Interview de M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement, à France-Info le 16 novembre 1998, sur la préparation des élections européennes à gauche, le débat autour de la régularisation des sans-papiers, le calendrier législatif, notamment pour le PACS et le travail parlementaire.

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Média : France Info

Texte intégral

Question
Ça tangue dans la gauche plurielle ; R. Hue dénonce « un risque de guerre fratricide si les Verts persistent à vouloir devancer les communistes aux européennes ». Daniel Cohn-Bendit sème-t-il la zizanie à gauche ?

D. Vaillant
« Ecoutez, je ne le crois pas. Il arrive, donc… »

Question
Ça s’entend…

D. Vaillant
« On connaît, on sait qu’il y a du tempérament et donc il s’exprime, peut-être, avec un peu de verdeur. Mais je crois qu’il vaut mieux prévenir effectivement qu’avoir à guérir. Et je pense qu’une campagne doit rester maîtrisée. On connaît les positions des différents groupes, de la majorité à l’Assemblée nationale, mais aussi des différents partis qui soutiennent cette majorité. Je crois qu’il ne faut pas s’en émouvoir plus que cela. La majorité est bien la majorité ; elle soutient le Gouvernement. Et donc je puis vous assurer qu’il n’y a pas un manque de sérénité à percevoir dans la majorité qui soutient le Gouvernement, et ni dans les partis qui soutiennent cette majorité. Il y a une émulation. Mais peut-être qu’elle est un peu précoce, s’agissant d’élections pour le mois de juin. »

Question
Donc vous acceptez, à bras ouverts, Dany le rouge dans la gauche plurielle ?

D. Vaillant
« Ecoutez non ; les Verts sont un parti politique ; c’est leur affaire de choisir la tête de liste ou la tête de liste qu’ils souhaitent. »
Mais de facto
« … D’autres partis le feront un peu plus tard. Mais… »

Question
Mais de facto il fait partie de la gauche plurielle Daniel Cohn-Bendit ?

D. Vaillant
« A partir du moment où il soutient, en tant que Vert, le Gouvernement et la participation de Dominique Voynet au Gouvernement, je pense que oui ».

Question
Alors il y a une cristallisation autour des sans-papiers. Daniel Cohn-Bendit, toujours lui, a beaucoup d’ambition pour Lionel Jospin, et il dit « que le geste fort d’un grand politique ce serait de savoir débloquer la situation »…

D. Vaillant
« Oui, je crois que Daniel Cohn-Bendit connaît mal la situation politique en France. Il n’y a pas d’élection présidentielle en perspective ; il y a un Gouvernement, dirigé par Lionel Jospin, qui gouverne et qui fait, je crois, bien son travail. Et d’ailleurs la confiance est là ; le chômage a tendance à reculer – c’est quand même cela qui prime sur le reste. Par ailleurs, il y a ce problème des sans-papiers : je crois qu’aujourd’hui, et vous l’avez rappelé dans votre journal, Matignon a rappelé qu’il y a la loi ; la règle doit s’appliquer. Il y a des critères dans la loi. Alors ne nous éloignons pas de ces critères. Sinon, effectivement, c’est la porte ouverte à toutes les demandes qui visent à ne pas appliquer la loi. On le fait, je crois, de manière humaine, en respectant la dignité des personnes ; en faisant des examens au cas par cas pour les situations les plus difficiles. Mais il est hors de question de céder à cette pression, parce qu’il y a, aussi, une pression extérieure, sur nos frontières. Et donc chacun peut comprendre qu’on ne peut accueillir tout le monde et régulariser tout le monde. »

Question
Mais cette pression elle vient de vos rangs. Regardez, même dans les rangs des députés socialistes on pétitionne : l’élu du 13e, S. Blisko, a pris une initiative. Vous allez la signer en tant que maire du 18e arrondissement, une mairie qui connaît bien les sans-papiers ?

D. Vaillant
« J’ai toujours refusé de signer des pétitions, encore plus depuis que je suis ministre. Je crois que ce n’est pas le rôle des responsables ; que ce soit des maires, en l’occurrence, ou que ce soit un ministre, de signer des pétitions. Chacun est libre de s’exprimer… »

Question
Mais les pressions…

D. Vaillant
« Elles peuvent venir, effectivement, de pas mal d’endroits. Je comprends la sensibilité, peut-être, qui se dégage chez certains de nos amis. Mais on ne peut pas en même temps faire la loi, la voter, et en même temps demander de ne pas l’appliquer. »

Question
Le Gouvernement va-t-il revoir à la baisse son calendrier législatif pour tenir compte de l’énervement de députés surmenés ?

D. Vaillant
« Non. Le Gouvernement n’a pas l’intention d’organiser une forme de pause des réformes. Ça n’est pas l’objet. Simplement il faut tenir compte effectivement d’une période très chargée, puisque c’est l’examen du budget, la loi de financement de la Sécurité sociale. Nous retrouverons un rythme plus normal, je dirais, « un rythme de croisière », conformément à la session unique, à partir de janvier jusqu’à fin juin 1999. Et vous savez par ailleurs, que le président Fabius souhaite, peut-être, organiser un peu différemment les choses, notamment en changeant le règlement de l’Assemblée nationale. Mais cela, c’est, je dirais la prérogative des parlementaires eux-mêmes et du président de l’Assemblée nationale. Et je lui fais toute confiance pour moderniser, rationaliser le débat, pour que le vrai débat ait lieu à l’Assemblée nationale. Et notamment qu’il n’y ait peut-être pas l’obstruction systématique qui fait perdre beaucoup de temps. »

Question
Mais son prédécesseur, Philippe Séguin dit : « Le règlement est bon. Le problème c’est qu’il est dans les mains de gens qui ne savent pas le faire fonctionner ».

D. Vaillant
« Oui, là je pense que M. Séguin connaît mal son sujet. Ça lui arrive d’ailleurs assez fréquemment. Je ne crois pas qu’on puisse accuser Laurent Fabius de mal présider l’Assemblée nationale. Et je crois que ça fonctionne ; je participe à la conférence des présidents, chaque semaine. Lui, il n’y est plus puisqu’il a fait d’autres choix. Mais je peux vous dire que les débats sont organisés de manière digne et les droits de l’opposition sont parfaitement respectés ; il faut respecter les droits de l’opposition. Il faut, aussi, que la majorité puisse légiférer. »

Question
Etes-vous partisan de limiter le temps de parole à l’Assemblée, comme c’est le cas au Sénat, pour les motions de procédures ?

D. Vaillant
« C’est une hypothèse qui a été émise. Je crois qu’il ne faut pas le faire drastiquement. En même temps, c’est vrai qu’on dit beaucoup de choses en une heure et parfois pas d’excellentes choses en six heures. »

Question
Vous disiez : « On va reprendre notre rythme de croisière ». Est-ce que ça veut dire un Pacs envoyé aux calandres grecques, dans un an pour le vote final ?

D. Vaillant
« Non, simplement on met de l’ordre, si vous voulez, dans l’ordre des priorités du Gouvernement, conformément aux engagements du Premier ministre, sa déclaration de politique générale. Ce qui va nous conduire à inscrire en priorité un certain nombre de textes au cours du premier semestre 1999. Ce qui ne veut pas dire que d’autres textes ne viendront pas derrière.  Il faut, aussi, adopter les textes et les faire appliquer pour que ça change la vie des gens sur le terrain. »

Question
Le Pacs n’est pas dans les priorités ?

D. Vaillant
« Si, le Pacs est évidemment dans nos priorités. Le Gouvernement a bien l’intention de faire poursuivre la discussion au Parlement ; d’abord terminer la première lecture à l’Assemblée nationale – ce sera le cas, j’espère le 1er et le 2 décembre -, puisque le Gouvernement est maître de l’ordre du jour. Et vous savez qu’il n’est pas maître du temps. Ça c’est la vie parlementaire qui en décide. Et je ne peux pas, aujourd’hui, vous dire quand les sept lectures – quatre à l’Assemblée nationale, trois au Sénat, plus une commission mixte paritaire entre les deux – seront terminées. Mais le Gouvernement souhaite effectivement que ça puisse être adopté, définitivement en juin. Ça serait formidable. Mais si ça prend plus de temps, ça ne sera pas de la responsabilité du Gouvernement. »

Question
Nicolas Sarkozy défendra, vendredi, un amendement interdisant la rétroactivité des lois fiscales. Les députés socialistes crient au scandale ! Ils annoncent qu’ils boycotteront la séance. Est-ce bien raisonnable ?

D. Vaillant
« Non, je crois que la proposition de loi de M. Sarkozy est – honnêtement je n’aime pas traiter les propositions venant de parlementaires de cette manière –, mais je crois qu’elle est un peu démagogique. On a connu M. Sarkozy ministre du Budget ; il n’a pas mégoté pour utiliser cette disposition de rétroactivité des lois fiscales. Les députés socialistes ont décidé d’avoir un vrai débat sur ce sujet à la séance de vendredi ; et il y aura un vote sur cette proposition qui montrera clairement que la majorité ne veut pas de cette disposition proposée par M. Sarkozy au nom du RPR. »

Question
Donc les députés socialistes seront là ? Il n’y aura pas de politique de la chaise vide ?

D. Vaillant
« Ecoutez, le vote, je crois, est prévu pour mardi. Vous verrez que les députés socialistes seront là, et de la gauche toute entière, pour repousser cette proposition démagogique de M. Sarkozy. »