Texte intégral
Chers Amis, Chers Camarades,
Nous avons eu, grâce aux organisateurs en premier lieu à Henri Nallet, un débat de grande qualité ; nous le devons à tous les participants à quelque pays qu'ils appartiennent ; nous le devons aussi à la façon dont les socialistes ont préparé ce rendez-vous.
Notre colloque se tient une semaine à peine après la victoire des sociaux-démocrates en Allemagne, et nous n'avons cessé tout au long de la journée de nous réjouir de cette victoire remarquable, à bien des égards, mais non exceptionnelle. En effet, cela n'est pas nouveau que – dans la plupart des pays composant l'Union européenne – des sociaux-démocrates et des socialistes accèdent aux responsabilités. Ce qui est nouveau et exceptionnel, c'est qu'il y arrivent en même temps ; et à un moment où ils doivent faire preuve de la plus grande responsabilité : le tournant d'un siècle et préparation d'une Europe qui ne doit plus simplement être monétaire puisque l'Euro sera mis en place au début de l'année prochaine.
Nous devons seulement constater que le succès d'autant de sociaux-démocrates et socialistes ces derniers mois et ces dernières années traduit le rejet, c'est vrai, du libéralisme – ou une certaine forme de libéralisme soyons peut-être plus prudents – et une adhésion à une volonté collective de maîtrise du destin de l'Europe, mais qui n'est pas non plus une volonté de rupture par rapport à ce qu'a été cette Europe.
A partir de là, Pierre Moscovici a raison ; nous avons été à la fois heureux, joyeux et en même temps pris d'un vertige, d'une appréhension : est-ce que les sociaux-démocrates, les socialistes, comptables qu'ils deviennent de l'avenir de l'Europe sont en état de répondre aux défis qui leur sont posé, et en premier lieu la résorption du chômage et de la solidarité.
A bien des égards, nous avons une expérience européenne les uns les autres ; nous avons participé – certains plus que d’autres – à des instances européennes ; mais nous avions l'attitude commode, facile, lorsque nous échouions à faire progresser l'Europe tel que nous voulions à nous défausser sur les conservateurs, même si nous portions en définitive la responsabilité. Et il se trouvait bien un chancelier ou un premier ministre qui nous permettait de dire « nous aurions voulu mais nous n'avons pas pu ».
Nous ne pourrons plus aujourd'hui, à moins d'accabler – et nous le ferons – le premier ministre espagnol ou le premier ministre irlandais, prétendre qu'en raison de leur ignominieuse obstruction nous n'avons pas pu faire entendre notre voix.
L'autre appréhension, et je la comprends d'avantage, est elle d'arriver aux responsabilités au moment où la crise financière bat son plein. Comme s'il existait une fatalité qui ferait qu'au moment où nous espérons vivre une période de croissance durable, d'expansion, de redistribution donc, il fallait une nouvelle fois conjurer des forces qui nous sont hostiles ; comme si la Droite ayant, l'ultralibéralisme politique ayant cédé la place, les forces du marché se vengeaient de l'incapacité des dirigeants de la Droite conservatrice !
Et en même temps, comment pourrions-nous imaginer que le monde, parce que nous serions nous en responsabilité, deviendrait sage ? C'est parce que précisément parce qu'il y a des difficultés, des défis à relever que les peuples ont eu la lucidité de faire appel à nous.
En ce qui concerne notre sujet « L'Europe pour l'emploi », nos intentions sont connues et ne sont pas nouvelles. Au congrès de Malmö, il n'y a pas si longtemps, au Congrès du Parti socialiste européen, une déclaration a été prise :
« Nous voulons réformer et renforcer l'Europe. En matière d'emploi, il faut une coopération internationale commençant au niveau européen si nous voulons que nos politiques nationales soient fructueuses. Nous voulons une Europe sociale où le droit du travail est protégé des normes minimales et où le dumping social est contré par de véritables politiques sociales. Nous voulons enfin améliorer la qualité de travail en investissant d'avantage dans la recherche et l'éducation. Bref nous voulons un nouveau modèle socio-économique qui intègre tous ces éléments ».
Ce qui est terrible dans l'imagination humaine, c'est que aussi loin va la réflexion aussi vite retourne-t-elle au point d'origine. Nous sommes finalement, à travers toutes ces discussions, convaincus que la déclaration de Malmö était en définitive la bonne. De la lecture d'un programme politique, nous découvrons aujourd'hui un engagement qui nous concerne tous.
Nous affrontons, en outre, une double contradiction :
- Nos peuples attendent de l'Europe beaucoup, peut être même beaucoup trop. Nos peuples souhaitent plus de solidarité, plus de formation, plus de services publics, plus de droits, plus de protection sociale, plus d'emplois. Et nous, socialistes et sociaux-démocrates, nous montons dans un train – car l'Europe ne nous a pas attendu et est lancé à bonne vitesse – qui du pacte de stabilité, des critères de convergence.
Il nous faut donc non pas arrêter le train, non pas stopper la marche de l'Europe, mais réorienter continuellement, résolument la conduite du train européen.
- La deuxième contradiction concerne toutes les forces politiques, mais peut-être que les sociaux-démocrates et les socialistes ont été plus coupables que d'autres, c'est-à-dire d'être dans nos congrès (y compris peut-être dans celui du congrès des partis socialistes européens) extrêmement fermes dans les intentions, les proclamations, les incantations, les déclarations et puis, réunis autour d'une table des Conseils Européens, du Conseil Ecofin ou de Conseil de l'Euro, être beaucoup plus timorés.
C'est pourquoi, pour éviter ce hiatus, il faut un parti socialiste européen sûr de lui-même, fort de ses convictions et capable de faire entendre sa voix. Ce sera tout l'enjeu des prochains mois : continuer à construire une force politique qui puisse transformer en actes les paroles que nous avons prononcées. C'est vrai que déjà, en quelque mois, grâce à l'arrivée de Tony Blair puis à celle de Lionel Jospin et du Gouvernement de Gauche plurielle en France – qui avaient aux-même succédé à l'arrivée de la coalition de l'olivier en Italie – il y a eu une correction de la construction Européenne. Et d'Amsterdam à Luxembourg, des pas ont été franchis.
Il faut bien sûr aller plus loin, mais comment ? L'Europe pour l'emploi, c'est :
- D'abord la mobilisation des gouvernements de chaque pays en matière de lutte contre le chômage :
Premier élément : le réglage de la demande intérieure face à un environnement international beaucoup plus instable que menaçant – en tout cas moins porteur – il doit y avoir un réglage fin de la demande intérieure, de la consommation comme de l'investissement. Et ces choix là seront d'abord ceux des gouvernements. Pas ceux de l'Europe. Ne demandons pas à l'Europe de régler une politique macro-économique dont elle n'a pas la charge.
Deuxième élément : les choix budgétaires.
On nous dit que nous sommes privés des armes de la politique monétaire. Peut être. Mais nous disposons encore des instruments de la politique budgétaire. On nous dit « oui, mais il y a les critères qui nous encadrent »... ils ne nous encadrent pas d'avantage que les normes budgétaires qui font que on ne peut pas vouloir une politique qui aggravait continuellement l'endettement public.
A nous de faire des choix qui soient plus ou moins compatibles avec les impératifs de la conjoncture.
Troisième élément : la formation de la main-d'œuvre, le système éducatif.
Il faut améliorer le système de qualification qui permette à la ressource humaine d'être convenablement valorisée.
Quatrième élément : l'organisation du travail.
La réduction du temps de travail peut être souhaitée au niveau européen, mais elle se bâtit aussi à l'intérieur de chaque pays en fonction des traditions (dans certains pays ce sont les négociations qui ouvrent ces champs là, dans d'autres c'est la loi qui précède ces discussions).
Cinquième élément : l'emploi des jeunes et insertion.
Il y a une responsabilité nationale en matière d'emploi des jaunes et lutte pour l'insertion de tous ceux qui sont exclus durablement du marché du travail. Là aussi il y a des convergences dans la plupart des pays aujourd'hui gouvernés par des sociaux-démocrates ou des socialistes pour aller dans les sens de l'emploi des jeunes, mais cela ne veut pas dire que cette politique se fera au niveau européen.
Alors, qu'est-ce qui révèle d'une politique de l'Europe en matière d'emplois en sus de ce que peuvent faire les gouvernement européens ?
- En premier lieu arrive la coordination des politiques économiques. Que cela soit dans le Conseil de l'Euro (pour ceux qui y adhèrent), que cela soit dans Ecofin, que ce soit dans le Conseil européens, cette coordination des politiques économiques est absolument indispensable. Nous, nous souhaitons que cela soit l'amorce d'un Gouvernement économique mais, au-delà des mots, notamment dans une conjoncture telle que celle que nous traversons, il est essentiel qu'il y ait cet échange d'informations, cet échange même de données sur les réglages de la politique intérieure, qui donne justement toute sa force à la politique macro-économique.
S'il faut relancer, relançons ensemble. S'il faut essayer d'avoir une politique monétaire plus accommodante, qui d'autre le fera autrement que la Banque Centrale Européenne. Aux autorités politique de dialoguer avec elle.
- En deuxième lieu survient la mobilisation des ressources financières. Que cela passe par les réserves de change qui seraient finalement inutile, dans le cadre de la constitution de l'Euro, ou que cela passe par l'emprunt ou une meilleure mobilisation des fonds existant, l'idée est la même. Il faut accroître les ressources communautaires pour l’emploi ; ces ressources peuvent être affectées à une politique de grand s travaux ; elles peuvent être attribuées à l'éducation, à la formation ; ces ressources peuvent être utilisées pour l'environnement, pour le cadre de vie ou pour lutter contre certains phénomènes en banlieue... c'est indifférent par rapport à l'impact que cela peut avoir sur la conjoncture économique, mais c'est par contre tout à fait essentiel pour le « visage » de l'Europe.
Et on imagine combien nos concitoyens attendent de l'Europe qu'elle intervienne là où il y a aujourd'hui le plus de besoins à satisfaire.
J'en arrive donc maintenant aux deux obligations qui en découlent :
- L'obligation d'une harmonisation fiscale : si l'on veut à l'évidence un marché unique, une monnaie unique ; si on veut un marché ou la concurrence sera loyale, il faut une harmonisation fiscale par le haut, qui doit aussi bien toucher l'impôt sue les sociétés, que l'impôt sur le capital, que l'impôt sur le revenu ou alors nous aurons un marché vicié dès sa construction.
- « Le plan social », « la charte des droits sociaux et de la citoyenneté », le « pilier social »… en tout cas, il y a bien la nécessité, au-delà de la charte sociale, de construire un nouvel instrument. On y trouvera les minima salariaux, des règles en matière de droit du travail ; on y trouvera sans doute des orientations en matière de réduction du temps de travail ; on y trouvera peut-être aussi des délais en matière de droit des sociétés, puisque l'Europe s'intéresse aux droits des sociétés – ne faudrait-il pas mettre aussi dans le droit des sociétés et notamment dans les conseils de surveillance la présence de salariés partout en Europe pour avoir une conception commune de l'entreprise et des droits des personnes qui y travaillent.
Voilà donc ce que nous pouvons attendre d'une Europe pour l'emploi. C'est-à-dire des gouvernements plus mobilisés et une Europe plus active.
Ensuite, il y aura peut être, dans le cadre de notre « Manifeste », une idée à retenir de nos travaux : ne faudrait-il pas proposer un pacte pour l'emploi ou un pacte de stabilité sociale, ou comme le disait Laurent Fabius le plein emploi pour l'Europe. En tout cas il faut un pacte pour l'emploi en Europe dans le « Manifeste » que prépareront Henri Nallet et Robin Cook.
Ce pacte pour l'emploi devra comprendre des objectifs chiffrés et un certain nombre d'engagements précis qui correspondent à nos débats d'aujourd'hui. Et puis il y faudra ajouter un certain nombre d'éléments sue « l'Europe puissance » à laquelle nous sommes, nous aussi attachés. « L'Europe puissance », c'est une Europe capable de définir, pas uniquement pour elle-même mais aussi pour le reste du monde, les règles du jeu, notamment pour la situation des changes, pour la rénovation du système du jeu, notamment pour la situation internationale du commerce... bref une Europe qui ne se fait pas imposer du dehors les règles pour l'avenir, mais qui négocie âprement les données de la compétition mondiale.
Mes chers amis, si nous somme capables de bâtir cela, vous devrons aussi couronner l'ensemble pas des propositions relatives aux institutions et à l'Europe politique. Comment imaginer une Europe qui travaillerait pour l'emploi, une Europe qui serai capable de définir des droits sociaux nouveaux, une Europe qui serait capable de déclarer des principes et de le mettre en œuvre pour le reste du monde et qui n'aurait pas de toit politique. A l'évidence, là aussi, il faudra dans les colloques des partis socialistes européens continuer le débat.
Le rôle du parti socialiste européen c'est aujourd'hui, sous l'impulsion de Rudolf Scharping et grâce au travail de Pauline Greene pour le Groupe socialiste, d'être capable – une fois que nous avons analysé les problèmes à travers tous ces colloques – de bâtir, d'élaborer un programme commun des socialistes européens pour le prochain scrutin. Ce programme a été confié à Robin Cook et Henri Nallet ; c'est une tâche très importante ; chaque jour, ils sont lestés un peu plus de nouvelles propositions et leur travail de synthèse prendra sans doute des nuits entières ; mais en définitive, il faudra faire un texte court, incisif, politique, un texte s'adressant aux citoyens européens et faisant des propositions concrètes qui engagent pas simplement le Parti socialiste européen, mais les gouvernements, le parlement européen dans sa nouvelle majorité et aussi la future commission européenne.
Pour ce qui est du parti socialiste français, nous affronterons avec beaucoup de sérénité les échéances électorales à venir. Il est vrai que les élections européennes ne sont jamais faciles pour les partis de gouvernement ; mais là nous avons l'occasion, à travers ce programme commun de dire aux français qu'ils peuvent voter utile – et il sen doutent souvent – pour ces élections. Voter utile, c'est voter pour des propositions qui les concernent et qui peuvent être exécutées par ce que nous sommes au gouvernement et que nous pèserons encore d'avantage au parlement européen.
Nous avions proposé, vous le savez, un changement de scrutin pour nos alliés ; ils avaient cru que nous voulions leur bien à leur détriment, comme si cela pouvait nous traverser l'esprit, et ils ne l'ont donc pas voulu et nous allons sans doute partir sur des listes séparées. En même temps, il est de mon devoir, en tant que Premier secrétaire du Parti socialiste de souhaiter que nous cheminions avec eux pour l'élaboration des propositions européennes, que nous confrontions avec eux nos idées ca r nous devrions être capable de nous entendre sur l'essentiel. Nous devons aussi dire à nos partenaires du parti socialiste européen que s’il existe une Gauche plurielle en France, il peut exister demain un Gauche plurielle à l'échelle de l'Europe, parce qu'il y azura des communistes, des verts demain au Parlement européen et qu'il faudra travailler aussi avec eux ; nous y veillerons car ce qui compte aussi c'est l'avenir de la Gauche en Europe.
Alors rassurez-vous. Après avoir fait ce programme, après avoir travaillé sur nos idées, nous confectionnerons une liste. Je ne peux pas vous dire que chacun y aura sa place, mais nous essaierons de le faire le moment venu – à partir de la fin du mois de janvier – à partir de critères qui ne seront peut être pas aussi rigoureux que ce qui se passe chez nos camarades socialistes européens qui écartent tout cumul de mandat, qui font passer les candidats devant un jury, dont les meilleurs sans doute sortent qualifiés. Nous essaierons de bâtir la meilleure liste possible qui sera présentée le 27 mars au cours de la Convention nationale de notre parti.
D'ici là, nous essaierons avec le « Manifeste », avec ce programme commun des socialistes européens de rajouter notre touche française et nous définirons, nous aussi, notre voie originale vers le socialisme sera la première, la deuxième ou la troisième voie. Au fond qu'importe ! Car l'essentiel est que les socialistes fassent d'avantage entendre leur voix.