Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Libération" le 28 novembre 1998, sur la fusion des composantes de l'UDF, la place de l'UDF au sein de l'Alliance et sa stratégie pour préparer les élections européennes de 1999.

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Q - Vous vous réjouissez d'avoir réussi à fusionner l'UDF, mais, en l'absence de Démocratie libérale de Madelin, qui était le parti le plus important de la confédération, ne s'agit-il pas en fait d'une fusion au rabais ?

- « La France a besoin d'une formation politique centrale et d'une vision politique nouvelle. Voilà l'essentiel. Certains croient à la droite toujours plus à droite et à l'ultralibéralisme, c'est leur choix. Nous croyons au contraire qu'il faut un projet rassembleur. Après la multiplication des alternances, les promesses déçues d'un bord et de l'autre, le dogmatisme et la polémique ont montré leurs limites. En réalité, il faut désormais concilier dans un projet nouveau des valeurs autrefois opposées. L'efficacité, l'autorité, l'ordre, sont des valeurs de droite, elles sont nécessaires. La justice sociale est dite de gauche : elle est indispensable. Quant au libéralisme, il est partout. Strauss-Kahn est-il beaucoup moins libéral que Madelin ? Ce n'est plus un discriminant. Le projet nouveau, c'est celui qui permettra de relier dans une vision de l'avenir ces valeurs désormais complémentaires. Tous les courants de pensée de l'UDF nouvelle partagent cette vision, et cette cohérence a rendu possible notre unification. »

Q - L'opposition est divisée en trois : RPR, DL et UDF. Qu'est-ce qui vous distingue des deux autres partis de droite ?

- « Pour résoudre les problèmes, le RPR, traditionnellement, croit à l'État. DL croit au marché. Nous croyons d'abord à une renaissance de la société, des communautés de base, reconnues comme indispensables dans le grand projet européen. »

Q - Ce n'est pas très original comme credo…

- « Notre idée de la démocratie n'a jamais été mise en pratique, par personne. Nous l'appelons démocratie de participation. La valeur principale en est la responsabilité. Il s'agit d'un déplacement du pouvoir au plus près du terrain pour que chacun soit valorisé dans son expérience, dans sa vie familiale, professionnelle ou associative. L'État ne peut pas résoudre les problèmes des gens à leur place. Un nouvel équilibre des pouvoirs est donc nécessaire, où l'Europe sera en situation de puissance et les pouvoirs locaux simplifiés. L'État-nation à la française retrouvant ses véritables missions : la justice, l'égalité des chances par l'éducation et la définition des grands choix nationaux. »

Q - Démocratie libérale semble se rapprocher de plus en plus du RPR. Ne craignez-vous pas d'être marginalisé au sein de l'Alliance ?

- « Quels que soient les jeux que l'on prête aux uns et aux autres, l'opposition a besoin de deux pôles, l'un plus à droite, que ce soit une variante nationale ou très libérale, l'autre plus social et plus européen, qui rassemble les modérés et le centre. A chacun de se situer. »

Q - Vous parlez de deux grands pôles, mais l'un est beaucoup plus important que l'autre, et celui que vous représentez a pris du plomb dans l'aile…

- « Les difficultés, c'est la vie. Ce sont autant d'occasions de rebondir, d'affirmer ses convictions. Nous construisons une famille enfin unifiée, et il y a vingt ans qu'on le rêvait sans pouvoir le faire. Partout dans le monde, ceux qui gagnent ce sont ceux qui savent proposer un projet de rassemblement au centre. Regardez aux États-Unis : les vainqueurs n'ont été ni les démocrates ni les républicains, mais, État par État, les républicains du centre, comme les frères Bush, et les démocrates du centre, comme les amis de Clinton, Schröder et Blair ont gagné, en Allemagne et en Angleterre, en s'installant au centre. Et Aznar, en Espagne, s'est défini comme le centre. Les opinions ne veulent plus des discours simplistes et réducteurs. Il y a une aspiration profonde au positif, à la concorde. »

Q - Vous avez l'air persuadé que l'avenir vous donnera raison. Mais pour l'instant, vous êtes en grande difficulté. On le voit pour les élections européennes, où vous hésitez à choisir entre vous ranger derrière un RPR comme Philippe Séguin ou faire une liste séparée…

- « L'Europe, ce n'est pas un sujet second, qui servirait seulement de prétexte à une compétition électorale de politique intérieure. C'est le grand sujet de l'avenir. Est-ce que l'euro achève l'Europe ? Nous pensons, nous, que l'euro commence l'Europe. Qu'à partir de lui, toute l'Europe politique est à construire. Qui veut, qui souhaite, qui peut porter un tel projet ? C'est la seule question. »

Q - Dans tous les cas de figure, vous semblez perdants. En vous rangeant derrière le RPR, vous renoncez à votre rôle de leader sur les questions européennes. En partants seuls, vous prenez le risque d'obtenir un score dérisoire…

- « Sans risque, il n'y a pas de vie. La véritable question, c'est de savoir ce que nous avons à défendre, et si d'autres l'acceptent ou non. Les mouvements politiques qui renoncent à leurs convictions sont condamnés à disparaître. »

Q - Vous qui prônez le renouvellement de la classe politique, n'est-ce pas ringard de promouvoir la candidature de l'ancien président de la République Valéry Giscard d'Estaing comme tête de liste de l'opposition ? Vous vous étiez vous-même opposé à ce qu'il conduise la liste de la droite 1989…

- « Aujourd'hui, une liste européenne a besoin d'une personnalité d'autorité européenne indiscutable, qui ait la pugnacité de s'imposer dans le débat et qui soit un rassembleur. VGE est le plus grand européen de la vie politique française actuelle. Il s'impose à tous par son expérience et sa vision. Si l'on veut vraiment rassembler, pourquoi le récuserait-on ? »