Article de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "Le Monde" du 3 novembre 1998, sur la crise du secteur porcin, notamment la maitrise de la production et des prix dans le cadre d'une organisation commune des marchés et la protection de l'environnement, intitulé "Méprises sur le porc en crise".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Alors que le secteur porcin s'enfonce dans la crise, le procès d'intention fait aux éleveurs me paraît disproportionné. Je souhaiterais rétablir un certain nombre de vérités de nature à clarifier le débat.

La crise économique que traverse depuis quelques mois le secteur porcin est européenne et mondiale. En France, les cours, en chute libre, on été divisés par deux en moins d'un an. A 5,20 francs le kilo, à la cotation du jeudi 29 octobre, le prix actuel est une aberration économique et ne correspond plus à aucune réalité. Dans ces conditions, comment ne pas comprendre le désarroi des éleveurs, qui s'appauvrissent en faisant leur métier ?

Cette crise montre bien les dangers de l'actuelle gestion ultra-libérale du marché. L'absence de mécanismes régulateurs n'a permis ni d'anticiper ni de freiner la crise. Celle-ci risque de provoquer la disparition de nombreux producteurs - avec tous les drames humains qui en découlent - et l'intégration des plus fragiles, qui risquent de devenir les travailleurs à façon de leurs fournisseur ou de leurs clients.

Mais il faut rétablir deux vérités. En premier lieu, contrairement à ce qu'on affirme, le soutien du porc en crise représente une somme peu élevée pour le contribuable européen, en regard de la richesse créée pour le secteur. Pour le contribuable français, les mesures envisagées se concentrent essentiellement sur des avances ponctuelles de trésorerie dans le cadre de Stabiporc et des reports de cotisations sociales, qui représentent en fait de nouvelles dettes qu'on demandera aux éleveurs de rembourser à terme.

En second lieu, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) a pris toutes ses responsabilités, depuis plusieurs années déjà, en demandant une maîtrise de la production au niveau européen. Je souhaite que chaque pays en Europe agisse en ce sens, et qu'en particulier le gouvernement français soutienne à Bruxelles, avec toute la conviction requise, notre proposition de maîtrise raisonnée de la production.

Comment ne pas comprendre le désarroi des éleveurs, qui s'appauvrissent en faisant leur métier ?

La France doit convaincre ses partenaires que, sans maîtrise de la production dans le cadre d'une véritable organisation commune de marché, nous continuerons à vivre régulièrement des crises meurtrières pour ce secteur. La communauté semble ne pas avoir pris conscience des enjeux, comme le montre par ailleurs la timidité de ses mesures en faveur de l'exportation, alors qu'il est vital de saisir toutes les opportunités sur nos marchés et en particulier sur le marché russe.

Le porc n'a pas à être cloué au pilori. Gardons-nous de tout excès. La production de porc, bien gérée, n'est pas condamnée à être polluante, et certains jouent avec le feu en interdisant le développement du porc hors de Bretagne, alors que les risques sont minimes et que les débouchés existent, comme pour le jambon de Bayonne qui vient d'accéder à une « indication géographique protégée » (IGP) et dont la production est loin de suivre la demande potentielle.

La filière porcine induit de nombreux emplois directs et indirects, en amont et en aval. Elle représente une chance de développement pour de nombreuses régions françaises. En ce sens, elle doit participer à un aménagement équilibré de notre territoire car celui-ci doit s'appuyer sur des activités économiques réelles.

Les Français apprécient la viande de porc : c'est la plus consommée en France avec une moyenne de 35 kg par habitant et par an. Alors, ne sacrifions pas notre filière porcine. Les consommateurs et les professionnels de la viande en Europe reconnaissent la qualité de nos produits. Il appartient aux éleveurs répondre à la demande.

Mais il est clair qu'une des conditions du développement de l'élevage porcin sera liée à sa capacité à respecter l'environnement. À ce titre, il faut rappeler que l'on ne peut faire tout et n'importe quoi en matière d'élevage porcin. L'exploitation porcine est encadrée par des prescriptions techniques drastiques pour l'environnement, s'agissant, entre autres, de la collecte des effluents d'élevage, de la capacité de stockage des lisiers, de la limitation de leur utilisation comme engrais et des nuisances au voisinage.

Des normes existent, régulièrement renforcées par les pouvoirs publics. Elles sont largement appliquées sur le terrain par les éleveurs. Si certains les jugent trop laxistes, la responsabilité en incombe au législateur, pas aux producteurs de porc qui les mettent en oeuvre.

La profession, consciente des enjeux, prend ses responsabilités. Elle est engagée dans des actions préventives et curatives en faveur de l'environnement, comme en témoigne l'implication de éleveurs aux côtés des pouvoirs publics dans le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA). C'est précisément parce que l'État a sous-estimé l'ampleur de la mobilisation des producteurs dans le cadre du PMPOA, pour la mise aux normes des bâtiments d'élevage, que ce programme est freiné actuellement, faute de financement.

Signalons, pour tordre le cou à certaines idées reçues, que la FNSEA a obtenu dès 1997 que les petites exploitations soient également aidées dans leur effort en faveur de l'environnement, afin que tous, quelles que soient leur taille et leurs moyens financiers, participent à l'amélioration de la qualité de l'eau et de l'environnement.

Alors au-delà des polémiques, relevons ensemble le défi d'une production porcine économiquement forte, en harmonie avec l'environnement et au service de nos consommateurs.