Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "Le Bien public" du 5 novembre 1998, sur la loi d'orientation agricole, notamment le volet environnemental, économique et social, et la réforme de la PAC.

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Le Bien Public-les Dépêches. - Au lendemain de l'adoption en première lecture de la loi d'orientation, vous avez estimé que « cette loi ne trouvera sa pleine justification que si la réforme de la PAC (politique agricole commune) et les négociations internationales ouvrent à notre agriculture des perspectives économiques durables et confortent le modèle agricole européen. » Pensez-vous que c'est l'orientation qui se dessine ?

Luc Guyau. - La loi d'orientation et la réforme de la PAC doivent absolument être en phase. On ne pourrait pas imaginer une politique nationale qui privilégierait le volet environnemental et une politique agricole commune uniquement ouverte sur le grand large. Il n'y a pas d'un côté une agriculture protégée et de l'autre une agriculture exposée. Il y a un seul modèle agricole européen que les politiques nationales et européennes doivent conforter. Pour cela les deux politiques doivent être en cohérence.

BP-LD. - N'est-ce pas dommageable que le ministre qui a défendu cette loi d'orientation ne soit plus là à l'heure où s'engagent ces négociations ? Et que pensez-vous de son successeur ?

L.G. - Cette loi d'orientation, nous l'attendons depuis que le Président de la République l'a annoncée lors du cinquantième anniversaire de la FNSEA le 14 mars 1996. Cela fait maintenant plus de deux ans, et trois ministres de l'Agriculture se sont succédé depuis lors. C'est dire si la gestation a été difficile. Mais j'espère que nous tenons maintenant le bon bout et que le passage au Sénat, prévu en début d'année prochaine, ne sera pas retardé par le changement de ministre. Nous espérons au contraire que M. Glavany en profitera pour améliorer un texte qui, en l'état, a pour nous un goût d'inachevé. Nous souhaitons en particulier que les lacunes sur le pouvoir économique des agriculteurs, la fiscalité et l'activité économique soient comblées. Car cette loi ne deviendra une véritable loi d'orientation que si la fonction économique, à travers la production, l'exportation et la création de valeur ajoutée, reste l'objectif premier de l'agriculture. C'est dans ces conditions que l'agriculture pourra remplir sa triple fonction : économique, sociale et environnementale.

HP-LD. - La réforme de la PAC telle qu'elle est envisagée équivaudrait, nous dit-on, à ce que les agriculteurs tirent, en moyenne, 80 % de leur revenu des subventions. Est-ce tenable tant économiquement que vis-à-vis des contribuables ?

L.G. - La réforme de la PAC de 92 a radicalement changé l'économie de la politique agricole puisque qu'elle a instauré une baisse très importante des prix à la production compensée plus ou moins intégralement par des aides directes. Ainsi le revenu des producteurs est devenu très dépendant de ces aides communautaires au point que pour certaines productions elles représentent plus de 100 % du revenu. Ce système est pernicieux car il fait dépendre le revenu d'une activité économique de décisions administratives dont on ne connaît pas la pérennité dans le temps. La réforme envisagée dans l'Agenda 2000 accentue encore le phénomène. Nous avons toujours combattu cette orientation en demandant une juste rémunération pour nos productions. Les agriculteurs veulent vivre de leur métier de producteur. J'ajoute, que ce système est mal vécu par les agriculteurs qui ont le sentiment d'être des assistés et de plus en plus contestés par l'opinion publique qui confond ces aides compensatoires à des baisses des prix avec subventions.

BP-LD. - Pensez-vous par ailleurs que l'on pourra échapper au cofinancement ?

L.G. - Nous sommes totalement opposés à tout cofinancement de la PAC et nous l'avons fait savoir aux plus hautes autorités de l'État. En effet, si une telle proposition devait voir le jour s'en serait fini de la solidarité financière entre les États membres qui est un des fondements de la politique agricole commune. Cela créerait en particulier des déséquilibres entre partenaires et aboutirait à une renationalisation de la PAC et à terme à sa disparition. Pour le moment le gouvernement français a adopté la même attitude que nous mais nous sommes extrêmement vigilants afin qu'il ne cède pas aux pressions très fortes en provenance de certains pays.

BP-LD. - Enfin, plus généralement, venez-vous en Côte-d'Or pour délivrer un message particulier ou prendre le pouls de vos troupes ?

L.G. - Chaque année, la FNSEA organise la tournée d'automne de ses fédérations. C'est un moment privilégié qui nous permet de prendre le pouls de la base et de réfléchir ensemble sur notre stratégie syndicale pour les mois à venir. Cette année, ces réunions revêtent une importance particulière car nous sommes à la veille d'un congrès électif à la FNSEA et que les élections à la MSA et aux chambres d'agriculture se profilent. Nous sommes par ailleurs en pleine discussion sur la loi d'orientation et sur la réforme de la PAC, les négociations à l'OMC (office mondial du commerce) et sur l'adhésion des pays de l'Est vont démarrer et il est important de connaître le sentiment des agriculteurs sur ces grandes échéances. C'est particulièrement vrai ici où nous avons un bel échantillon comme le vin ou les céréales mais également une production de qualité particulièrement menacée par le projet de réforme de la PAC.