Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, dans "Le Bien public" le 5 novembre 1998, sur les compétences de l'Etat dans le maintien de la cohésion sociale, la consolidation du modèle social européen, les plans nationaux d'action pour l'emploi, et sur le projet prioritaire du TGV Rhin-Rhône.

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Circonstance : Déplacement de M. Moscovici en Côte-d'Or le 5 novembre 1998

Texte intégral

Le Bien Public-Les Dépêches. - Monsieur le ministre, en tant que chargé « de l'Europe », vous allez aujourd'hui, chez Hervé Vouillot, parler de quelle Europe : une Europe des régions ou une Europe des nations ? Dans l'un ou l'autre cas, pouvez-vous justifier votre choix ?

Pierre Moscovici. - Il faut sortir de ces fausses oppositions. En France, depuis les lois de décentralisation, chacun a pris conscience du rôle essentiel des régions dans le développement économique, dans l'organisation des territoires, dans la valorisation du potentiel humain des bassins d'emploi. Par ailleurs, les demandes adressées à l'État restent très fortes, à l'évidence, dans notre société, dans la mesure où l'État apparaît comme le garant de la solidarité nationale.

L'action récente du gouvernement en porte témoignage : la loi de lutte contre les exclusions, la loi de financement de la Sécurité sociale, les réponses apportées au mouvement lycéen, montrent que l'État conserve la responsabilité principale pour assurer la cohésion sociale.

En tant que ministre des affaires européennes, mon rôle consiste aussi à expliquer à mes partenaires des Quinze que l'Europe ne doit pas chercher à imposer un modèle particulier d'organisation des États-nations.

Nous restons libres de nous organiser comme nous l'entendons et je crois qu'en France nous avons réussi à développer une complémentarité satisfaisante des rôles entre les échelons régionales et nationales, même si la compromission de la droite avec le Front national en Bourgogne et dans quelques autres régions complique beaucoup les choses.

D'autres pays, en Europe, on un modèle d'organisation fédérale, comme l'Allemagne, ou fortement régionaliste comme l'Espagne et Italie. Le Royaume-Uni, sous la houlette de Tony Blair, engage des réformes en profondeur pour développer l'autonomie des grandes provinces du royaume : pays de Galles, Ecosse, sans parler de l'Irlande du Nord.

L'Europe, c'est d'abord la reconnaissance de la diversité et le respect des institutions politiques de chacun des pays membres. Et, par ailleurs, l'Europe doit permettre aux Quinze de prendre collectivement les décisions qui s'imposent dans tous les domaines où l'efficacité requiert une coordination et une harmonisation européenne. Avec l'arrivée de l'euro, les sujets ne manquent pas et nous les avons mis au premier rang de l'ordre du jour des travaux européens : l'harmonisation fiscale dans un sens plus favorable au travail, la consolidation du modèle social européen, que le reste du monde nous envie, ou encore la coordination des politiques économiques, pour exploiter au mieux les potentialités de croissance du continent européen.

BP-LD. - L'Europe pourra-t-elle se transformer en Europe sociale ? Si oui, comment ? N'est-ce pas une utopie socialiste ?

P. M. - Comme dit l'adage populaire « il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ». L'Europe sociale a été solennellement consacrée par le traité d'Amsterdam grâce au ralliement au Royaume-Uni au protocole social que les prédécesseurs conservateurs de Tony Blair avaient toujours refusé. Concrètement, cela nous a permis, depuis un an, de donner un coup d'accélérateur à l'examen de nombreux projet de directives européennes qui permettent de garantir un certain nombre de droits sociaux fondamentaux, comme le congé parental ou de promouvoir un engagement commun de défense des éléments essentiels de notre modèle social : participation des salariés dans l'entreprise, réglementation du temps partiel, etc.

Par ailleurs, à Amsterdam, vous vous souvenez sans doute que Lionel Jospin, alors tout juste arrivé aux responsabilités, avait conditionné son accord définitif à la mise en route de l'euro, à l'adoption par les Quinze d'un engagement pour réorienter l'Union économique et monétaire dans un sens plus favorable à la croissance et l'emploi. Nous avons donc tenu un sommet extraordinaire sur l'emploi à Luxembourg, qui a permis de lancer une procédure de convergence des politiques de l'emploi en Europe. Cette procédure prend appui sur des objectifs chiffrés communs : baisse du chômage de longue durée, renforcement de l'effort de formation en direction des chômeurs. Tous les États membres de l'Union ont pris des engagements précis pour y parvenir dans le cadre de plans nationaux d'action. L'efficacité de leur stratégie pour l'emploi de chacun sera évaluée à Vienne en décembre prochain, puis régulièrement chaque année, lors des réunions des chefs d'État et de gouvernement des Quinze.

Ma conviction sur ce sujet est établie : les objectifs sociaux de Luxembourg deviendront aussi importants dans les années qui viennent, que les critères monétaires et financiers de Maastricht ont pu l'être dans le passé. La dynamique enclenchée à Amsterdam va bénéficier du renfort de Gerhard Schröder et de nos amis sociaux-démocrates allemands qui souhaitent approfondir le travail commencer à Amsterdam et à Luxembourg. Dans ce domaine comme d'autres, avec onze gouvernements dirigés par les socialistes ou sociaux-démocrates, nous avons une obligation de résultat, car les attentes soulevées dans l'opinion sont fortes.

BP-LD. - Monsieur le ministre, vous venez à Dijon, capitale de la région voisine de votre région de Franche-Comté : que pensez-vous de l'état actuel du projet TGV Rhin-Rhône et de son évolution entre Mulhouse et Dijon ?

P. M. - Le TGV Rhin-Rhône est un enjeu essentiel pour les trois régions qu'il traversera. Il confirme le rôle essentiel de Dijon dans le dispositif ferroviaire national, il contribue à désenclaver le nord Franche-Comté et ouvre de nouveaux débouchés à l'agglomération mulhousienne.

Lors du comité interministériel du (...) dernier, le gouvernement a confirmé que le TGV Rhin-Rhône était un des deux projets de TGV prioritaire pour notre pays et pour l'édification d'un réseau ferroviaire transeuropéen à grande vitesse. Aujourd'hui, ce dossier progresse normalement. Le lancement de la face d'études préalable à l'enquête d'utilité publique est proche. Il doit permettre d'aboutir à une DUP le plus rapidement possible, une fois que tous les intéressés auront pu se prononcer.

De mon côté, je m'attache à donner une reconnaissance européenne à ce projet. Je compte proposer son inscription à l'ordre du jour d'un prochain sommet franco-allemand et je veillerai à ce qu'il soit examiné comme une entité unique, de Mulhouse à Dijon, insusceptible de tout tronçonnage.

Je ne suis donc pas pessimiste sur le devenir du dossier, mais vigilant sur son avancement et conforté par la qualité des soutiens qu'il reçoit au sein du gouvernement et parmi les responsables des collectivités territoriales concernées.