Texte intégral
RMC – 21 juin 1989
Richard Artz : La fête de la musique ?
Jack Lang : Nous ne pensions pas quand nous l'avions imaginée qu'elle prendrait cet envol. D'année en année, elle est entrée dans les moeurs. Pas une ville, pas un village ne la célèbre. Le rôle important était tout de même de lui donner une dimension internationale. Cette année, cela éclate de partout. Les autres pays ont adopté la fête de la musique.
Richard Artz : Le 14 juillet ? Avez-vous évalué à leurs justes mesures les désagréments que cela va occasionner ?
Jack Lang : Quels désagréments ? La fête, c'est le bonheur d'être ensemble, c'est la joie de la beauté. Où est le malheur de voir pendant quelques jours, en plein coeur de Paris, l'automobile disparaître un peu. Une commémoration de Bicentenaire contre un soi-disant désagrément de quelques jours pour les voitures, c'est une disproportion dont l'importance me semble démesurée. La France va être à l'honneur. Et partout, dans les villes, dans les villages, on va célébrer avec plaisir cette Révolution française.
Richard Artz : Le public s'est plaint de ne pas avoir suffisamment vu le spectacle du Centenaire de la tour Eiffel. On court le même risque ?
Jack Lang : Le style même du spectacle permettra aux promeneurs de voir l'ensemble des manifestations.
Richard Artz : Après les européennes, quel est l'avenir des rénovateurs de l'opposition ?
Jack Lang : Qui sont-ils ? Où sont-ils ? Quels rénovateurs ? J'ai l'impression que nous avons à faire à un empaillage entre des femmes et des hommes qui se disputent la même chose. Ce sont des ambitions de carrière qui se confrontent plus qu'une grande idée, plus qu'un grand souffle. C'est l'affaire de l'opposition. Ce qui m'intéresse, c'est que notre gouvernement gouverne de mieux en mieux. Qu'il réponde aux aspirations des Français. Et que le PS sache se renouveler, comme il a toujours su le faire.
Richard Artz : Le score de M. Fabius ?
Jack Lang : Ce que je vais vous dire va vous paraître aller à contre-courant de tous les commentaires. Je trouve extraordinaire que l'on puisse parler d'échec à propos de Laurent Fabius alors qu'il a fait gagner deux sièges de plus pour le PS, et que l'on puisse parler de victoire pour M. Valéry Giscard d'Estaing dans la mesure où la droite a perdu sept sièges.
Richard Artz : En pourcentage, M. Fabius avait placé la barre plus haut.
Jack Lang : Chacun peut avoir des chiffres imaginaires. Ce qui important, c'est de constater la progression du PS, alors que la droite parlementaire a reculé de plusieurs points.
Cette progression s'est faite malgré la prolifération des petites listes. Les élections européennes sont un exercice difficile pour les socialistes. Car une partie de notre électorat, un électorat jeune et populaire ne se passionne pas pour cette élection. La mobilisation est difficile.
M. Fabius a mené avec beaucoup de talents, de vigueur et d'intelligence une campagne difficile. Il a fait progresser le PS.
Richard Artz : La loi sur l'audiovisuel. Que pensez-vous des propos de M. Boutet qui demandait une réorganisation de FR3 avant de songer à une présidence commune ?
Jack Lang : Notre sentiment est que, pour prendre au sérieux FR3, pour en faire une chaîne à part entière, il est indispensable qu'elle soit mise à égalité avec sa concurrente nationale (A2). La présidence commune permettra à celui qui sera chargé de cette tâche, l'engagera à fournir le même effort pour l'une ou l'autre chaîne. La présidence commune, c'est la garantie que FR3 va enfin recevoir des solutions neuves, intelligentes et ambitieuses.
France Inter – 11 juillet 1989
France Inter : Pourquoi ressentez-vous la nécessite de rappeler aux Français les petits bals du 14 juillet ?
Jack Lang : Ce Bicentenaire, c'est d'abord une grande fête populaire, une grande célébration joyeuse, dans la bonne humeur. Donc on dansera, on fêtera ce Bicentenaire partout.
France Inter : Vous tenez beaucoup à cette notion de fête populaire. Est-ce pour répondre à tous ceux que vous appelez les rabat-joie ?
Jack Lang : C'est pas pour répondre, mais simplement pour rappeler ce qui a toujours été notre volonté, celle du président de la République, de faire que le Bicentenaire, ce soit une fête à ferveur populaire, dans tous les sens du mot. Alors les rabat-joie, ça fait partie un peu, si j'ose dire, du folklore national. Chaque fois que j'ai eu l'occasion d'organiser un grand évènement, il y a toujours eu des grincheux. S'ils n'étaient pas au rendez-vous, les choses se passeraient mal, si j'ose dire. J'ai envie de leur dire : alors aujourd'hui, gardez le sourire aux lèvres ; regardez la vie avec optimisme ; venez avec nous ; dansez, buvez, chantez et célébrez la liberté et l'amitié.
France Inter : Le cinéma, ça dépend de votre ministère. On ne vous a pas entendu après la décision du CSA, d'interdire certains films à la TV à 20 h 30… Les professionnels parlent même de censure…
Jack Lang : Oui, le CSA est une autorité souveraine. Nous avons souhaité qu'il y ait une autorité située au-dessus du gouvernement, du Parlement et des partis, qui fasse régner le pluralisme dans tous les domaines. J'ai mon opinion personnelle sur cette décision. Je n'ai pas à la dire publiquement : je suis astreint à une obligation de réserve. Ce que je peux dire, c'est que cette question à mon avis sera revue dans son ensemble, à l'occasion des modifications qui interviendront à la fin de l'été sur les classifications des films pour les enfants et adolescents. Avec un peu de recul, chacun apportant son point de vue, le CSA saura trouver une solution équilibrée.
France Inter : C'est-à-dire que vous comptez donner satisfaction aux professionnels ?
Jack Lang : Je souhaite calmement que, tranquillement, au cours de ces semaines d'été, que chacun réfléchisse pour trouver une solution raisonnable et équilibrée, qui soit favorable à la liberté d'expression. Je pense que la liberté doit être un maître-mot, surtout en cette période de Bicentenaire et aussi en tenant compte de la sensibilité des plus jeunes. Mais on comprendrait mal que les films fassent l'objet d'une discrimination particulière, alors que les séries TV, à ce jour, sont diffusées sans aucune entrave. Bref, c'est une question délicate et difficile sur laquelle je souhaite que la réflexion avance. Et j'espère que, dans les prochains jours ou semaines, une solution harmonieuse sera imaginée. À propos du Bicentenaire, j'ai entendu beaucoup de discours sur ce Bicentenaire, en particulier sur les dépenses. Je vous indique que lorsque les USA en 88 ont célébré la Statue de la liberté : le budget était quatre fois plus élevé. Et il faut savoir que, pour préparer ces festivités du 14 juillet, ce sont 6 000 bénévoles dont 2 000 venants de la France entière qui apporteront leur concours. Jessie Norman, la grande cantatrice dont le monde entier paye à prix d'or, est venue se proposer elle-même pour participer gratuitement et elle chantera la Marseillaise gratuitement le 14 juillet au soir. Bref, nous avons voulu que cette grande fête du Bicentenaire soit l'occasion pour des millions de Français, aux Champs-Élysées ou à travers la TV, de participer pleinement à l'évènement.
France Inter : Merci et bon courage
Jack Lang : Oui, mais j'espère que nous serons récompensés par la bonne humeur des Français.
Europe 1 – 12 juillet 1989
Europe 1 : Les fêtes du 14 juillet commencent aujourd'hui. Savez-vous que la nouvelle mode, c'est de bouder et de fuir Paris ? Comprenez-vous que tant de gens rouspètent, râlent et grognent, d'abord sur les dépenses et les fastes du Bicentenaire ?
Jack Lang : Il faut regarder les choses avec philosophie. Les pleurnicheurs, les grincheux, les rabat-joie ou les pisse-froid, ça fait partie, si j'ose dire, un petit peu du folklore national. Chaque fois qu'un grand événement se prépare, les blasés de profession sont naturellement au rendez-vous. Ne nous en plaignons pas trop. Ils apportent un peu de piment, un peu de condiment. Et puis, finalement, lorsqu'ils voient les choses, ils finissent par se rallier. Mais, parfois, il arrive qu'ils aient gain de cause. Je n'oublie pas que ce sont les mêmes grincheux ou même petits politiciens qui, voici sept ans, avaient, pour les mêmes motifs – la circulation automobile, je ne sais pas quoi d'autre, leurs petites aises – avaient réussi à empêcher que notre pays soit le siège de l'exposition universelle. Si, à cette époque, ils n'avaient pas été soutenus par l'opposition du moment, et notamment la mairie de Paris, l'exposition universelle aurait eu lieu en ce moment même. Parfois, ils n'ont pas eu raison. Rappelez-vous aussi pour la Pyramide. On rouspétait. On protestait. Des comités se constituaient. Finalement, nous avons tenu bon. La Pyramide s'est érigée. Et tout le monde est content. Et même, vous me permettez, je vous fais une prophétie : l'année prochaine, ceux-là mêmes qui se plaignent des restrictions automobiles constitueront un comité pour demander que Paris soit libérée de voitures pendant quatre jours. Dans l'intervalle, ils auront découvert la beauté de Paris et le plaisir de la marche à pied.
Europe 1 : Vous ne m'avez pas répondu sur le coût, les fastes des dépenses. On dit 1,8 milliard, 3 milliards, 4 milliards… Est-ce qu'il y a déjà une idée de ce que ça va coûter ?
Jack Lang : J'aimerais que, quand je lis tel ou tel éditorialiste dans un journal du matin, qu'il veuille bien m'accompagner, par exemple ce soir, dans les rues de Paris. On va ensemble avec M. Jean Bothorel dans les rues de Paris. Et il verra comment l'organisateur de ces fêtes est accueilli par la foule. Il verra en particulier comment les 6 000 jeunes qui bénévolement participent à la préparation du Bicentenaire, venant de la France entière, recevront M. Bothorel. On dit tout et n'importe quoi. La manifestation du 14 juillet coûte quatre fois moins cher que la manifestation organisée par les Américains autour de la Statue de la liberté. Le budget public est de 60 millions de francs. Nous avons doublé la mise par des apports privés, et moi-même, j'ai payé de ma personne, le ministre de l'industrie et quelques autres, pour frapper aux portes des entreprises privées et des particuliers, pour obtenir des crédits. Je dirais que, s'il y avait un reproche à faire, ce serait le reproche inverse aux pouvoirs publics : comment vous avez été aussi chiches alors qu'il s'agissait de célébrer une telle manifestation ? Mais, au fond, nous avons été autonomes des fonds publics. Et puis, il y a tellement de gens qui viennent là avec leur coeur, apporter leur concours bénévole. Un exemple, peut-être le plus spectaculaire : Jessye Norman. Elle est venue, il y a huit mois, me trouver en me disant : « Jack, je veux participer au Bicentenaire. J'apporte gracieusement… »
Europe 1 : Alors là, on arrête. On dit qu'elle va toucher 1,5 million de francs pour chanter ?
Jack Lang : Encore une fois, une plaisanterie, une calomnie ! Elle jouera, demain soir, avec tout son coeur, avec toute son âme, avec tout son talent pour Paris, pour la France et pour la liberté.
Europe 1 : Est-ce qu'il va vous rester un peu de sous dans votre budget de la culture pour après ?
Jack Lang : Pas le moindre centime n'a été prélevé sur le budget du ministère de la culture. Mais, en tout cas, quand j'entends M. Juppé parler à propos de ces questions de célébrations mégalomaniaques, je tombe des nues. C'est le monde à l'envers. Et je trouve que M. Juppé ne manque pas d'air. La célébration de la tour Eiffel à laquelle j'ai assisté, a coûté en fonds publics autant que la célébration du 14 juillet. Alors, de quoi parle-t-on ? Fallait-il ou non célébrer le Bicentenaire ? Réponse : non. Fallait-il un Bicentenaire au rabais ? Réponse : non. Fallait-il gaspiller les fonds publics ? Réponse : non. Nous avons conçu, surtout avec notre bonne volonté, notre imagination, le concours de milliers de gens, un Bicentenaire qui sera beau, j'espère, et peu coûteux.
Europe 1 : Mais qu'est-ce que vous avez bu ? Ou qu'est-ce que vous avez mangé si tôt ? Vous politisez à fond.
Jack Lang : Non, je ne politise pas. Je dis la vérité. Je veux rétablir la vérité sur des faits. On a trop dit n'importe quoi depuis quelques jours sur ce sujet.
Europe 1 : Et quand on dit qu'il y a un glissement monarchique du régime ?
Jack Lang : Où est la monarchie ? Le président de la République française est le président de la République française. Faut-il avoir honte parce que notre président de la République – alors dites que c'est de la politique – notre président de la République est à l'avant-garde, aujourd'hui, dans le monde du combat pour les libertés et les droits de l'homme. Celui qui le premier a mené, pour les pays du tiers-monde, – il continue à la mener – c'est lui le premier qui, par un acte symbolique très important et matériel, a annulé la dette d'une partie des pays du tiers-monde. Alors, en effet, viennent à Paris, des chefs d'État de près de cinquante pays. Est-ce honteux ? Je crois que c'est une grande réussite pour la France. C'est une grande réussite pour François Mitterrand. Et c'est une occasion formidable de dialogue entre les pays du nord et les pays du sud.
Europe 1 : En ce moment, l'opposition observe. Il paraît qu'elle va boycotter la Marseillaise de Jean-Paul Goude. Ça vous choque, ça ?
Jack Lang : En boudant, ils se punissent eux-mêmes.
Europe 1 : Vous ne l'avez pas fait, vous, quand vous étiez dans l'opposition ? Vous n'avez pas boudé ?
Jack Lang : Pas du tout. Chaque fois que j'ai été invité, j'étais présent. M. CHIRAC m'a invité aux manifestations de la tour Eiffel. J'ai considéré que c'était mon devoir, éventuellement mon plaisir, d'y assister. Je crois que le dépit est toujours un aveu de faiblesse, et ce comportement de quelques ténors est un comportement un peu enfantin, de gamins capricieux. Au fond, il faut être beau joueur dans la vie publique, comme dans la vie tout-court. Il y a deux conceptions de la vie publique : une conception sectaire et politicienne, une conception ouverte et républicaine.
Europe 1 : Vous êtes du côté de l'ouverture ?
Jack Lang : J'ai tendance à penser que j'appartiens plutôt aux hommes de la République. Malgré les appels des ténors, les députés de base de ces partis seront là. Nous recevons beaucoup de demandes d'invitations en provenance de la mairie de Paris et tous les Français seront présents aux coudes-à-coudes. N'oublions pas que l'évènement est d'abord un évènement populaire. Ce sont 38 000 bals de la liberté.
Europe 1 : Elle va animer toute une nuit sur les bals.
Jack Lang : Contestant des contre-vérités scandaleusement répandues dans certains journaux, les tribunes du 14 juillet seront réservées principalement à des Français et non pas à des officiels. Vous avez vous-même participé à la sélection de ces Français.
Europe 1 : C'est une fête pour des privilégies, dit Le Figaro ?
Jack Lang : Vous trouvez de la haute et belle littérature. Chaque jour, vous découvrez sous la plume de ces messieurs quelques nobles pensées au nom de 89, mais, au fond, merci à ces éditorialistes qui apportent du mouvement, de la vie et de la contestation. Un clan ? C'est un million de Français qui seront dans la rue aux Champs-Élysées, c'est 800 millions de téléspectateurs. Je soupçonne certains dirigeants de l'opposition d'avoir mal digéré leur défaite : ce n'est pas comme ça qu'ils pourront reconquérir la confiance des Français.
Europe 1 : C'est vrai que Jacques Chirac ne voulait pas de grand bal ?
Jack Lang : Il y a eu quelques problèmes d'organisation, mais finalement les choses se sont bien passées et demain on dansera partout.
Europe 1 : Le PC dit que vous ne voulez pas de bals le 14 juillet ?
Jack Lang : C'est une plaisanterie.
Europe 1 : Il y a deux sortes de critiques : le bicentenaire célèbre un des plus terribles génocides de l'histoire.
Jack Lang : Oublie-t-on que la Révolution française a été le plus formidable mouvement de libération de l'histoire ? Si, aujourd'hui, nous pouvons dialoguer de façon libre, c'est parce qu'il y a des hommes extraordinaires, intrépides qui ont fait bousculer le monde, qui ont fait passer notre pays d'un pays de privilèges à un pays de liberté. Que dans ce mouvement se soient produites des erreurs graves, qui le contesterait ?
Europe 1 : Si vous étiez vendéen, pourriez-vous oublier 93 et célébrer 89 ?
Jack Lang : Les massacres qui se sont produits ne doivent pas occulter le formidable mouvement de libération qui s'est produit. L'Ancien régime était un régime de répression, d'inégalités. Qui nie la Terreur ? Elle est une déviation d'un mouvement qui a apporté beaucoup à la France et au monde.
Europe 1 : Quels sont vos héros ?
Jack Lang : Un de ceux qu'avec François Mitterrand seront célébrés cette année, ce sont les grandes figures intellectuelles de la Révolution française : l'Abbé Grégoire, Condorcet et Monge.
Europe 1 : Danton et Robespierre ?
Jack Lang : Ce sont des personnages qui ont une grande force de séduction aussi. Quels que soient les crimes commis, ils ont été des hommes intrépides.
Europe 1 : Quel est votre message pour 89 ?
Jack Lang : Notre grand message : « liberté, égalité, fraternité », ce que le président de la République a lui-même exprimé dans son discours du Jeu de paume : guerre aux exclusions, guerre pour mettre fin aux exclus du travail, aux exclus du savoir, de la culture, de la richesse. Je pense notamment aux pays du tiers-monde. Le combat mené par François Mitterrand va être poursuivi ces prochains jours et nous réussirons, pas à pas, à gagner et à obtenir des pays riches qu'ils consentent un certain nombre de sacrifices et d'efforts.
Europe 1 : Le plus grave n'est-il pas d'être doublé à gauche par vos amis ?
Jack Lang : À leur manière, Renaud et quelques autres ont apporté une part de la vie à cette célébration. Au-delà des accusations injustes, en particulier celles proférées par Perrault à l'égard de François Mitterrand, s'il y a bien un homme dans le monde qui est le champion des pays du tiers-monde et qui l'a prouvé par des actes, c'est François Mitterrand. Les observations de Gilles Perrault sont injustes et je ne comprends pas d'ailleurs qu'un intellectuel comme lui ait si peu le souci de la rigueur des faits. Cette contestation aide à populariser en France l'idée qu'il faut en effet conduire ce combat pour les pays du tiers-monde, qui est le combat de François Mitterrand. Je dirais : on le verra dans les faits. Les évènements balaieront les scepticismes et chaque Français sera fier de son pays. Et je dis à messieurs les grincheux : souriez !
Antenne 2 – 18 juillet 1989
Antenne 2 : Cette publication est-elle pour vous une victoire ?
Jack Lang : La France fête son Bicentenaire. C'est la terre des droits de l'homme. La liberté est l'une des premières conquêtes de la Révolution française. Il est normal que tout livre, celui-là ou un autre, ait le droit d'être publié et diffusé. Le ministère de la culture la parraine comme il a parrainé des milliers d'autres livres qui ont droit à être publiés en France.
Antenne 2 : Le nouveau recteur de la mosquée de Paris dit, dans Le Monde, que Rushdie ne sera pas le dernier à blasphémer le prophète, mais qu'il pense que, compte tenu de la difficulté de l'insertion de l'islam dans une société occidentale, les musulmans n'avaient pas besoin de tant de publicité. D'où, il appelle au respect des grandes familles de croyants. N'est-ce pas difficile de gérer à la fois la liberté de publication et le respect des autres ?
Jack Lang : C'est une vraie question. On ne peut, les dirigeants responsables, blasphémer, offenser la croyance des autres. Mais personne ne sera contraint de lire ce livre. De même que personne n'avait été contraint d'aller voir le film controversé sur Jésus-Christ. Nous sommes un pays de pluralisme et de diversité. Il faut que chaque mouvement de pensée ait le droit à l'expression. Comme l'explique la Déclaration des droits de l'homme : la liberté de chacun s'arrête où commence celle des autres. Par conséquent, le devoir de la puissance publique est d'assurer un arbitrage entre la liberté des uns et des autres. Nous respectons la communauté musulmane qui, ici en France, a plein droit de citer.
Antenne 2 : Est-ce que des mesures particulières ont été prises demain dans les centres qui vendront ces livres ?
Jack Lang : Vous vous souvenez avec quelle efficacité le ministre de l'intérieur avait réussi à faire arrêter ceux qui voulaient, dans les salles de cinéma, empêcher la diffusion du film de Scorcèse. Nous veillerons avec la même fermeté, à la liberté de diffusion de ce livre, mais aussi de tous les autres livres.
Antenne 2 : Le Bicentenaire : cela vous a donné des idées pour l'année prochaine ?
Jack Lang : Cela m'a d'abord réchauffé le coeur. Les sceptiques et les blasés ont dû battre en retraite devant l'enthousiasme populaire.
Le Bicentenaire n'est pas terminé. Il y aura, à la Défense, le 26 août, une grande fête. Mais cette fête a été si extraordinaire que je me suis dit qu'il fallait que nous réfléchissions à instituer une sorte de tradition qui consisterait, le 14 juillet, à confier une grande fête comme celle-là à un créateur différent chaque année.