Déclaration de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation, sur les objectifs de la politique céréalière dans le cadre de la politique agricole commune, Reims le 23 juin 1995.

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Intervenant(s) : 
  • Philippe Vasseur - Ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation

Circonstance : Congrès de l'Association générale des producteurs de blé, Reims le 23 juin 1995

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

L'assemblée générale de votre association est, je le sais, le grand rendez-vous annuel de la céréaliculture française. Aussi, monsieur le Président, sous aucun prétexte je n'aurais voulu manquer cette rencontre.

Elle prend aujourd'hui un relief tout particulier à l'issue d'un conseil des Ministres de l'agriculture d'un caractère exceptionnel : Il termine la présidence française sur un succès ; et il a permis de résoudre des dossiers importants et délicats qui constituaient des enjeux majeurs, pour la France bien sûr mais aussi pour la cohésion de l'Europe agricole.

J'aurai l'occasion de développer avec vous les éléments qui, je le sais, sont au centre de vos préoccupations.

Mais au delà de cette actualité, Monsieur le Président, vous m'offrez avec cette tribune, non seulement le contact que je recherche avec les producteurs, mais surtout l'occasion de réfléchir avec vous aux orientations et aux perspectives qui doivent guider notre action commune dans ce secteur phare de notre agriculture.

Le Gouvernement a, vous le savez, de grandes ambitions pour l'agriculture française. Je veux ici les rappeler.

Oui, l'agriculture est un grand atout pour notre pays. Et pour l'Europe également.

Un atout français : notre pays est le premier exportateur mondial de produits transformés et le second exportateur de produits agricoles en l'état.

Un atout européen : l'agriculture française est la première agriculture de l'Union et fonde sa vocation exportatrice.

C'est aussi un secteur économique, dynamique, performant. C'est une richesse pour tous les Français et un point d'ancrage fort du projet gouvernemental en faveur de la croissance.

Afin que notre agriculture garde toute sa place, le gouvernement entend avoir une approche offensive du devenir de la Politique Agricole Commune.

Les instruments communautaires qui ont assuré à l'agriculture le succès que nous connaissons doivent être maintenus. Ceci n'exclut pas bien sûr que l'on puisse procéder à des adaptations ou des ajustements.

Mais le cadre de son développement, celui fixé par la réforme de la PAC et par la nouvelle Organisation Mondiale du Commerce, doit rester stable. C'est dans ces conditions que la compétitivité des filières doit être développée pour atteindre nos ambitieux objectifs.

Au niveau international, à l'Est en particulier, des élargissements se dessinent. Ils sont inéluctables. Je sais qu'il y a des craintes vis-à-vis de ces pays agricoles. Je pense aussi que leur présence renforcera le poids de l'agriculture dans l'Union et que ce peut être une chance pour nous aussi.

Ces pays devront reprendre l'acquis communautaire, cela va de soi. Leur intégration nécessitera donc une longue période de transition. La France, premier pays agricole de l'Union, aura dans ce débat une responsabilité particulière. Je souhaite que nous puissions faire preuve à cet égard d'esprit d'initiative.

Mais aujourd'hui, autour de ces objectifs généraux et pour les illustrer, je veux aborder les perspectives d'avenir qui se dessinent pour votre secteur. Et parler avec vous de production et de marchés.

1. Quels sont les objectifs de notre production céréalière ?

Vous avez, monsieur le Président, et je les partage, de grandes ambitions pour la céréaliculture française. Pour en convaincre nos partenaires communautaires, nous devons avoir des objectifs parfaitement clairs.

Ceci est vrai, tant vis-à-vis de la confusion des idées reçues sur l'agriculture et l'alimentation. Que vis-à-vis des autres secteurs de l'économie.

La vocation exportatrice de l'Union Européenne et en particulier de la France est une caractéristique fondamentale et incontournable de notre agriculture.

Les exportations constituent une utilisation légitime au même titre que les autres. Elles ne sauraient être considérées comme les surplus d'un bilan mal équilibré.

La sécurité alimentaire mondiale pourrait à elle seule justifier la vocation exportatrice de l'Union Européenne. La demande mondiale devrait croître de façon importante, les organisations internationales elles-mêmes le pronostiquent.

Dans ce contexte, l'approvisionnement régulier et garanti de la demande mondiale de céréales est un élément clé de la sécurité alimentaire. C'est une obligation et à ce titre un véritable objectif politique.

Mais au-delà, bien sûr, des exportations soutenues ont des retombées évidentes pour l'économie française et en particulier pour notre balance commerciale. Tels sont les fruits de notre présence, croissante, durement gagnée, sur le marché mondial.

Dans cette optique, il faut redire le rôle central de l'Union Européenne. L'Union constitue un pôle de production stable et maîtrisé. Aucun autre exportateur ne peut garantir une telle présence. Les deux dernières campagnes l'ont d'ailleurs montré, notamment avec la défection de l'Australie.

L'importance de cette dimension, la France se doit d'en être le plus ardent défenseur, et le meilleur ambassadeur auprès de nos partenaires. Nous partageons sur ce point, monsieur le Président, les mêmes convictions.

De façon plus immédiate, le GATT nous offre des possibilités en matière d'exportation. Nous devons toutes les utiliser. Et si de plus, les conditions du marché le permettent ou le requièrent, nous devons aller au- delà.

J'ai l'ambition et la volonté de voir les céréales françaises toujours présentes et bien présentes sur le marché mondial. J'en veux pour preuve les récentes décisions adoptées par le Conseil et dont je parlerai dans un instant.

Au-delà de cet objectif fondamental et constant, je n'oublie pas que la consommation des céréales dans l'alimentation animale constitue l'objectif stratégique de la réforme de la PAC.

C'est ce qui justifie la baisse des prix institutionnels. C'est également le débouché par excellence à assurer pour être crédible vis-à-vis de nos partenaires communautaires et vis-à-vis des autres filières de l'agriculture, l'élevage en particulier.

C'est aussi le débouché quantitativement le plus important. Sa reconquête au détriment des produits de substitutions importés, les PSC, permet d'accroître l'indépendance du secteur. En contribuant à diminuer les importations, la présence des céréales sur ce marché participe aux grands équilibres du pays.

À ce titre le bilan des deux premières années de la réforme est satisfaisant. Il est même encourageant. Tout doit être mis en œuvre pour le consolider.

La satisfaction de la consommation courante du pays est un fondement de la PAC initiale. Les produits des céréales, pain et pâtes essentiellement, et leurs dérivés constituent aujourd'hui un fond de commerce qui ne doit pas se dégrader.

L'image des produits de la transformation céréalière doit être fortifiée. La part de ces produits dans l'alimentation ne doit pas reculer. Et là, je crois que la promotion est une carte importante à jouer.

Je ne voudrais pas terminer sur les perspectives de marchés sans aborder les besoins de l'industrie. Une part croissante de la production est ainsi conduite aux frontières de l'agriculture, vers la chimie ou les biotechnologies. Ces industries, fortes productrices de valeurs ajoutées contribuent à donner une image moderne et performante de l'agriculture.

Les innovations continuelles de ce secteur en font un débouché d'avenir. Nous devons nous attacher à l'approvisionner régulièrement au meilleur prix.

Un à un j'ai abordé tous ces marchés. Soyez certains de ma volonté d'accompagner vos efforts pour les conquérir, les reconquérir ou les conserver.

Il faut chasser toutes les vieilles images de filière excédentaire et de production incontrôlable. Le secteur céréalier est un secteur aujourd'hui assaini.

C'est un secteur doté d'objectifs clairs, je les ai indiqués précisément. Ils sont crédibles et je les défendrai à Bruxelles comme dans les organisations internationales. En particulier, je veux hisser très haut notre nécessaire présence sur le marché mondial.

Ces objectifs, je veux me donner les moyens, avec vous, de les réaliser. Mais je sais qu'au delà des mots vous attendez des actes. Je suis en mesure dès aujourd'hui, après une longue et difficile négociation à Bruxelles, de vous apporter une première réponse sur un sujet qui vous tient particulièrement à cœur : la diminution du taux de jachère.

2. La jachère est un moyen essentiel, mais un moyen seulement d'ajuster la production aux besoins du marché.

Chaque année, le taux de gel doit être réexaminé en fonction des conditions du marché. Cela a été vrai l'année dernière. Ce le sera cette année également.

L'expérience d'une décision tardive du Conseil l'an dernier justifiait, de mon point de vue, l'examen immédiat de cette question. Cela est d'autant plus vrai que les éléments nécessaires à cette prise de décision vont être connus dans les prochaines semaines.

Enfin, une décision précoce ne peut que donner un signal positif au marché, propice à un démarrage, sans tensions sur les prix, de la nouvelle campagne.

Les bilans céréaliers de la campagne de commercialisation 1994/1995 sont connus.

Les volumes à l'exportation pour la prochaine campagne sont déterminés par nos engagements internationaux. Il est d'autant plus important de maintenir notre place, et toute notre place, sur le marché mondial que la demande de blé est globalement en progression.

L'incorporation dans l'alimentation animale devrait encore progresser compte tenu de la baisse de prix le 1er juillet 1995. Si les résultats de 1994 avaient peut-être des motifs conjoncturels, leur confirmation et leur progression en 1995 sont très encourageants.

La conclusion est évidente, non seulement les 3 % de baisse de jachère obtenus pour 1994/1995 doivent être reconduits. Mais nous devions aller au-delà pour la prochaine campagne, et obtenir une nouvelle baisse du taux de jachère.

Cette nécessité, justifiée par la logique que je viens de vous décrire, je me suis attaché de toutes mes forces à en convaincre mes collègues au cours des trois jours et des deux nuits passés à Bruxelles au Conseil. Je savais combien il était important de pouvoir arrimer cette orientation décisive à l'héritage de notre présidence.

J'ai donc obtenu du Conseil que cette question soit traitée avec diligence, Pour le 31 juillet 1995, la Commission établira un bilan prévisionnel du marché des céréales pour la campagne prochaine. Ce bilan sera accompagné d'une proposition de fixation d'un nouveau taux de jachère.

J'avais placé cette question au cœur des priorités de notre présidence. Aussi, dans le cadre d'un compromis aux multiples enjeux, c'est un résultat important dont je crois, Monsieur le Président, nous pouvons nous réjouir ensemble.

Mais sans attendre, je vous livre la question suivante : La possibilité d'une baisse supplémentaire du taux de gel n'est-elle pas l'occasion de supprimer le gel rotationnel ?

La simplicité d'un dispositif centré sur un seul gel, le gel libre, n'est-il pas la meilleure manière de gérer plus efficacement le marché ? Je souhaite qu'ensemble, nous puissions rapidement réfléchir à cette question.

Et puisque nous parlons de simplicité, je vous confirme que nous venons d'obtenir de la Commission la révision tant attendue des modalités d'application des pénalités individuelles liées au non respect de la jachère. Ainsi dès la prochaine campagne une meilleure proportionnalité des sanctions sera établie.

Je voudrais encore aborder une autre facette du gel : le gel extraordinaire. C'est la règle communautaire, lorsqu'il y a dépassement des surfaces de base. Et nous l'appliquons. Mais cela doit nous placer en meilleure position pour mieux faire évoluer la réglementation.

En l'occurrence la question progresse, puisqu'au Conseil il a été convenu de revoir le calcul du gel extraordinaire de façon à ne pas pénaliser exagérément les dépassements induits par le gel volontaire.

Vous avez conscience qua ce débat pose la question même de la possibilité de faire du gel volontaire. Je souhaite aussi que nous puissions y travailler ensemble.

Voilà donc une illustration de l'approche pragmatique mais résolument dynamique avec laquelle j'aborde les grandes questions de votre secteur.

Mais le gel n'est pas tout. Et il revient à la France d'aller plus loin dans les moyens qui nous permettront de réaliser les ambitions dont nous avons parlé.

3. Que faut-il faire d'autre pour notre compétitivité

Au niveau national, nous pouvons mener sur plusieurs fronts des actions complémentaires au pilotage de la PAC. Ou des actions à plus long terme.

En tout premier lieu, et cela conditionne presque tout le reste, il faut assurer la fluidité du marché qui est un facteur important de la compétitivité des céréales. Il ne suffit pas de produire plus. L'importance de la fluidité du marché n'a pas échappé au Conseil des ministres de l'Agriculture. Il en a été question lors des travaux sur le paquet-prix que j'ai fait adopter mercredi dernier à Bruxelles.

En la matière, il y a d'un côté les responsabilités des pouvoirs publics et de l'autre les responsabilités de la filière.

Au niveau de l'Organisation Commune du Marché (OCM), il était normal d'ajuster les majorations qui s'ajoutent chaque mois aux prix institutionnels. Justifié également de se préparer à baisser le taux de jachère.

En revanche, en cette troisième année de mise en place de la réforme, il n'était pas question d'aller au-delà. En réduisant par exemple, comme le proposait la Commission, la durée de la période d'intervention. La PAC est en train de faire ses preuves, ne la bousculons pas.

De l'autre côté, au niveau de la filière céréalière, vous portez la responsabilité, dans ce cadre réglementaire, d'assurer le bon fonctionnement des marchés. Il faut s'efforcer d'avoir les meilleurs prix durant toute la campagne et ce dès le début. Les à-coups spéculatifs doivent être évités car les marchés manqués faute de prix compétitifs sont des marchés perdus.

Les ingrédients essentiels de la réussite sont donc tous là, intimement liés : des céréales en quantité suffisante, compétitives, et un bon fonctionnement du marché.

Ceci est vrai tant pour les opportunités à l'exportation que pour le marché intérieur.

La qualité des céréales doit ensuite être adaptée à la segmentation des marchés.

Deux points sont pour moi d'importance.

Pérenniser le financement de la recherche semencière. C'est l'avenir qui est en jeu ainsi que l'image de notre production.

Pour cela toutes les semences doivent contribuer au financement de la recherche. Et pas seulement les semences certifiées. La semence de ferme est aujourd'hui reconnue. Faisons en sorte que cela n'introduise pas de distorsions de concurrence entre semences.

Voilà très rapidement les axes d'avenir qui sont aujourd'hui soumis à la filière semence et plus largement à la filière des grandes cultures. Je souhaite que cela puisse déboucher sur l'élaboration d'un projet de loi. Je compte sur vous pour faire avancer ce dossier rapidement.

Ajuster une politique de qualité aux besoins du marché.

D'une façon générale, je sais que vous avez entrepris une réflexion, à laquelle participe l'ONIC, sur la qualité des céréales en relation avec leur promotion à l'étranger. Je voudrais vous encourager et vous apporter mon soutien. Nos céréales peuvent être mieux présentées à l'étranger. Ceci est d'autant plus nécessaire que l'exportation est centrale pour l'agriculture française.

Plus spécifiquement, certaines productions de qualité reculent. L'alignement des prix de toutes les céréales lors de la réforme a entraîné une certaine désaffection des producteurs notamment pour l'orge de brasserie et le blé dur dans la moitié nord de la France.

Je veux trouver avec vous des solutions pour redynamiser ces cultures. Je pense notamment à la contractualisation. Cette pratique a dans certains cas fait ses preuves. Réfléchissons-y ensemble !

Je ne voudrais pas évoquer le blé dur sans traiter particulièrement de la situation des jeunes agriculteurs dans les régions traditionnelles de production. Je sais l'importance régionale et pour l'équilibre des revenus que revêt cette culture.

Le Conseil a pris l'engagement de faciliter l'accès aux droits blé dur pour les jeunes. Cet engagement doit être respecté. Mais il faut tenir bon, à Bruxelles comme sur le terrain, et envisager un système plus souple, pour gérer au mieux, pour tous, les droits à primes blé dur.

Je ne veux pas continuer sans parler de l'Institut Technique des Céréales et des Fourrages, l'ITCF. Cet institut est un instrument central dans le développement et la diffusion des techniques et dans la recherche appliquée. À ce titre, c'est un élément clé de la mise en œuvre d'une production compétitive et adaptée aux marchés.

L'ITCF a donc toute sa place dans notre projet pour le secteur céréalier. Je suis conscient de son rôle, et je suis témoin de l'intérêt que les producteurs lui portent. C'est pourquoi la pérennité et le développement des moyens nécessaires à son fonctionnement doivent être assurés.

À cet égard, la réforme de l'ANDA élaborée à l'initiative de l'ensemble de la profession agricole devra permettre, outre la poursuite d'une politique de développement agricole vivante et efficace, un financement durable de votre institut.

Bien entendu, toutes les perspectives que je viens d'évoquer avec vous prennent place dans le cadre d'une politique globale pour la compétitivité des filières agricoles. Je ne veux pas en traiter aujourd'hui mais simplement en rappeler les principaux axes :

– allégement des charges ;
– réforme de la fiscalité ;
– modernisation des exploitations ;
– installation des jeunes.

Chacun d'entre eux bien sûr participera à l'amélioration de la compétitivité de la production céréalière.

Le moment de conclure est venu et je voudrai le faire sur la forme et sur le fond.

Ma méthode est claire. Bien cerner la ou les quelques vraies priorités. En légitimer tous les aspects. Les défendre en tant qu'objectifs aussi bien économiquement que politiquement. Les moyens nécessaires ne viennent qu'ensuite.

Pour les céréales, il faut choisir : Contre le choix de certains partenaires communautaires, je refuse une production protégée dans un cadre étroit et peu durable.

Je vous propose une approche offensive, par la compétitivité, ouverte sur le monde, adaptée aux différents marchés, français, européens et internationaux.

Ensemble, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, faisons en sorte que cette approche l'emporte !

Je vous remercie.