Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, dans "Le Nouvel Observateur" du 22 octobre 1998, sur l'alliance des Verts et des socialistes allemands, les relations entre les Verts et le PS dans la perspective des européennes, et le choix de Daniel Cohn-Bendit comme tête de liste des Verts.

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Média : Le Nouvel Observateur

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Le Nouvel Observateur. – Les Verts viennent d'obtenir en Allemagne plusieurs portefeuilles ministériels, dont celui des Affaires étrangères. Cela ne fait-il pas rêver l'unique ministre écologiste du gouvernement Jospin ?

Dominique Voynet. – Je suis très heureuse qu'on cesse de considérer les Verts comme de gentils marginaux tout juste bons à s'occuper d'environnement. Les préjugés tombent. Hier, c'était en France quand on m'a confié le ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement. Aujourd'hui, c'est en Allemagne. C'est un mouvement qui ne s'arrêtera pas.

N. O. – Souhaitez-vous un accroissement du quota écologiste dans l'équipe Jospin ?

D. Voynet. – Personne n'ignore qu'au moment de la constitution de ce gouvernement, en juin 1997, j'avais souhaité qu'un autre écologiste se voie confier des responsabilités ministérielles, de préférence dans le champ social. Cela n'a pas pu se faire. Mais je sais aussi, pour en avoir reparlé avec Lionel Jospin, qu'il n'est fermé à aucune proposition. De ce point de vue, c'est vrai, ce qui se passe en Allemagne ne peut que nous aider.

N. O. – Le contenu de l'accord programmatique passé entre les Verts et les socialistes allemands vous paraît-il positif ?

D. Voynet. – Cet accord n'est pas encore totalement bouclé à l'heure où je vous parle. Mais nous nous téléphonons beaucoup en ce moment. Je sais que mes camarades allemands se servent de notre expérience, et qu'en France nous pourrons nous appuyer sur leurs acquis. Sur la politique nucléaire, sur la fiscalité écologiste, sur la réorientation de la construction européenne, il y a en Allemagne des avancées qui légitiment notre discours et qui renforcent notre détermination. Ces convergences ne me surprennent pas. Elles pourraient d'ailleurs se manifester au sein du Parlement européen qui sera élu en juin, pour sortir cette assemblée du consensus mollasson entre sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens.

N. O. – A la lumière de ce qui se passe en ce moment en Allemagne, et demain peut-être en Europe, souhaitez-vous redéfinir le rôle des Verts au sein de la majorité ?

D. Voynet. – le problème ne se pose pas comme ça. Les Verts ont choisi de participer au gouvernement de la majorité plurielle. Ils ne regrettent pas ce choix. Bien au contraire. Voilà pour le cadre institutionnel et politique. A Partir de là, tout reste à faire et à inventer. Les Verts sont en train d'achever une phase d'apprentissage qui leur était indispensable. On apprend comment se gère un ministère. On vérifie qu'un ministre ne peut pas tout faire, tout seul. On expérimente l'articulation entre action ministérielle et mouvement social. Ces questions étaient nouvelles. Nous avons appris à y répondre. Plutôt bien, me semble-t-il.

N. O. – Autant vous avez l'air à l'aise dans le gouvernement, autant vos députés ont du mal à trouver leur place dans le dispositif de la gauche plurielle. Cela vous inquiète-t-il ?

D. Voynet. – Il y a un débat au sein du gouvernement. Il n'y en a pas assez à l'Assemblée ni entre les partis de la majorité. J'ai dit à plusieurs reprises à François Hollande qu'il fallait mettre en place au plus vite une structure de coordination des partis qui composent la majorité plurielle. Nos partis vont se réunir pour confronter leurs positions sur l'Europe avant le scrutin de juin prochain. Tant mieux. Mais ne nous contentons pas de cette initiative. Sinon viendra le temps de l'aigreur et des frustrations, que je sens avec regret poindre à l'Assemblée.

N. O. – Qui en est responsable ?

D. Voynet. – L'hétérogénéité de tous les groupes de la majorité ne facilite pas le travail commun. Et puis parfois, hélas, réapparaissent les vieux réflexes hégémoniques du groupe socialiste.

N. O. – Visiblement, vous n'avez toujours pas digéré la proposition de loi sur la chasse votée par les socialistes !

D. Voynet. – La loi du plus fort n'est pas toujours la meilleure. Quand Lionel Jospin s'est aperçu que ses partenaires étaient tous hostiles à la réforme du mode de scrutin pour les européennes, il a eu l'intelligence et l'habileté de retirer son projet. Sur la chasse, le même état d'esprit devrait présider à la rédaction d'une nouvelle proposition de loi, commune au PS et aux Verts, et surtout respectueuse des directives européennes.

N.O. – La concurrence entre les différentes listes de la gauche plurielle, à l'occasion des élections européennes, ne risque-t-elle pas de détériorer le climat au sein de la majorité ?

D. Voynet. – Cette émulation me paraît normale et saine. D'autant qu'il y a entre nous de vraies nuances sur la question de l'Europe. Je souhaite bien sûr que les Verts fassent un bon score. Mais je me réjouirais aussi d'un bon résultat du PS et du PC. Nous jouons tous dans la même équipe, et notre réussite ne peut être que collective. Ce qui est en jeu, c'est à la fois la stabilité de la majorité et la construction de l'Europe plus sociale et plus démocratique. A côté de cela, les intérêts de boutique des uns et des autres sont secondaires. A défaut d'être négligeables !

N. O. – La concurrence de a gauche rouge ne vous inquiète-t-elle pas ?

D. Voynet. – En s'alliant avec Arlette Laguiller, Alain Krivine ne fait pas un choix d'avenir. Mais je ne le considère pas comme un adversaire politique. Les forces qu'il représente nous critiquent souvent, mais je sais qu'elles ne souhaitent pas notre échec.

N. O. – On a le sentiment que vous avez sous-traité votre campagne européenne à Daniel Cohn-Bendit. Faute de mieux ?

D. Voynet. – Votre question est rude, mais elle n'est pas fausse. Je m'explique : les Verts refusent le cumul. Je suis ministre. Marie-Christine Blandin a fait le choix de la région. Nos principaux leaders sont députés, et il est important que Jean-Luc Bennahmias continue de s'occuper du mouvement. De plus, Daniel Cohn-Bendit était partant. Il a su nous faire partager son désir et son enthousiasme. Il symbolise l'Europe que nous aimons. Pourquoi bouder notre plaisir ?

N. O. – Peut-être parce que sa vision de la construction européenne n'est pas tout à fait la vôtre !

D. Voynet. – Daniel Cohn-Bendit a une vision de l'Europe que je trouve un peu trop optimiste. Mais c'est le cas de beaucoup d'Allemands, qui craignent le retour des vieux démons. Dans un premier temps, ça agace. Et puis on discute, et, sans renier le passé, chacun apprend à affiner et à préciser ses positions.

N. O. – Ne craignez-vous pas que Daniel Cohn-Bendit défende davantage ses idées que celles des Verts ?

D. Voynet. – C'était un risque. C'est pour cela que je lui ai conseillé de ne pas jouer trop « perso ». Quand il a fait des déclarations qui semblaient mettre en concurrence les Verts et le PC, je n'ai pas trouvé cela très opportun et le lui ai dit. Mais ce sont de petits réglages sans conséquence. Daniel Cohn-Bendit conduira une liste verte. La campagne sera dirigée par une équipe présidée par le secrétaire général de notre mouvement. Il n'y aura pas d'un côté le jeu des médias et de l'autre le poids du parti. Daniel Cohn-Bendit est allé ces dernières semaines au-devant des militants. Il a appris à mieux les connaître. Ceux qui dans nos rangs pouvaient avoir encore des craintes ont été rassurés. Moi, en tout cas, le pars confiante, et le m'engagerai pleinement dans cette campagne.