Texte intégral
Reportage
Jacques Chirac : Et bien elle est complètement décentrée alors d’une part en ce qui concerne le tirage d’autre part en ce qui concerne la mise des bûches. Le retour du fer forgé naturellement rend plus difficile la position des bûches. Les bûches souffrent un peu là.
Philippe Seguin : Jacques Chirac dans un match il est absolument intenable. Et pas seulement pour les matchs de l’équipe de France. Allez voir lui des pupilles de (?) vous en sortirez aussi couvert de bleus.
Un de ses voisins en Corrèze : Chaque fois qu’il vient en Corrèze c’est bien rare qu’il ne vienne pas faire un tour à la maison. Je ne sais pas si c’est parce qu’il aime bien notre petit salé avec un coup de rouge ou si c’est parce qu’il aime mon franc parler, il faut dire qu’on se connaît depuis plus de vingt ans vous pensez ! Alors quand j’ai quelque chose à lui dire, je lui dis. Il écoute, il entend, il agit.
Patrick Poivre d’Arvor : Monsieur le Premier ministre bonjour.
Jacques Chirac : Bonjour.
Patrick Poivre d’Arvor : Alors ça c’est Jacques Chirac que vous aimez.
Jacques Chirac : En tout cas c’est la France que j’aime. La Corrèze, Paris, l’ensemble de notre pays, son outre-mer sont des endroits où je me sens à l’aise. J’aime sortir de la scène et de la vie politique pour si j’ose dire entrer en France. C’est un beau pays, c’est un merveilleux pays.
Patrick Poivre d’Arvor : Et puis vous avez envie que cette image-là de vous sorte. Parce que vous trouviez qu’elle était un peu brouillée jusqu’à présent. A la télévision par exemple, on vous trouvait raide, c’est parce que vous étiez mal à l’aise face aux journalistes, parce que vous étiez pudique ? Quelle est la raison ?
Jacques Chirac : Il est certain que j’ai eu un problème de ce point de vue et peut-être un peu par pudeur, c’est vrai. Je n’aime pas beaucoup me montrer, m’exhiber. Je réserve cela à mes amis, à mes proches et aux contacts que je peux avoir avec mes compatriotes en dehors de l’œil froid de la télévision, en dehors du système politique.
Patrick Poivre d’Arvor : Alors on a vu les vues de l’Hôtel de ville, de la Corrèze. On vous voit à l’aise. On vous voit sur la campagne d’affiche que tout le monde a vue, c’est assez réussi là en janvier. Mais on a un peu le sentiment quand même que cette campagne est une campagne d’image et simplement d’image, et qu’on ne différencie pas suffisamment les programmes des différents candidats. Beaucoup se disent au fond Raymond Barre, Jacques Chirac, François Mitterrand c’est la même chose.
Jacques Chirac : Ecoutez, je ne crois pas que l’on puisse dire ça. On a pu le dire peut-être au début de la campagne c’est vrai, mais depuis que Monsieur Mitterrand a levé un coin, un coin du voile sur ses intentions, alors je crois que les Français sentent bien qu’il y a des projets complètement différents : celui de la majorité, celui de l’opposition et qui ne sont pas de même nature. Et ça je crois qu’ils le ressentent. Il y a d’un côté une sorte d’immobilisme dans l’opposition et qui se demandant ce qu’elle va faire, a pour ambition de gérer l’acquis en quelque sorte. Et puis de l’autre il y a une espèce de projet dynamique apte à prendre en charge les problèmes auxquels nous allons être confrontés. Et je pense que cela se ressent de plus en plus. D’ailleurs vous le voyez dans l’évolution des sondages.
Patrick Poivre d’Arvor : Vous critiquez vos adversaires. Moi je vais vous dire ce que vos adversaires disent de vous. Ils disent par exemple que vous êtes agité, reprenant en cela un terme d’un ancien président de la République qui disait de vous que vous étiez agité, que vous aviez du mal à être contenu.
Jacques Chirac : Ne croyez pas toujours, Monsieur Poivre d’Arvor ce que l’on dit dans la polémique politique. Ça fait partie du jeu ça ne correspond pas toujours à une réalité.
Patrick Poivre d’Arvor : On dit aussi que vous êtes excessivement optimiste. Et ça j’en suis témoin très souvent vous dîtes « la France est sortie du tunnel » ou « la France est en train de sortir du tunnel ».
Jacques Chirac : Ça c’est vrai ; ça c’est vrai. Vous savez, prenons un exemple tout récent. Au mois d’octobre dernier au mois de septembre – octobre : krach boursier, vague de pessimisme, j’ai eu le malheur de dire « je suis raisonnablement optimiste » ; on m’a accusé. J’ai eu raison. Mais vous savez, au-delà de cela, il faut être optimiste. Les pessimistes sont des gens qui se découragent et qui par conséquent ne sont pas dynamiques. Pour assumer les responsabilités importantes de la conduite d’un pays notamment dans les périodes difficiles, il faut être optimiste parce que seuls les optimistes veulent gagner, sont convaincus qu’ils vont gagner, relèvent les défis, c‘est important.
Patrick Poivre d’Arvor : Il y a une accusation qui est beaucoup plus grave. C’est qu’on dit que vous êtes versatile et qu’il suffit de l’influence de tel ou tel conseiller pour que vous changiez votre politique, vos points de vues. C’est quand même assez grave.
Jacques Chirac : Ecoutez. Là encore si on devait faire la liste de tous les reproches que l’on s’adresse actuellement dans le combat politique et qui sont il faut le dire de plus ou moins bonne foi, souvent moins que plus, on n’en finirait pas. Alors j’essaie d’être moi-même et j’entends persévérer.
Patrick Poivre d’Arvor : Non mais sans insister trop dans cette liste, il y a quand même des faits précis. Il y a des gens qui vous ont entendu dire à Marseille par exemple que vous compreniez le racisme.
Jacques Chirac : Ah non, ah non, non. On a dit que je l’avais dit mais personne n’en a jamais retrouvé la trace, n’est-ce pas ? J’ai dit à Marseille et je le répète que je comprenais parfaitement le ras le bol qu’exprimaient des hommes et des femmes, des Français qui depuis 81 ont vu se développer l’immigration clandestine avec tous les inconvénients que cela comporte aujourd’hui, l’insécurité, le chômage et aussi la nouvelle pauvreté qui en est issue. Et je comprenais que ces gens en aient eu assez et comme ils sont Français avec souvent la tête près du bonnet ils l’ont exprimé avec une certaine vigueur. C’est ça que j’ai dit. Et j’ai dit que je les comprenais. C’est la raison pour laquelle j’ai engagé une politique tendant à répondre à ces problèmes.
Patrick Poivre d’Arvor : Est-ce qu’on est bien placé pour parler du racisme et de l’immigration quand, comme vous, on habite dans les beaux quartiers, quand on n’est pas quotidiennement, quand on ne fréquente pas quotidiennement ce problème ?
Jacques Chirac : Sachez qu’un maire fréquente quotidiennement sa ville et tous ses quartiers. C’est le cas notamment du maire de Paris depuis dix ans. Et que dans la politique que je me suis efforcé de faire tendant à rééquilibrer au profit des quartiers pauvres l’environnement général de Paris, j’ai un contact permanent avec ces quartiers avec leur population et j’en connais leurs problèmes. Et c’est la raison pour laquelle je sais que le racisme est la pire des choses, la pire, je le vois quotidiennement et qu’il faut tout faire pour lutter contre. C’est la raison pour laquelle je trouve dérisoire que certains puissent de ce point de vue jouer avec le feu.
Patrick Poivre d’Arvor : Vous pensez que l’on peut arrêter l’immigration sauvage sans être accusé de racisme rampant.
Jacques Chirac : Mais naturellement, ce n’est pas un problème de racisme. C’est un problème d’équilibre sociologique. Nous sommes un pays malheureusement marqué par le chômage comme beaucoup d’autres. Nous n’avons plus de travail à donner. Si nous laissons une immigration clandestine se faire – nous l’avons interrompue en 1986 – si nous le laissions se faire nous aurions de plus en plus de marginaux qui n’ayant pas de statut juridique, se cachant, n’ayant pas de travail, seraient tout naturellement et sont tout naturellement un vivier pour la délinquance, pour la criminalité. Nous ne pouvons pas accepter cela, car cela déstabiliserait notre société et au détriment d’abord des étrangers qui sont en situation régulière, qui respectent nos droits, qui doivent faire l’objet d’une politique fraternelle d’intégration. Nous devons être vigilants sur ce point. Cela a été une des grandes erreurs des socialistes.
Patrick Poivre d’Arvor : Vous parliez de votre ville tout à l’heure. Il y a beaucoup d’exclus à Paris comme ailleurs notamment des gens qu’on retrouve dans les restaurants du cœur.
Jacques Chirac : Hélas et ailleurs. Ça c’est une situation qui n’est pas tolérable. Il faut lutter contre. On ne luttera pas seulement avec les moyens de l’Etat. Ceux qui vous disent « il suffit de faire une allocation supplémentaire » ont raison sur le plus humain et se trompent en réalité sur le plan de la dignité de l’homme. Ce que je dis-moi, c’est que nous sommes tous responsables de cette situation. Tous les Français et nous devons nous sentir tous concernés. Et il faut donc donner à ces gens-là certes une aide pour en sortir, mais en contrepartie d’un effort de leur part c’est cela qui correspond à leur dignité. C’est pour cela qu’ils l’affirment. Cet effort cela doit être un effort de réinsertion, un effort de travail fut-il modeste, un effort de formation, d’alphabétisation, de qualification, bref tout ce qui leur permet en rentrant chez eux de dire à leurs proches ou à eux-mêmes « Cet argent je l’ai touché oui mais je l’ai gagné, j’ai fait un effort pour le gagner ». Autrement dit pour cela l’Etat n’est pas suffisant, il faut que l’ensemble des collectivités locales, des associations, de la population se mobilisent pour trouver ces gens et pour leur tendre non pas seulement un chèque mais également la main.
Patrick Poivre d’Arvor : Il y a une autre catégorie de Français qui se retrouvent un petit peu sur la route parce que le progrès va vite en ce moment se sont les personnes âgées. C’est facile de leur tendre la main mais c’est plus difficile aussi de laisser certains de vos partisans dire à propos du président de la République actuel que c’est une personne âgée. Parce que j’ai entendu ça dans les meetings.
Jacques Chirac : Je ne l’ai jamais dit même si je suis sûr que les années qui nous attendent demanderont un plus grand dynamisme. Les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses. Et je dirai tant mieux. Elles nous apportent beaucoup d’expérience, nous leur devons le respect. Il faut d’abord leur assurer naturellement le pouvoir d’achat de leur retraite mais au-delà il faut leur assurer une meilleure insertion dans la société, un meilleur épanouissement dans leur milieu par le bénévolat, par un travail, par un conseil. La facilité plus grande pour elles de rester chez elles avec une aide à domicile ou de rester de façon plus humaine dans des structures collectives, dans des maisons de retraite etc. Ça c’est capital. Et il y a un grand effort à faire parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses. Je voudrais faire en France ce qu’on a fait pour elles à Paris.
Patrick Poivre d’Arvor : Quand on continue le balayage un petit peu et des générations et des différentes catégories de Français on aboutit toujours aux femmes. Vous trouvez que c’est normal de toujours distinguer les femmes des hommes ?
Jacques Chirac : Il ne faut pas les distinguer. Elles ont acquis le droit de vote grâce au général de Gaulle elles ont acquis l’égalité juridique Dieu soit loué. Il faut maintenant qu’elles acquièrent l’égalité économique. C’est bien engagé notamment dans les secteurs les plus modernes, dans la communication, dans l’informatique. Ce sont des secteurs dans lesquels vous voyez autant de femmes dans les postes de responsabilités que d’hommes et pas de distinction entre elles. Ce n’est pas vrai encore les vieux secteurs classiques. Il faut qu’elles soient plus présentes dans la politique y compris au gouvernement pour des questions de rapport de sensibilité. Et enfin il y a un autre problème pour les femmes. C’est qu’il faut qu’elles conquièrent au sein de la famille une nouvelle liberté, celle de faire des enfants sans avoir la contrainte financière ou les difficultés de la vie quotidienne trop présente à l’esprit quand elles se décident. C’est dans cet esprit que j’ai dit qu’il fallait aboutir à une sorte de salaire maternel qui peut d’ailleurs intéresser le père si c’est le père qui est le gardien de la famille et donc j’ai fait le premier pas à Paris lorsque j’ai institué l’allocation parentale que j’ai généralisée ensuite comme Premier ministre en France et qu’il faut maintenant amplifier. Il faut que les femmes qui veulent travailler soient aidées dans la garde de leur enfant à domicile ou dans des crèches ou halte garderies etc. Il faut que celles qui veulent rester pour élever leurs enfants et faire ainsi le plus beau métier du monde soient reconnue dans leur droit c’est-à-dire aient en quelque sorte un salaire et des droits sociaux c’est cela l’objectif.
Patrick Poivre d’Arvor : C’est finançable ? Ce n’est pas une promesse de Gascon ?
Jacques Chirac : Je l’ai fait à Paris, je l’ai fait en France, j’ai fait les premiers pas, c’est l’objectif à atteindre pas après pas. Et il doit l’être. C’est une nouvelle liberté que les femmes doivent conquérir.
Patrick Poivre d’Arvor : Et puis une nouvelle insertion dans la vie politique parce vous les hommes politiques vos êtres tous responsables quand même.
Jacques Chirac : Ça c’est exact. Et il faut le faire, je l’ai dit, pour une question de rapport de sensibilité.
Patrick Poivre d’Arvor : Vous imaginez une femme premier ministre en France si Jacques Chirac est élu président.
Jacques Chirac : En France sans aucun doute. Dans l’immédiat je ne peux pas répondre à cette question. Les exemples par exemple britanniques nous montrent que cela peut se faire brillamment.
Patrick Poivre d’Arvor : J’imagine qu’il y aura chez vous une certaine fierté à être président de la République si tel doit être le jugement des français le 8 mai et à l’être en 1989 c’est-à-dire pour fêter le bicentenaire de la Révolution Française ? Qu’est-ce que vous souhaitez voir développer dans le monde comme grand message de la France ? Il y a deux siècles c’était liberté, égalité, fraternité.
Jacques Chirac : Fierté ce n’est pas le mot. Je voudrais me sentir porteur d’une grande ambition. Je me sens porteur. La France dans le monde à un grand rôle à jouer. Elle le joue depuis longtemps. C’est celui qui consiste à faire respecter les droits de l’homme, à être au premier rang de ce combat, le droit des peuples, à disposer d’eux-mêmes et surtout de participer activement à l’aide aux pays en développement. C’est-à-dire à lutter contre la famine, la misère tout ce qui aujourd’hui exclut les peuples. Elle doit également être porteuse de tous ces termes de liberté, l’égalité, de fraternité, nous en sommes tous convaincus. Mais il ne faut pas que cela soit seulement un slogan. La liberté, c’est aussi la liberté économique, la fraternité c’est aussi une vraie lutte contre les exclusions mais aussi dans le cadre du respect et de la dignité de chacun des hommes, et l’égalité c’est notamment ce que nous avons dit, c’est davantage de justice sociale. Il faut d’abord produire des richesses. Et c’est ce que les socialistes ne savent pas faire. Il faut ensuite les distribuer de façon plus juste et plus efficace. C’est ainsi que l’on aura un pays rassemblé dans l’effort et non pas uni dans le déclin.
Patrick Poivre d’Arvor : Monsieur le Premier ministre, je vous remercie.