Extraits de la déclaration de M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'état aux anciens combattants, en hommage aux victimes de la rafle du Vel'd'Hiv, aux Résistants et sur le devoir de mémoire et de "vigilance", Paris le 19 juillet 1998.

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Circonstance : Commémoration de la Rafle du Vel'd'Hiv les 16 et 17 juillet 1942, à Paris le 19 juillet 1998

Texte intégral

(…) Nous commémorons ce matin la mémoire des victimes des persécutions racistes, antisémites, les crimes contre l'humanité commis sous l'autorité de fait du gouvernement de l'État français. Commémorer, c'est évoquer l'histoire, c'est consacrer, enraciner le devoir de mémoire et c'est également se montrer vigilant vis-à-vis de celles et ceux qui voudraient falsifier, ou pour le moins, oublier cette Histoire. L'Histoire, on vous l'a rappelée, 16-17 juillet 1942 : le gouvernement de Pétain, de Laval prête la main à Hitler, à sa folie criminelle qui vise à exterminer les juifs d'Europe. Ici, en France, à Paris, 4 500 policiers, 900 équipes vont procéder à l'arrestation de plus de 3 000 hommes, de plus de 4 800 femmes et de 4 051 enfants. Cette histoire, vous la connaissez, vous l'avez vécue, vous l'avez côtoyée, elle a marqué votre vie à jamais (…).

Ce rappel historique nous conduit au devoir de mémoire qui est un devoir moral pour rendre hommage aux victimes, qui est un devoir civique parce qu'il faut qu'on réintègre telle quelle cette fraction de notre histoire, dans notre histoire, pour l'assumer avec la lucidité nécessaire. La France l'a fait, la France n'oublie pas, elle n'oubliera pas.

Des événements récents nous en apportent témoignage : le procès Papon, la déclaration des évêques de France, la déclaration des ordres professionnels, la mission confiée au Président Mattéoli. Et le devoir de mémoire appliqué à ces rafles nous conduit à la condamnation sans faille de l'appareil de l'État placé sous l'autorité de Pétain et de Laval qui ont accompli et fait accomplir une tâche indigne. Et il est vrai que la rafle du Vel'd'Hiv n'a pas soulevé une révolte de tout le peuple français mais elle a soulevé beaucoup d'indignation, de protestations et éveillé les consciences. Les consciences des policiers ou des gendarmes déjà, les familles qui se sont ouvertes à d'autres familles, conscience des juges, mais conscience aussi de plein d'anonymes qui sont intervenus parce qu'en effet ils avaient, enracinées au coeur, les valeurs de la République française, le respect de la dignité de l'autre, de l'homme.

Le devoir de mémoire nous conduit donc en cet instant à évoquer à côté de la France grise de la collaboration, la France du refus, la France de la Résistance, la France de la dignité, de l'honneur retrouvé, à rendre hommage à la Résistance extérieure, à la Résistance intérieure qui se sont organisées dès le 18 juin 40 autour du général de Gaulle, à Londres. Mais rendre hommage à toutes ces femmes, à tous ces hommes qui ont organisé, développé, enraciné ici en France les réseaux et les maquis, rendre hommage aux évadés, aux passeurs, aux insoumis, aux réfractaires, à toutes celles et à tous ceux qui ont combattu l'occupant et la barbarie nazie pour que la France, au moment de sa libération, participe elle-même à cette libération sur son propre sol et soit aux côtés des alliés le 8 mai 1945 à Berlin, pour continuer de porter son témoignage universel organisé autour des valeurs de la République.

Le devoir de mémoire s'exprime dans les lieux de mémoire comme ce matin mais le devoir de mémoire doit être fortifié par une exigence de justice qui est une exigence de la République. Il s'agit bien en effet de sanctionner les crimes racistes, antisémites, les crimes contre l'humanité. Des procès ont eu lieu, d'autres sont en cours, d'autres sort à faire : je pense ici à Aloïs Brunner, commandant du camp de Drancy en juin 1943, et qui envoya à la mort 26 000 juifs de France.


Vous comprenez alors que le devoir de mémoire est l'élément d'une politique plus large que l'on peut désigner sous « devoir de vigilance ». Le devoir de vigilance s'organise autour des valeurs de la République française pour la dignité de l'homme, pour ses droits universels. La liberté, l'égalité, la fraternité, ce ne sont pas seulement trois mots placés comme ça, l'un à côté de l'autre. La liberté, l'égalité, la fraternité, sur les frontons de nos mairies, sur les bâtiments publics, portent en nous ? tous et toutes citoyens de ce pays ? une exigence pour l'action quotidienne, dans l'exercice de nos responsabilités, car c'est ainsi que nous serons porteurs de la fidélité, de la tradition aux valeurs de cette République (…).

Mais plus que les autres, la commémoration de la rafle du Vel'd'Hiv nous invite à être, sans répit, en éveil. Une vigilance nécessaire aujourd'hui pour lutter contre la montée du racisme, de la xénophobie, de l'antisémitisme, de la peur des autres, de la recherche du bouc émissaire qui se nourrit des difficultés sociales qu'il nous faut en effet combattre pur rétablir la cohésion sociale. Cet ensemble de valeurs, qu'a inspirées la Résistance française, notamment dans son Conseil national de la Résistance.

Vigilance contre les débats complaisants, inutiles, dangereux comme celui sur la préférence nationale. Il n'y a pas lieu de débattre sur ce thème si l'on croit vraiment que les hommes naissent libres et égaux en droits et si à l'égalité de devoir correspond l'égalité de droits. Le rappel de l'histoire, le devoir de mémoire, la nécessaire vigilance, doivent inspirer et guider notre combat quotidien au service des valeurs de la République. Car c'est ainsi que nous rendrons le mieux justice à la mémoire de celles et ceux que nous honorons ce matin. Je vous remercie.