Texte intégral
Q - La France est favorable au jugement du général Pinochet. Mais n'est-ce pas étrange, tout de même, que l'Europe juge un homme que les Chiliens eux-mêmes ne veulent pas juger ?
– « Ce n'est pas l'Europe, d'abord. C'est vrai que, dès le premier moment, le Premier ministre a réagi en disant que, quand on avait en mémoire le coup d'Etat qui a eu lieu au Chili en 1973, et la dureté de la répression qui s'en est suivie, on ne pouvait pas ne pas ressentir un mouvement de joie, en pensant que c'était juste, tout simplement, dans la lutte contre l'impunité. »
Q - Oui, mais les Chiliens disent : attention, c'est dangereux pour nous !
– « Oui, mais ce n'est pas l'Europe. Une fois que j'ai dit cela, il faut ajouter qu'il s'agit de l'initiative espagnole, et que les gouvernements espagnols et britanniques, pour le moment, disent bien que c'est un problème policier et judiciaire stricto sensu. »
Q - Mais enfin, on est favorable quand même !
– « Ce n'est pas l'Europe qui est en train de juger quelqu'un que les Chiliens veulent traiter autrement. Et c'est vrai qu'il y a un débat au Chili, oui. »
Q - Donc, il y a une complication !
– « Oui, mais cela n'empêche pas d'avoir une position de principe dans le cadre de la lutte contre l'impunité, comme on l'a montré, en juin dernier, quand nous avons été très actifs à Rome pour qu'il y ait une Cour pénale internationale, précisément, pour juger les crimes particulièrement importants. »
Q - La France s'est bien débrouillée en refusant un visa au général Pinochet, comme cela, elle n'a pas eu à se mouiller !
– « Non, pas du tout, ce n'est pas du tout comme cela que cela s'est passé. Simplement, la France n'a pas trouvé opportun, n'avait pas de raison de donner ce visa. Personne ne s'attendait à la suite. Donc, ce n'était pas du tout pour anticiper sur cette situation ou pour y échapper. Ce n'est pas du tout comme cela que cela s'est présenté. La France n'était pas libre de donner ce visa, elle n'avait pas de raison de le donner. »
Q - Hier soir, vous avez reçu la visite de M. Holbrooke, qui est l'envoyé spécial américain au Kosovo, qui essaye d'arranger les choses. Cela ne s'arrange pas vraiment !
– « Nous sommes dans une phase très difficile, et il était prévisible qu'elle le soit, après les engagements qui ont été arrachés par R. Holbrooke au Président Milosevic. R. Holbrooke – vous avez dit émissaire américain –, il agit en tant qu'envoyé du Groupe de contact. Un des éléments de la situation, c'est que les six pays du Groupe de contact, les cinq pays du Conseil de sécurité, une trentaine de pays d'Europe sont unanimes sur la solution qu'il faut essayer d'imposer au Kosovo – d'abord au Président Milosevic, mais aussi à certains Albanais du Kosovo, qui la contestent. C'est vrai que c'est difficile, on le sait. Et là, on est dans la phase la plus dure, maintenant. »
Q - M. Milosevic applique l'accord ?
– « Il est, comme le dit le Pentagone, "en voie d'être grandement appliqué", pas complètement, mais les retraits, notamment de forces, sont très avancés. Mais cela ne suffit pas. On est en train de travailler pour la suite. »
Q - Donc l'ultimatum sera respecté ?
– « La menace reste, la menace de l'Otan reste, mais il faut monter la mission de vérification au sol de l'OSCE, le système de contrôle aérien par l'Otan, un système depuis la Macédoine pour sécuriser la force de vérification de l'OSCE, poursuivre les négociations politiques, préciser le calendrier des élections qui ont été promises pour le Kosovo, mener l'action humanitaire que nous ne pouvions pas mener avant, puisqu'il y avait un obstacle de différentes autorités. Et nous sommes dans cette phase. Mais c'était prévisible que ce soit extrêmement compliqué. Nous y sommes, et c'est pour cela que R. Holbrooke est venu hier soir à Paris, et nous avons dîné ensemble. Il est venu parce que j'ai présidé la dernière réunion du Groupe de contact. Donc, selon nos usages, je le préside jusqu'à la prochaine réunion. Il est venu me dire ou on en est. Mais nous savons très bien que les marges de manoeuvre ne sont pas plus grandes que ce à quoi nous nous attendions. »
Q - De toute manière, il s'agit d'une mission de vérification pour l'avenir. Mais est-ce que, contre notre volonté, nous ne risquons pas d'être entraînés dans des opérations militaires, parce que dès que les Serbes se retirent, les indépendantistes albanais reprennent l'offensive ?
– « Oui, mais il y a des risques dans tous les sujets, dans tous les conflits dans le monde. Il y a des risques partout ! Il s'agit de savoir ce que l'on veut. Et nous ne voulons pas laisser cette poudrière, cette bombe à retardement du Kosovo. Nous sommes mobilisés depuis des mois, depuis sept mois, notamment dans le Groupe de contact pour arracher une solution qui tienne la route. Il ne faut pas lâcher maintenant. Il ne faut pas lâcher sous prétexte qu'on s'aperçoit qu'il y a des difficultés – il faut les résoudre. La question que vous posez; on va la résoudre en ayant un système de protection et de sécurisation autour du Kosovo. Ce n'est pas très grand, le Kosovo, donc, autour, c'est soit les forces qui sont déjà en Bosnie, qui ne sont pas loin, soit des forces que l'on installera en Macédoine. Nous sommes en train de travailler. En ce moment même, on travaille, dans le Conseil de sécurité, dans le Groupe de contact, à l'Otan, à l'OSCE... »
Q - À l'intérieur même du Kosovo, la pacification n'est pas acquise !
– « Il y a un accord. Le Président Milosevic s'est engagé. On est donc, toutes proportions gardées, comme après les accords de Dayton pour la Bosnie, et pas comme avant. Il y a des engagements précis de faire respecter les retraits des militaires et des forces spéciales et de faire respecter la sécurité de la force de vérification, et c'est pour cela que les différents émissaires ou négociateurs parlent aussi aux Albanais du Kosovo, à M. Rugova. »
Q - Quand il n'y a plus de Serbes, les indépendantistes reprennent l'offensive !
– « Il y a aussi M. Rugova, qui était le leader désigné par les Albanais du Kosovo qui, lui, naturellement espère l'indépendance. Mais il est pour des moyens pacifiques. »
Q - On n'est pas sorti de l'auberge, quand même !
– « On le sait bien. Si c'était facile, cela serait réglé depuis longtemps. On n'aurait pas besoin d'une mobilisation de la terre entière pour essayer d'arracher une solution qui tienne la route. »
Q - On ne va pas se trouver, malgré nous, dans des opérations militaires ? Vous croyez que c'était évitable ?
– « Je crois que si l'on ne traite pas la question du Kosovo, de fil en aiguille, elle va finir par réembraser l'ensemble de la région des Balkans, et on sera obligé de s'en occuper après, dans des conditions encore pires. Donc, il faut traiter maintenant le mieux possible. Et nous avons, enfin, une voie pour une solution. Donc, il faut tenir. II faut être très vigilant, très exigeant. Il faut avoir une présence sur le terrain qui va changer complètement le climat et l'attitude des indépendantistes petit à petit ; cela va redonner la main à M. Rugova. Donc, il y a un changement, une dynamique dans cette situation. Il faut tenir bon maintenant. »
Q - Et courir le risque de l'engagement militaire ?
– « Ce n'est pas un engagement militaire parce que c'est une force civile, la vérification. »
Q - Je parle du risque de l'engrenage.
– « On n'est pas dans cet engrenage au terme de l'accord. Il faut avoir une force de vérification. Il faut assurer le mieux possible sa sécurité, mais il s'agit de choisir entre différents risques tout le temps. Et nous ne pouvons pas, en tant que France, avec le rôle que nous jouons dans le monde et en Europe, laisser cet abcès de fixation s'envenimer encore, et mettre en péril toute la région des Balkans. C'est pourquoi que nous agissons en amont. Vous pensez bien que les Américains, les Anglais, les Allemands, les Russes même, qui sont associés à tout cela, se posent les mêmes questions. Simplement nous exerçons nos responsabilités. Nous devons traiter ce conflit avant que les choses ne soient pires. »
Q - Autre conflit, celui du Proche Orient. Malgré l'engagement personnel du Président Clinton, depuis six jours, Israéliens et Palestiniens ne parviennent pas à se mettre d'accord. Qui bloque dans cette affaire ? Les Palestiniens on les Israéliens ?
– « Il faudrait être dans les négociations pour le dire. On veut espérer qu'un accord reste possible. Ce que je sais, c'est qu'au terme des accords d'Oslo qui avaient été passés – mais à l'époque de l'ancien gouvernement israélien – l'armée israélienne aurait dû évacuer, aujourd'hui, entre 30 et 40 % de la Cisjordanie. Aujourd'hui, les discussions portent simplement sur un retrait de 13 % – parce qu'évidemment, il y a un gouvernement israélien qui a une politique tout à fait différente et qui réagit aux engagements pris par le gouvernement précédent. Et c'est sur ces 13 % – et les conditions de ces 13 %, et ce qui doit être fait en parallèle – que la discussion s'éternise. Ce que je vois c'est que les Etats-Unis se sont engagés, vraiment, avec beaucoup d'opiniâtreté. Et je salue les efforts qui ont été faits pendant des mois et des mois, par Mme Albright et maintenant par le Président Clinton. Il me semble que les Palestiniens ont accepté à peu près toutes les demandes supplémentaires, par rapport aux accords d'Oslo, qui ont été mises en avant, notamment en matière de sécurité. Mais les attentats terroristes qui ont lieu périodiquement ont lieu autant contre la politique de Y. Arafat que contre le gouvernement israélien. »
Q - Donc, c'est plutôt les Israéliens qui bloquent ?
– « Je ne connais pas le détail des négociations, mais par rapport aux positions publiques, c'est plutôt le gouvernement israélien qui met en avant des exigences
supplémentaires. Encore une fois, je ne connais pas le détail des négociations. Je veux espérer qu'un accord reste possible, naturellement. Il faut absolument que le processus de paix soit relancé. »