Interview de M. Roger Romani, ministre délégué aux relations avec le Sénat chargé des rapatriés, dans "La Lettre de la Nation Magazine" du 20 janvier 1995, sur la mise en oeuvre des mesures concernant les harkis et les rapatriés dans le budget de 1995.

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  • Roger Romani - Ministre délégué aux relations avec le Sénat, chargé des rapatriés

Média : La Lettre de la Nation Magazine

Texte intégral

La Lettre de La Nation magazine : Monsieur le ministre, vous êtes en charge du ministère des Rapatriés depuis bientôt deux ans. Récemment, l'hebdomadaire Le Point soulignait que le budget de votre ministère était en hausse de 24 %. Cette augmentation est spectaculaire en ces temps de rigueur budgétaire. À quoi est-elle due ?

Roger Romani : Avec près de 6,2 milliards de F inscrits en loi de finances initiale, le budget du ministère des Rapatriés représente plus de trois fois celui du ministère de l'Environnement, ou encore plus de deux fois celui de la Jeunesse et des Sports. Cette comparaison évocatrice traduit le respect des engagements qui ont été pris à l'égard de nos compatriotes. Schématiquement, cette forte croissance budgétaire s'explique par le renforcement de certaines mesures existantes et par la mise en œuvre de mesures nouvelles.

J'ai en particulier veillé à ce que le raccourcissement de l'échéancier d'indemnisation de 2001 à 1997, décidé par le gouvernement Bérégovoy quelques semaines seulement avant les élections législatives de mars 1993, soit intégralement respecté. Or, cette mesure représente par exemple, pour la seule année 1995, 912 millions de francs de plus que ce qui avait été initialement prévu. C'est particulièrement significatif lorsque l'on sait que l'indemnisation des rapatriés représente à elle seule 57% du budget de mon ministère.

La Lettre de La Nation magazine : Vous évoquiez à l'instant de nouvelles mesures. Lesquelles, trente-trois ans après le dénouement du drame algérien ?

Roger Romani : Après avoir rencontré de nombreuses associations, j'ai constaté que toutes formulaient un vœu unanime : que soit enfin effacée une injustice, celle qui frappait nos compatriotes Français musulmans rapatriés dans des conditions pénibles. Jamais la République n'avait jusqu'ici songé à leur rendre hommage pour les services qu'ils avaient rendus. J'ai voulu que cet oubli soit réparé, que leur dignité leur soit rendue, comme s'y était engagé Jacques Chirac en 1991 auprès des représentants les plus éminents de celte communauté, au lendemain des dramatiques événements de Narbonne.

La Lettre de La Nation magazine : Comment avez-vous choisi de rendre cet hommage mérité aux anciens harkis ?

Roger Romani : J'ai tout d'abord considéré qu'ils étaient les mieux à même de décider de leur avenir. C'est pourquoi j'ai mis en place en juillet 1993 un groupe de travail. Celui-ci a réuni pendant six mois une cinquantaine d'hommes et de femmes de tous âges, issus des milieux associatifs et socioprofessionnels. Un travail remarquable a été accompli. Il a donné lieu à la rédaction d'un rapport dont je me suis largement inspiré pour bâtir un plan global et cohérent sur cinq ans. Il est fondé sur la loi du 11 juin 1994. Ce texte a été voté à l'unanimité, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

La Lettre de La Nation magazine : Que contient ce plan ?

Roger Romani : Avant tout, et c'était capital, la reconnaissance morale. C'est l'objet de l'article 1er de la loi qui affirme officiellement et solennellement la reconnaissance de la République à l'égard des sacrifices consentis et des services rendus par ces hommes et ces femmes qui ont choisi de verser leur sang pour notre pays en une époque particulièrement douloureuse de notre histoire. Je crois que tous ceux qui étaient présents se souviendront à jamais de l'émotion qui les a étreints lorsque les parlementaires, debout dans les travées, toutes tendances politiques confondues, ont applaudi les nombreux Français musulmans rapatriés venus assister, depuis les tribunes, à ce débat historique.

La Lettre de La Nation magazine : Le plan prévoit également des mesures budgétaires. Quel est leur objet et quand entreront-elles en vigueur ?

Roger Romani : L'ambition de ce plan d'un montant global de 2,5 milliards de F est d'essayer d'apporter des réponses concrètes aux difficultés rencontrées par les anciens supplétifs et leurs familles. Pour les anciens, il est prévu, outre le versement d'une allocation forfaitaire de 110 000 F, des aides en matière de logement. Par ailleurs, ce plan met l'accent sur des catégories de personnes particulièrement éprouvées: les veuves d'anciens harkis et les victimes de la captivité en Algérie après 1962. Enfin, pour les enfants, les mesures sont axées sur la formation et l'emploi. Dans ces deux domaines, ils bénéficieront de soutiens spécifiques venant renforcer les mesures déjà prévues par le droit commun.

L'ensemble des textes réglementaires a été publié dès le mois d'octobre 1994. Le plan est entré en vigueur le 1er janvier dernier pour une période de cinq ans.

La Lettre de La Nation magazine : Vous avez évoqué l'indemnisation, puis la « loi Romani » en faveur des anciens harkis. Avez-vous eu d'autres objectifs ?

Roger Romani : Je me suis également beaucoup préoccupé de la situation des rapatriés réinstallés. J'ai cherché à prendre en compte les deux aspects de ce délicat dossier : les impasses économiques qu'il génère et les drames humains qui en découlent. Concernant les rapatriés réinstallés, les mesures énergiques prises en 1986 et 1987 par le gouvernement de Jacques Chirac avaient permis d'effacer les dettes d'environ 10 000 entrepreneurs. Subsistaient environ 800 cas pour lesquels nous avons mis en place un dispositif destiné à traiter chaque dossier au cas par cas. Dans chaque département concerné, une commission placée sous l'autorité du préfet a été chargée de bâtir un plan d'apurement des dettes professionnelles des intéressés. Ces commissions ont commencé à travailler. Les premiers résultats sont tout à fait encourageants. Je pense que nous parviendrons à trouver une solution pour la plupart des rapatriés qui souffrent encore des maux de leurs réinstallation.

La Lettre de La Nation magazine : Ne pensez-vous pas qu'au-delà des aspects matériels, les rapatriés éprouvent avant tout aujourd'hui le besoin d'une reconnaissance morale quant aux réalisations qu'ils ont accomplies sur tous les territoires où la France a été présente ?

Roger Romani : C'est certain. Il s'agit d'une préoccupation légitime et constante. Aujourd'hui, elle peut s'exprimer librement car l'heure des polémiques est désormais passée. Il est enfin possible de porter un regard sans préjugés sur l'œuvre accomplie dans tous les domaines par des générations de Français au-delà des mers, qu'il s'agisse d'infrastructures, de santé, ou encore d'éducation… Le Mémorial de l'œuvre française outre-mer, qui sera bientôt érigé sur le site historique du Fort Saint-Jean à Marseille, participera à ce devoir de mémoire, d'information et de pédagogie que nous avons à l'égard des jeunes générations sur cette grande page de l'histoire de France.