! Et nous attendons pour entendre des idées et des programmes.
J.-M. Lefebvre : En France, on a le droit de se tromper, écrivez-vous, à condition de ne pas persévérer dans la bévue. C'est une phrase qui pourrait, pour vous, s'appliquer au PS ?
B. Kouchner : C'est vous qui le dites, je n'y avais pas pensé. Cela s'applique très bien. Il y a aussi : que le meilleur perde. Là, on en a beaucoup fait… On imagine toujours qu'il ne faut pas aller jusque-là, mais ils iront. Ce n'est pas choquant qu'il y ait plusieurs candidats. La preuve, il y en a au moins deux à droite qui viennent d'un même parti, on l'a complètement oublié. Ce qui est choquant, c'est que pour le moment, on ne parle que des hommes et pas des idées. Ce qui est choquant c'est l'accélération de la cacophonie, mais attendons quelques jours. Il est un peu tôt.
J.-M. Lefebvre : Où en est l'état de vos réflexions concernant votre candidature ?
B. Kouchner : La présidentielle c'est une chose sérieuse. Je ne voudrais pas apparaître comme un diviseur. On l'a dit que j'ai à peine esquissé un petit clin d'œil. Je ne veux pas être nuisible, je voudrais être utile et porteur d'espérance. Attendons quelques jours, nous verrons les idées. Qu'est-ce que ça veut dire être candidat dans une affaire sérieuse ? Il ne faut pas, comme moi, être seul, sans argent, avec des partisans et des amis certes, mais sans parti. C'est très compliqué tout ça. Attendons de voir ce qui est proposé aux Français. Pour le moment, et je comprends bien qu'il n'y ait que 50 % de nos concitoyens qui ne se soient pas prononcés, nous n'y comprenons rien. Le débat, même celui droite-gauche, on a l'impression qu'il a lieu à droite maintenant. Et la gauche, qu'est-ce qu'elle dit ? Est-ce que ça veut dire encore quelque chose ? Tout ça est intéressant mais il va falloir se décider un peu vite.
J.-M. Lefebvre : Vous dites attendre quelques jours, vous voulez dire ce qui va se passer au sein du PS ?
B. Kouchner : Ce qui va se passer au sein du PS, ce n'est pas seulement la rixe qui m'intéresse, ce n'est pas seulement la bataille, ce qui m'intéresse ce sont les idées de l'éventuel candidat, et je ne sais pas qui il sera. Ça, ça m'intéresse et là-dessus j'aurai en effet quelque chose à dire.
J.-M. Lefebvre : Dans les différences entre Emmanuelli et Jospin, il y a l'habitude vis-à-vis de Radical ?
B. Kouchner : Oui. C'est un avantage pour M. Emmanuelli que Radical se prononce en sa faveur, parce que ça élargit. À qui, à quoi, pourquoi ? C'est ça qui est intéressant. D'un autre côté, je pense que Lionel Jospin avait tout à fait aussi le profil d'un rassembleur face à une certaine conception éthique de la politique. La politique, pour moi c'est de la morale. Techniquement, bien entendu, il faut être au point, mais c'est avant tout une disposition du cœur. Je ne vois pas cela maintenant. Et je comprends qu'on se désespère.
J.-M. Lefebvre : Dans le combat entre équité et égalité qui partage la majorité, vous dites que vous voulez plutôt l'équité ?
B. Kouchner : Les mots ont pris un sens différent depuis qu'ils sont au cœur du débat. Cela veut dire que l'égalité à la française, celle qui a été construite triomphante et qui a été l'avant-garde de la protection sociale au monde, celle qui, après la guerre, a fait que allocations familiales, dispositions face à la sécurité sociale, étaient excellentes. Maintenant, nous avons changé. Il faut sans doute réfléchir : est-ce que c'est la même chose quand on est riche de payer un ticket modérateur à l'hôpital que quand on est pauvre ? Est-ce que cela doit être le même ? Est-ce que la grippe du riche est la même chose que la grippe du pauvre ? Je ne le crois pas. Je ne veux pas tout détruire mais j'entendais ce que disait Marc Blondel hier. Ce que nous voulons, c'est au contraire ajuster, renforcer, moderniser, préserver la Sécurité Sociale. Elle ne pourra pas demeurer dans cette fausse égalité française. Il y a 105 milliards de déficit. Tout le monde pense qu'on va faire baisser les impôts après l'élection présidentielle. C'est une galéjade ! Il y a des déficits budgétaires de l'État. Il y a un déficit énorme de la protection sociale. Il va bien falloir trouver de l'argent. Comment et surtout pour quoi faire ? Voilà le débat ! Comment peut-on maintenant, avec l'information médicale et les techniques modernes, adopter une attitude qui est semblable à celle de 1945 ? Non, nous ne pouvons pas compter seulement sur la diminution des dépenses médicales, en demandant aux médecins d'être sérieux. C'est essentiel mais pas suffisant. C'est cette société de responsabilité que j'évoque dans mon livre : on ne peut plus parler aux Français comme s'ils ne savaient pas de quoi il s'agit.