Texte intégral
L. Joly : Le calendrier des vacances scolaires suscite quelque émoi. Vous projetez de faire sortir les lycéens une semaine après leurs camardes des collèges et école primaires qu'est-ce qu'il en est exactement ?
F. Bayrou : Et non, justement non, justement non. C'est pourquoi les commentaires sont un peu abusifs quand ils sont trop précoces. De quoi s'agit-il ? Tout le monde a remarqué et tous les parents, qui nous écoutent, savent que le troisième trimestre est inutile parce que les élèves sortent trop tôt. Quelquefois dès la fin mai, quelquefois un peu avant et le mois de juin est un mois sacrifié. Pourquoi est-il sacrifié ? Pour deux raisons. Parce que les conseils de classe sont organisés trop tôt et parce que le Bac est organisé trop tôt. Nous ne pouvons plus continuer comme cela. Je souhaite, je décide que le troisième trimestre serait, cette année, un trimestre utile. C'est pourquoi le baccalauréat sera organisé plus tard dans le mois de juin. Mais naturellement l'organisation des épreuves écrites de la fin juin suppose que les oraux de rattrapage seront organisés pendant le mois de juillet, jusqu'au 12 juillet. Ce qui signifie que les enseignants de lycée sont tous occupés à corriger le Bac jusqu'au 12 ou 13 juillet. C'est pourquoi j'ai décidé de faire en sorte non pas que les élèves sortiraient plus tard, mais que les élèves rentreraient une semaine plus tard que les élèves des collèges. Je rassure tous ceux qui s'inquiètent ou font semblant de s'inquiéter pour avoir quelque chose à écrire dans les journaux, les élèves sortiront en même temps sauf ceux qui passent l'oral du rattrapage du Bac et c'est déjà Je cas. Mais le troisième trimestre sera utile parce que le mois de juin pourra être utilisé pour des révisions ou pour les classes et non pas comme actuellement totalement libéré avec des élèves qui sont à la porte des lycées.
L. Joly : Allez-vous revoir le Bac pour l'année prochaine ?
L. Joly : Je le reverrai un peu dans son organisation mais dans son principe sûrement pas. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'une réévaluation du Bac. Que les élèves et les enseignants sachent qu'il s'agit d'une épreuve véritable qui sanctionne un niveau véritable. Tout le monde disait que ce baccalauréat était beaucoup trop difficile or les premiers résultats, que nous avons, montrent qu'il est aussi bon que les autres années. Cela signifie quoi ? Cela signifie qu'il ne s'agit pas pour les élèves que l'on baisse la barre pour avoir le Bac. Lorsque l'on maintient la barre à un bon niveau qui leur permet de faire leurs preuves et d'améliorer leurs connaissances, ils suivent. Et c'est un grand atout parce que les élèves qui passent le, baccalauréat cette année, sont ceux qui entreront à l'université l'année prochaine et peut-être aurons-nous évité en améliorant le niveau du Bac que les échecs soient aussi nombreux en première année d'université.
L. Joly : Que comptez-vous faire pour les nombreux diplômés qui vont se retrouver au chômage ?
F. Bayrou : On peut travailler dans une entreprise sans être placé comme cadre dès la première année. Il faut à tout prix que nous sortions de cette idée selon laquelle c'est le diplôme qui doit à tout prix faire la réussite dans la société française. Il faut que nous arrivions à l'idée, qu'il y a d'autres moyens d'aller vers la réussite et en particulier à l'intérieur des entreprises que d'avoir uniquement des diplômes abstraits. Il faut que les filières concrètes, l'entrée dans le monde technologique et professionnel puissent celles aussi conduire au succès. Il me semble que c'est une révolution que doit mener la société française pas seulement l'éducation nationale mais aussi les entreprises qui doivent prendre l'habitude d'insérer, de faire entrer des jeunes le plus tôt possible, quitte à leur réserver des parcours de réussite à l'intérieur de l'entreprise.
L. Joly : Où en était-on du dossier du referendum sur l'Éducation nationale ?
F. Bayrou : Nous organisons une très grande concertation nationale, pourquoi ? Pour une raison que vous connaissez, bien, vous qui êtes un spécialiste des problèmes éducatifs. Parce que beaucoup de Français ont le sentiment que les sujets d'éducation ne sont débattus qu'entre professionnels uniquement. Or je crois qu'il est très important que tous les Français aient le sentiment que leur avis est pris en compte. On ne recommence pas à discuter sur le nouveau contrat pour l'école dont nous allons voter cet après-midi la loi de programmation, mais nous avons décidé de faire en sorte que cette concertation s'étende à tous les problèmes de l'éducation et notamment à une reformulation de ses missions. Quelles sont les attentes de la France en matière d'éducation ? quel état exact du système éducatif français ? Voilà ce qu'une commission objective, neutre va pouvoir affirmer pour tout le monde. Voilà la première étape, il y aura ensuite des réformes qui seront proposées par le gouvernement pour que l'on puisse répondre à toutes les réponses identifiées.
L. Joly : La loi de programmation sera-t-elle applicable à la rentrée ?
F. Bayrou : Oui, elle sera applicable à la rentrée. C'est très important. C'est une date aujourd'hui puisque c'est la première fois dans l'histoire que l'on va programmer les dépenses d'éducation sur plusieurs années. S'il y a un sujet sur lequel il faut que l'on programme c'est-à-dire que la nation se dise à elle-même voilà ce que l'on va faire cette année et voilà ce que nous ferons les années suivantes, c'est bien les sujets d'éducation parce que voilà l'investissement le plus important qu'un peuple puisse faire pour son avenir et naturellement il faut qu'il se représente de quelle manière il conduira son effort. C'est la première fois que l'on vote une loi de programmation et je crois que c'est une date très importante.
L. Joly : Vous avez songé à changer Je nom de votre parti. Est-ce pour changer de projet ou bien pour vous placer dans la course à la succession de V. Giscard d'Estaing ?
F. Bayrou : Le problème de personne n'est pas important. Tout le monde voit bien qu'il manque à la France un grand parti du centre, un parti qui permettrait de réconcilier les gens qui sont dans la majorité aujourd'hui et des gens qui sont dans l'opposition aujourd'hui auteur d'un projet qui donnera un visage diffèrent à la société française. Tout le monde le voit bien. Nous allons le construire. Un projet dans lequel des gens se réconcilient et travailleront ensemble alors qu'hier ils se combattaient. Voilà pour moi l'objectif et c'est à l'automne que nous donnerons un nom nouveau pour un projet nouveau mais qui sera cependant aux racines traditionnelles qui sont celles du centre en France. Simplement, il faut qu'elles s'affirment et qu'elles deviennent rayonnantes.
Mardi 4 juillet 1995
France 2
D. Bilalian : Il semble que sur cette affaire de votre calendrier 1996, il y ait eu pour le moins un quiproquo sur la date de sortie des élèves des lycées ?
F. Bayrou : C'est exactement ça, un quiproquo. Honnêtement, ce serait absurde si je venais sur votre plateau vous expliquer que l'année prochaine, les élèves de lycée sortiraient quinze jours plus tard que les autres. D'abord, vous ne me croiriez pas, et vous auriez raison, parce que vous vous souviendriez que cette année, les élèves, en réalité, n'ont pas eu cours du tout pendant le mois de juin. Donc, je veux mettre les choses au point de manière très simple : il y a une sortie unique, tous les élèves sortiront, élèves du primaire, du collège, du lycée, à la fin du mois de juin.
D. Bilalian : Pas de sortie le 10 juillet, comme on le laissait entendre dans le projet ?
F. Bayrou : Le 10 juillet, c'est la fin des sessions de rattrapage du Bac et comme nous allons raccourcir le temps d'organisation du Bac, il faut faire en sorte que le plus possible d'enseignants y participent. Donc, pour les enseignants de lycée, la sortie aura lieu autour de cette date du 10, 11, 12 juillet et donc la rentrée sera légèrement décalée. Sortie unique pour tous, c'est le bons sens – vous connaissez beaucoup d'élèves qui ont appris beaucoup de choses au mois de juillet au lycée ? – et rentrée décalée pour les élèves de lycée une semaine plus tard que pour les élèves de collège.
D. Bilalian : On aurait confondu la sortie des professeurs et des élèves ?
F. Bayrou : C'est par impatience. Comme on n'a pas attendu la communication définitive et qu'il y a eu, comme toujours à l'Éducation nationale, des journalistes…
D. Bilalian : Ce n'est tout de même pas la faute des journalistes ?
F. Bayrou : Non.
D. Bilalian : C'est le Bac qui est en question : est-ce qu'on peut aujourd'hui continuer à passer le Bac pour plus de 600 000 élèves comme on le passait il y a trente ans pour 200 000 maximum. Est-ce qu'on ne doit pas le simplifier, ce qui réduirait le temps de préparation ?
F. Bayrou : La question principale, c'est celle de l'utilisation du mois de juin. Nous souhaitons et les parents souhaitent que les élèves et les enseignants puissent travailler le plus possible normalement au mois de juin. Cela signifie qu'il faut essayer que le Bac n'intervienne pas trop tôt parce que tout le monde se sent en vacances à partir du Bac, ou que les conseils de classe n'interviennent pas trop tôt parce que les élèves, lorsque le conseil de classe est passé, considèrent que l'année est finie. Donc, nous allons décaler tout cela de manière qu'on travaille sereinement au mois de juin, pour pouvoir accomplir le programme. Cela signifie qu'il faut que l'organisation du Bac soit décalée vers la fin du mois de juin, mais si l'on veut espérer ou manœuvrer pour que je mette fin au baccalauréat à la française, on sera déçu, je ne le ferai pas. Le baccalauréat est un examen très important, c'est le premier grade de l'université et il faut qu'il reste anonyme et national. Qu'on puisse, ici ou là, regarder pour certaines options, pour certaines matières, comment on peut faire pour qu'on puisse apprécier et noter leur contenu avant, on peut le faire. Mais je défendrai l'idée du baccalauréat anonyme, national qui vaille quelque chose pour les élèves. J'ai voulu réévaluer le Bac cette année. On a beaucoup dit qu'il était plus difficile, ce n'est pas vrai, il était exigeant pour que les élèves puissent faire leurs preuves, pour qu'ils puissent montrer ce qu'ils valent, pour qu'ils aient quelque chose entre les mains quand ils ont le Bac et j'ai tout à fait intention de continuer dans ce sens-là. Donc, je n'irai pas dans le sens d'une banalisation du Bac. Tous ceux qui nous écoutent peuvent peut-être se souvenir qu'on a fait ça pour le BEPC autrefois. On a commencé par le déliter et puis, au bout du compte, les élèves ont eu le sentiment qu'ils n'avaient plus rien quand ils avaient le BEPC ou en tout cas que ce n'était plus la même chose. Je souhaite que le Bac reste quelque chose dont les élèves puissent se prévaloir et qu'en tout cas ça leur garantisse, par la vérification du niveau, l'entrée à l'université.
D. Bilalian : Donc, contrôle continu pour certaines options éventuellement mais pas de remise en cause sur les matières principales ?
F. Bayrou : Je n'ai pas dit ça. On peut examiner le mode de notation sur certaines options mais pour l'essentiel, le baccalauréat doit rester l'examen anonyme et national qu'il est.
Mardi 11 juillet 1995
Europe 1
O. de Rincquesen : Hier soir, vous avez salué le vote du conseil supérieur de l'Éducation sur le calendrier scolaire, comme un "vote historique".
F. Bayrou : C'était un sourire… je veux dire simplement que l'habitude avait été prise, au travers du temps, que les projets de calendrier scolaire étaient toujours repoussés par les instances des professionnels de l'Éducation, par le conseil supérieur de l'Éducation qui regroupe tous les syndicats et les parents d'élèves. Cette fois-ci, nous avons montré que lorsqu'on proposait des choses sérieuses, lorsqu'on montrait sa détermination de répondre vraiment aux attentes des familles, c'est-à-dire de faire en sorte que les enfants ne soient plus en vacances comme ça se produisait dès le début du mois de juin et quelquefois la dernière semaine du mois de mai, quand on voulait vraiment changer les choses, on y arrivait. Donc l'année prochaine, le mois de juin sera un mois scolairement utile puisque les élèves iront normalement en classe jusqu'à la fin du mois, jusqu'au conseil de classe et aux examens qui seront organisés tout à fait à la fin du mois de juin.
O. de Rincquesen : Vous êtes sûr qu'un coup de sifflet bref suffit, parce que justement, il y a une longue habitude de troisième trimestre qui s'effiloche.
F. Bayrou : Les décisions en tout cas ont été prises, l'année prochaine, tout le monde pourra vérifier ce qu'il en est. Le baccalauréat, au lieu de commencer dès le début du mois de juin comme cette année, sera placé à la fin du mois de juin et ainsi les élèves auront davantage de temps pour achever le programme. En tout cas, ils seront scolarisés et il me semble que l'on réponde ainsi à |'attente des Français.
O. de Rincquesen : Pour le bac, cela veut dire que l'on passera les oraux du Bac ou de rattrapage vers le 6/7 juillet ?
F. Bayrou : Pour les oraux de rattrapage, dans les premiers jours du mois de juillet jusqu'au 11 juillet à peu près.
O. de Rincquesen : Ça veut dire que les professeurs vont vous dire qu'on leur a encore carotté une semaine de vacances.
F. Bayrou : Ces professeurs-là auront une rentrée dans les lycées qui sera une semaine plus tard, au mois de septembre. On a trouvé un mécanisme qui permet de ne léser personne, mais qui permet de faire en sorte que les parents puissent avoir cette garantie élémentaire que leurs enfants iront en classe pendant tout le temps scolaire utile.
O. de Rincquesen : Il n'y pas que le Bac, il y a aussi les conseils de classe qui interviennent de plus en plus tôt dans le courant du troisième trimestre, à cause des procédures d'appel.
F. Bayrou : C'est un très très grand changement en France. Il y aussi les conseils de classe et, comme vous le savez, les élèves, dès que le conseil de classe est passé, se sentent en vacances. C'est une des raisons pour lesquelles l'année prochaine les conseils de classe seront organisés eux aussi à la fin du mois de juin.
O. de Rincquesen : Est-ce que ça ne rend pas caduques les procédures d'appel qui, elles aussi, prennent du temps et pour lesquelles les parents doivent pouvoir se manifester ?
F. Bayrou : C'est un droit, ce droit sera respecté, mais une organisation nouvelle permettra de faire en sorte que, pour 1 % de procédures d'appel, 99 % des élèves ne soient pas mis en vacances contre leur gré, en tout cas contre le gré de leur famille.
O. de Rincquesen : On a l'impression que vous avez réussi à forcer un verrou. Quand vous disiez "historique", finalement, c'était peut-être le fond de votre pensée ?
F. Bayrou : Tout le monde vit avec l'idée qu'on ne peut rien faire à l'Éducation nationale, que c'est un monde bloqué, fermé. Ce n'est pas vrai, l'expérience, depuis deux ans et demi, montre que chaque fois que l'on fait appel à la conscience professionnelle de ceux qui sont les acteurs du système éducatif et qu'on les respecte, qu'on les écoute, qu'on les prend au a sérieux, chaque fois, on se trouve dans une situation où ils répondent et où on peut effectivement faire bouger les choses. Je crois que c'est une nouvelle manière de gérer à l'Éducation nationale que de faire bouger les choses au jour le jour. Ce que j'ai appelé la réforme continue, qui fait que chaque fois qu'un problème est identifié, on n'attend pas le vote d'une "ixième" loi pour y apporter une réponse, on répond tout de suite, les parents, les élèves et les enseignants ont leur vie qui change et je crois que c'est une chose très importante pour la société française.
O. de Rincquesen : Reste qu'on n'arrive toujours pas à une politique d'étalement des vacances.
F. Bayrou : Une politique d'étalement des vacances, on y arrive. Regardez les très gros efforts qui sont faits en hiver ! Vous avez les vacances d'hiver, de printemps en trois zones sur un mois. Restent juillet et août, l'idée, la tradition française, c'est que juillet et août sont des mois qui ne sont pas des mois scolaires et, honnêtement, si vous avez connu un élève qui travaille au mois de juillet, présentez-le-moi parce qu'il n'y a pas souvent, me semble-t-il, dans les classes, de pareils exemples.
O. de Rincquesen : Jusqu'à quand y aura-t-il classe le samedi matin, notamment dans le primaire et en région parisienne ?
F. Bayrou : Le débat sur les rythmes scolaires va être un des débats qui va occuper l'année qui vient. On a nommé une commission présidée par M. Fauroux qui va essayer de saisir tous les problèmes de l'Éducation nationale. Le problème des rythmes scolaires est un de ceux-là il n'y a pas de sujet qui provoque plus de polémiques en France que les rythmes scolaires : à chaque fois que je viens à Europe 1, July me dit, mais pourquoi le samedi matin est-il scolarisé ? July souhaiterait un samedi libre… il y a beaucoup d'écoles, 17 ou 18 %, qui ont le samedi matin libre mais à côté de cela, un très grand nombre de personnalités importantes disent, mais le samedi matin libre, ce serait au détriment des enfants. Tout cela devra être débattu dans le débat sur les rythmes scolaires. Voyez que l'école, ça n'est jamais facile.
Mardi 18 juillet 1995
RTL
M. Cotta : L'appel de J. Chirac à ses partenaires européens et aux États-Unis ne reçoit toujours pas de réponse. La presse américaine parle même de l'échec français. Jugez-vous que cet appel a permis néanmoins de mettre les autres pays face à leurs responsabilités et si la France devait échouer, que serait votre état d'esprit ?
F. Bayrou : Ce qui se joue en Bosnie, tout le monde le voit bien, c'est la question de savoir s'il y a un ordre international, s'il y a une capacité internationale de défendre des valeurs qui sont celles des Droits de l'homme les plus élémentaires, ou si nous sommes comme dans les années 30 totalement impuissants en face de ces débordements de folie que sont les guerres ethniques, religieuses et la volonté de puissance d'un certain nombre de tyrans locaux. Nous n'avons cette fois-ci à la différence des années 30, même pas l'excuse de la dimension extraordinaire de l'adversaire potentiel ou de ceux qui font ces manquements. Même pas cette excuse. Et donc ce qui se joue est absolument capital pour le XXIème siècle. Et quel est le seul pays du monde, le seul, qui dans une situation comme celle-là, rappelle les valeurs élémentaires de la solidarité des nations en face de cette folie, c'est la France. Eh bien, moi je suis fier d'appartenir à un pays, à un gouvernement qui en effet rappelle ces valeurs même si pour l'instant nous sommes la voix qui crie dans le désert.
M. Cotta : Rappeler ces valeurs, ça a contribué peut-être à rappeler que l'Europe n'était pas unie face à un problème de ce genre. Ça ne vous gêne pas ça ?
F. Bayrou : L'Europe n'est pas unie…
M. Cotta : L'Europe vous résiste en quelque sorte ?
F. Bayrou : Non, l'Europe n'existe pas encore. Il n'y a pas d'ordre international et l'Europe n'existe pas encore. Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je répète, les seuls dans le monde qui proposent une attitude courageuse et qui essayent de se raccrocher à ce socle de valeurs que nous avons invoquées avec de grands mots et de grands mouvements du bras pendant 50 ans, c'est la France. La seule fidèle, c'est ta France. Eh bien, il me semble qu'il vaut mieux être du côté de la fidélité et du côté du respect des valeurs essentielles.
M. Cotta : Ceci étant, est-ce que vous approuveriez le retrait des Casques bleus si le Congrès américain vote comme on s'y attend jeudi la levée de l'embargo des armes aux Bosniaques ?
F. Bayrou : C'est la solution du dernier espoir, du dernier recours, c'est la solution de l'impuissance et c'est d'une certaine manière accepter l'embrasement de la guerre et favoriser l'embrasement de la guerre. Alors, qui peut accepter cela de gaîté de cœur ?
M. Cotta : Avec 75 % de reçus, le nouveau bac 95 bat tous les records de réussite. À quoi attribuez-vous cette réussite ? À la rénovation que vous avez voulue ?
F. Bayrou : D'abord, je crois qu'il faut expliquer, ceux qui l'ont passé le savent bien, que j'ai volontairement construit un bac plus difficile. C'est-à-dire un bac plus substantiel où les écrits sont nombreux et où donc l'exigence est plus grande.
M. Cotta : C'est un paradoxe. Comment expliquez-vous que justement plus difficile, ce bac ait été une épreuve mieux affrontée par les candidats ?
F. Bayrou : Je crois que les candidats ont précisément relevé le défi, c'est-à-dire qu'on leur a demandé plus et qu'ils ont donné plus. Et c'est très encourageant parce que ça prouve que la baisse du niveau n'est pas inéluctable. Au contraire, on peut faire en sorte que chaque niveau scolaire depuis l'école primaire se réinvestisse et que chacun de nouveau tire de nouveau vers le maximum. Je crois que c'est cela que nous sommes en train de construire. C'est sûrement difficile mais ça prouve que lorsque vraiment on demande beaucoup, on peut obtenir beaucoup. Je voudrai insister sur un point parce que vous annoncez, le résultat total. Il y a quelque chose d'encore plus encourageant, c'est que les mentions ont beaucoup augmenté. C'est-à-dire qu'on avait un peu moins d'un quart de mentions, on est au tiers. Un tiers des élèves ont obtenu une mention au moins assez bien. C'est très encourageant aussi parce que ça prouve que non seulement le nombre de ceux qui réussissent l'examen est important, mais que ceux qui le réussissent mieux sont encore plus nombreux et je crois qu'il y a là quelque chose de tout à fait encourageant.
M. Cotta : Pensez-vous que si les jeunes se mobilisent sur le bac, c'est aussi qu'ils ont compris qu'il valait mieux pour trouver du travail avoir des diplômes que d'être sans qualification ?
F. Bayrou : Vous le voyez tout au long de l'échelle de la formation. Ils ont compris qu'en effet aucun diplôme ne garantissait l'emploi mais qu'il valait mieux avoir un diplôme pour avoir un emploi. Et que de ce point de vue-là, leur stratégie personnelle est celle de jeunes sérieux qui préparent leur avenir en essayant d'avoir le bagage le plus important possible.
M. Cotta : Sur le calendrier scolaire, vous êtes arrivé à un consensus à quelques nuances prés. Est-ce que vous avez dû, pour aménager ce calendrier, abandonner certaines de vos revendications ou est-ce que vous êtes arrivés les uns et les autres à frotter votre expérience à celles des enseignants, des parents d'élèves, etc. ?
F. Bayrou : Je n'ai rien abandonné parce que ce qui est en jeu, c'est l'intérêt des élèves et c'est de l'intérêt que chacun peut vérifier dans sa propre famille. Quel était mon but ? C'était de ne pas laisser le mois de juin dans l'état où il était. Vous savez bien, les élèves sont en vacances quelquefois depuis la fin du mois de mai. Alors, on dit qu'ils vont à l'école. Sur le Journal officiel, le nombre de semaines est acquis mais la vérité est qu'ils ne vont pas en classe parce que le bac ou les conseils de classe précoces font que tout le monde se sent libéré de l'obligation scolaire. Et c'était un grand gâchis. J'ai voulu en sortir et j'ai demandé à tout le monde d'accepter cette idée que nous retardions le bac au mois de juin, que nous retardions les conseils de classe pour que tous les élèves aillent en classe le plus longtemps possible, que le mois de juin soit vraiment un mois d'école, un mois où l'on travaille. C'est ce que les partenaires du système éducatif ont accepté et je crois que c'est un grand pas en avant. Tout cela prouve qu'on peut changer le système scolaire sans avoir des accidents.
M. Cotta : Sur le referendum sur l'enseignement, vous y étiez hostile, vous devrez pourtant l'organiser. À quelles conditions une consultation populaire sur l'enseignement peut-elle être bénéfique ?
F. Bayrou : Pour l'instant, l'important, c'est de mesurer que les problèmes de l'école ne sont plus enfermés entre professionnels, que tout le monde va pouvoir, notamment par l'engagement de la commission présidée par M. Fauroux, qui va organiser une grande consultation nationale, tout le monde va pouvoir s'exprimer. Et ça, c'est un grand progrès. Je suis persuadé que de cette commission, il sortira un état des lieux et une description des attentes de la France en matière d'éducation qui sera très utile au débat.