Article de M. Jean Glavany, secrétaire national et porte-parole du PS, dans "Vendredi" du 19 mai 1995, en réponse à la divulgation dans "Le Monde" du 16 mai, d'une note confidentielle, adressée à Henri Emmanuelli, mettant en cause la place de Lionel Jospin au sein du parti après l'élection présidentielle. (Voir les extraits de la note en annexe).

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Média : Vendredi

Texte intégral

19 mai 1995
Vendredi

À toi camarade

"Le Monde", ce grand quotidien du soir qui se veut journal de référence, s'est permis, dans son édition du mardi 16 mai, de titrer quatre colonnes à la une : "La direction du PS cherche à entraver l'ambition rénovatrice de M. Jospin." Sous-titre : "Dans une note interne, le porte-parole du Parti socialiste recommande "d'agir vite" et "de taper fort". Et le début de l'article : "Jean Glavany, le 12 avril, encourageait Henri Emmanuelli à préparer une offensive contre le candidat socialiste"…

Passons sur la méthode : un journal de référence qui se plaignait, il y a peu, des écoutes téléphoniques, se met à faire la poubelle du PS. Passons sur l'élégance du procédé qui consiste à publier sous le titre un dessin d'une rare violence pour notre premier secrétaire le jour du jugement de Saint-Brieuc.

Oui, passons sur tout cela, car je pense aux militants, aux sympathisants, aux électeurs qui ont dû aussitôt s'écrier : "Ils sont fous, à Paris, ils recommencent, ils n'ont rien compris" ou, plus précisément, "II est fou Glavany…" Ils auraient raison. Oui, ils auraient raison si c'était vrai ! Car je veux démentir, très fermement, la présentation truquée, tronquée, qu'a faite "Le Monde" de cette note confidentielle. Non je n'ai jamais proposé au premier secrétaire de lancer une offensive contre Lionel Jospin. Oui, je proposais (et je propose toujours !) que la direction du parti prenne ses responsabilités et engage une très vaste rénovation en profondeur de notre parti, en commençant par le débat d'idées. Et au-delà, je veux que tous les militants, tous les lecteurs de "Vendredi" sachent que la loyauté de toute la direction du parti à l'égard de Lionel Jospin a été totale et que la volonté de rassemblement est unanime.

Pourquoi avons-nous sillonné la France tous les soirs pour tenir des réunions publiques de cinquante, cent ou cinq cents personnes, au point d'en délaisser nos circonscriptions ? Pourquoi avons-nous travaillé jour et nuit pour que "Vendredi" reparaisse pour soutenir la campagne de Lionel ?

Et pourquoi Henri Emmanuelli aurait-il depuis le 7 mai eu cette attitude loyale et pleine de panache vis-à-vis de Lionel Jospin au point de refuser publiquement que son poste soit le moindre obstacle dans cette grande entreprise de rénovation qui nous attend ? Est-ce cela qui dérange ? N'aimerait-on les socialistes que lorsqu'ils se déchirent ?

À toi camarade qui me lis, je voudrais dire une chose simple : faisons-nous confiance, restons unis et refusons ensemble ces manipulations qui ne cherchent qu'à nous affaiblir.

Jean Glavany

 

19 mai 1995
Le Monde

La stratégie du "professeur" Glavany

On en pourra pas dire que la direction du Parti socialiste ne s'était pas préparée à toutes les éventualités. Dans une "note" de six pages, adressée le 12 avril à Henri Emmanuelli, premier secrétaire, Jean Glavany, chargé de la communication au secrétariat national, exposait de façon précise le "dispositif d'après élection présidentielle", qu'il conseillait à la direction du PS de préparer.

Cette stratégie reposait, tout d'abord, sur un "constat" : "Le parti risque d'être soumis, après l'élection, à une nouvelle crise ou, en tout cas, à une nouvelle entreprise de déstabilisation (…) visant à contester une ligne politique, celle de Liévin, qu'on pourrait appeler plus positivement "l'ancrage à gauche", en tentant de s'appuyer sur un nouveau rapport de forces, celui de l'élection présidentielle."

"Agir vite" et "taper fort"

Selon M. Glavany, "il ne faut pas surestimer ce risque", pour trois raisons. Primo, parce que "les municipales vont exercer, en mai et juin, leur effet de glaciation" ; secundo, "parce qu'il eût fallu que le candidat et sa campagne lèvent un souffle qui emporte tout sur son passage (ce qui n'est pas encore le cas à ce jour…), que le parti et son premier secrétaire soient déloyaux ou "reprochables"  (ce qui n'est pas le cas non plus)" ; tertio, "parce qu'il faudrait trouver un homme (ou une femme…) en situation et en légitimité, une explication politique qui tienne la route (la ligne du parti, à l'inverse de la campagne serait-elle trop à gauche ?) et une occasion concrète".

M. Glavany estime toutefois qu'il ne faut pas non plus "sous-estimer" le risque d'une opération de déstabilisation : "Pourquoi voudrait-on que certains ne cherchent pas refaire avril 1993 (la prise de la direction du PS par Michel Rocard) ou juin 1994 (le remplacement de M. Rocard par M. Emmanuelli à la tête du PS) à leur profit ? D'autant que quelque sentiment de revanche traîne çà et là…" Pour parer à toute éventualité, note M. Glavany, "la meilleure défense, c'est l'attaque".

"Il faut donc agir vite (…) et taper fort. (…) C'est dès le soir même des résultats électoraux définitifs que le débat doit être lancé", grâce à la déclaration du premier secrétaire lors de cette soirée électorale, indique-t-il. Il conseille au premier secrétaire de "rendre hommage chaleureusement au candidat, le remercier, le féliciter (loyauté jusqu'au bout !)", puis de "prendre la main", sur le mode : "Il me revient d'entamer, dès ce jour, la reconstruction, la rénovation, la refondation du parti, qui doit, dans les années qui viennent, faire renaître l'espérance à gauche."

Pour lancer ce travail de refondation, M. Glavany propose que M. Emmanuelli ouvre "trois grands débats". Le premier porterait sur le "projet politique". "L'échec de la gauche, écrit-il, est un échec économique et social, c'est la redistribution en panne, les inégalités croissantes. D'où le coup de barre à gauche (…). Confirmer Liévin et reparler à la gauche sans ambiguïté." Deuxième débat : "La stratégie d'alliance : il n'y a pas d'autre solution que la stratégie de rassemblement des forces populaires, mais la société a changé, les partis aussi. Il faut donc une traduction politique aux Assises de la transformation sociale. (Pourquoi pas, là, le contre-gouvernement pour commencer ? À moins que ne se situe, là, le Conseil national de l'opposition ?)" Enfin, "pour ce projet politique, il faut un parti moderne, rénové, refondé".

Une fois le débat ainsi lancé, M. Glavany envisage la manière de le "trancher", non pas à l'occasion d'un congrès, mais lors de "trois grandes conventions" sur les thèmes évoqués. "L'idée est de relégitimer le premier secrétaire", écrit-il. Pour mener à bien cette manœuvre, de grande envergure, il insiste sur la nécessité de mettre la direction du parti "au travail" et d'en faire une "machine efficace". En attendant, et pour remobiliser les énergies, M. Glavany évoque l'idée "formidable" d'une "fête du Parti socialiste autour de François Mitterrand", dont "Julien" (Dray) serait chargé.