Interview de M. Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts pour les élections européennes de 1999, à RTL le 25 novembre 1998, sur la régularisation des sans-papiers, notamment la position des Verts sur la circulaire Chevènement et la stratégie des Verts au sein de la majorité plurielle dans le cadre de la préparation des élections européennes.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Pour votre retour sur la scène politique française, vous avez provoqué un beau tohu-bohu : vous êtes surpris de l'effet produit ?

– « Un peu, mais enfin, ben, c'est la loi du genre. »

Q - Ou satisfait ?

– « C'est-à-dire que si j'arrive à faire un peu avancer sur des dossiers complexes, je suis satisfait. Quand on se présente à des élections il faut s'insérer dans le paysage politique. »

Q - Quand vous entendez D. Voynet se faire taper sur les doigts, vous n'avez pas de regret ?

– « De quoi ? »

Q - De l'avoir poussé à dire des choses qu'en tant que ministre elle n'aurait peut-être pas dû dire.

– « Non, non attention, la position que je défends est la position des Verts et c'est la position de D. Voynet. Donc, je n'ai poussé personne. D. Voynet a toujours dit, en fait, ce qu'elle a dit et donc il n'y a pas de problèmes de ce côté-là. »

Q - Il n'y a pas de contravention à la solidarité gouvernementale pour vous ?

– « Ecoutez, la gauche plurielle ou la majorité plurielle c'est une majorité plurielle, donc effectivement il faut trouver une manière ouverte d'affirmer ses positions communes et d'affirmer ses différences. Par exemple, sur le débat sur l'Europe : vous avez le MDC qui vote contre la réforme de la Constitution. Donc vous avez effectivement une majorité plurielle avec un tronc commun et des différences. »

Q - Mais vous croyez qu'un gouvernement peut tenir comme cela avec des lois qui sont votées à son instigation et puis des ministres qui critiquent les lois votées ?

– « Attention, la ministre n'a pas critiqué la loi sur l'immigration. Elle a critiqué une circulaire, c'est-à-dire une adaptation après loi. Au début, tout le monde était d'accord avec la circulaire Chevènement, puis on s'est aperçu en naviguant dans le brouillard, qu'elle ne fonctionne pas. On a quand même le droit, à partir du moment où une circulaire ne fonctionne pas, de reposer les problèmes de cette circulaire. Et je crois que ce n'est pas tailler en pièces la solidarité gouvernementale que d'essayer de réajuster une politique qui, visiblement, sur ce point-là seulement, pas sur toute la politique de l'immigration mais sur ce point-là, elle ne fonctionne pas. »

Q - Alors vous avez entendu L. Jospin, hier, dire : il n'y a pas de bonne intégration sans maîtrise des flux.

– « Cela, il le sait très bien, je ne le nie pas. D'ailleurs je sors un livre... »

Q - Vous êtes d'accord avec cela.

– « Je sors un livre en ce moment qui s'appelle Xénophobie ou je le dis : j'ai été huit ans adjoint au maire de la ville de Francfort, responsable de l'immigration. Je ne nie pas qu'effectivement il faut qu'il y ait une maîtrise des flux migratoires. Donc, je ne suis pas pour les frontières ouvertes. Je dis que le problème des sans-papiers, c'est un problème résultat du changement de politique avec la majorité plurielle et des restes de la fausse politique des lois Pasqua-Debré. Donc, on ne remet pas en cause la politique globale qui a été votée par le changement de politique, on remet en cause la gestion du reste. Il faut qu'on soit clair parce qu'on prétend toujours que, par exemple, la régularisation, cela fait un appel d'air pour l'émigration, ce n'est pas vrai. »

Q - Oui, justement c'est ce que j'allais vous dire. L'exemple Italien : l'Italie a voulu se lancer dans une régularisation massive et on voit beaucoup d'immigrés affluer vers l'Italie.

– « Cela s'est passé exactement de la même manière avant la circulaire Chevènement. La différence de l'Italie et de la France, c'est qu'aujourd'hui nous avons des clandestins qui ont fait une demande il y a un an. Donc plus personne ne peut venir pour faire une demande puisque ce sont des dossiers déjà déposés. »

Q - Vous ne croyez pas qu'ils vont venir s'ils sentent qu'en France ils peuvent être régularisés ?

– « Non, puisqu'on dit que ne peuvent être régularisés que ceux qui ont fait une demande il y a un an. Le problème de l'Italie c'est qu'elle demande, en ce moment, de déposer des dossiers. Mais les Américains font toujours ça aussi : ils ont fait une loi très dure de blocage de l'émigration il y a deux ans et ils ont régularisé un million de personnes. Ce n'est pas en contradiction. »

Q - Quand L. Jospin a dit : « irresponsable » vous vous êtes senti visés ?

– « Non. »

Q - Pas du tout ?

– « Je le répète j'ai été adjoint au maire et responsable de l'immigration. Je crois que j'ai fait une politique qui a même été reconnue comme étant une bonne politique par la droite. »

Q - Est-ce que vous n'avez pas été saisi par l'envie de titiller L. Jospin ? Vous savez qu'il a horreur qu'on lui parle des présidentielles ; vous, comme cela, au Congrès des Verts : ben, je vais lui parler des présidentielles !

– « Moi, je suis absolument pour, je le répète, que L. Jospin devienne le prochain Président de la République, donc je veux une mobilisation des forces capable de lui donner la majorité et il faut que toute la majorité plurielle se reconnaisse dans cette politique et c'est pour cela que je demande qu'il y ait un infléchissement sur la politique de sans-papiers, pas la politique globale sur l'immigration. »

Q - Une autre chose qui a étonné à ce Congrès des Verts, c'est que vous êtes tête de liste pour les élections européennes et vous n'avez pas dit un mot de l'Europe !

– « Vous êtes vraiment tous très drôles. D'un côté on me dit : vous partez trop tôt et d'un autre côté vous me dites, mais vous n'avez pas parlé de l'Europe. Par exemple, j'ai été, hier, à un Congrès organisé par une association de syndicalistes, on parle toute la journée de l'Europe. Je suis en train, avec les Verts, on est en train de développer notre programme. Je fais des tas de réunions ou je parle de l'Europe mais il est évident, aujourd'hui, si vous me posez des questions sur la réforme de la Constitution, je vous parlerai de l'Europe et je vous dirai que je suis pour la réforme de la Constitution, un passage de souveraineté à l'Europe sur justement l'immigration, le droit d'asile etc. »

Q - Et pour la ratification d'Amsterdam?

– « Moi, j'ai voté non au Parlement européen pour une chose très claire. Tout le monde est d'accord pour dire que c'est un mauvais traité, tout le monde est d'accord pour dire que l'Allemagne a bloqué les réformes nécessaires de l'Europe avec le traité d'Amsterdam : on ne peut pas élargir On ne peut pas parce que l'Europe ne fonctionnerait pas. Donc, je crois qu'on perd son temps avec le traité d'Amsterdam : tout le monde sait qu'il faut un nouveau traité. Et c'est pour cela que je dis que le traité d'Amsterdam est un mauvais traité. Donc ne perdons pas le temps sur Amsterdam. La chose sûre est que si on veut élargir – et il faut élargir l'Europe, à la Pologne, à la Tchéquie et à la Hongrie – il faut un nouveau traité et ce avant l'élargissement. »

Q - Alors tout de même, vous avez démarré fort : vous avez dit « je veux être devant le parti communiste » et après vous avez cessé de parler de cela parce que cela fâchait un peu. Ensuite, les sans-papiers – on vient d'en parler. Vous avez dit un mot aussi des déserteurs. Vous ne vous dites pas : il faut quand même que je me calme un peu parce que sinon… ?

– « Il y en a qui pense qu'il faut que je me calme, moi, je ne suis pas énervé donc je n'ai pas besoin de me calmer. Quand on fait de la politique, on parle des sujets d'actualité. Le problème effectivement de la reconnaissance de la mutinerie de la première guerre mondiale est quelque chose de très bien et j'ai posé des problèmes... la France, comme l'Allemagne, comme beaucoup de pays, doivent regarder leur histoire. »

Q - La dernière fois que vous vous êtes lancé dans une opération politique importante en France – il y a 30 ans – cela c'est terminé par une victoire massive de la droite. Vous n'avez pas d'appréhension ?

– « Là, c'est vraiment un court-circuit RTL de l'histoire ! Cela c'est terminé quand même par des réformes extraordinaires de la société française. Il y a eu une conjoncture politique qui était quand même qu'à l'époque le parti le plus fort à gauche était le parti communiste qui était un parti stalinien, un parti du goulag et que les gens ont eu peur qu'en votant à gauche, ils donnent une majorité au parti communiste. Donc c'était conjoncturel. »

Q - Aujourd'hui, vive la liberté !

– « Moi, déjà à l'époque – puisque j'étais quand même l'ennemi numéro un du parti communiste et de la droite. Donc vous voyez que là il n'y a pas beaucoup de problèmes de ce côté-là. Non, le parti communiste a changé, fondamentalement, il est à sa place dans la majorité plurielle. »