Interview de M. Raymond Barre, député UDF apparenté, dans "Le Monde des débats" d'octobre 1994, sur son image de Lyon et de la région Rhône-Alpes.

Prononcé le 1er octobre 1994

Intervenant(s) : 
  • Raymond Barre - UDF, député apparenté au groupe parlementaire à l'Assemblée nationale

Média : Le Monde des débats

Texte intégral

Q. : Quelle image aviez-vous de Lyon avant votre candidature aux législatives de mars 1978 ?

R. : Albert Thibaudet écrivait que si Paris était la capitale de la France, Lyon était celle de la province. J'avais l'image d'une ville aux nombreuses ressources, l'une des plus grandes villes françaises, mais qui n'avait pas la réputation d'être très accueillante lorsque j'ai fait l'objet d'une démarche du maire de Lyon d'alors, Françisque Collomb, et de différentes personnalités lyonnaises. Mais j'ai aussitôt équation personnelle : un centre économique, financier et universitaire, capable de jouer en France le rôle d'une "eurocité". Mon passage à la Commission des communautés européennes m'avait convaincu de la nécessité de développer en France des cités de cette nature. Enfin, pourquoi l'oublier, sa réputation gastronomique me paraissait une incitation supplémentaire.

Tout en bénéficiant d'un haut patronage, j'ai dû faire campagne et convaincre mes futurs électeurs. C'est alors que j'ai compris toutes les qualités, les vertus et en même temps tout le potentiel de cette ville. Dès le départ, j'ai mis l'accent sur le fait que je voulais travailler à son rayonnement. J'étais persuadé qu'il fallait que cette ville, plutôt introvertie, s'ouvre largement sur l'extérieur. Depuis, je me suis efforcé d'y contribuer, de mieux faire connaître ses potentialités et d'obtenir, ainsi, une meilleure appréciation de Lyon par l'étranger.

Q. : Fallait-il convaincre les Lyonnais que Lyon pouvait devenir cette seconde ville européenne française ?

R. : Les Lyonnais sont traditionnellement tournés vers leur ville. Mais je constate que leur désir de participer à des projets d'envergure est de plus en plus manifeste. Je l'ai noté quand j'ai proposé d'établir des relations auprès de Barcelone, Milan ou du Bade-Wurtemberg ; j'ai aussitôt reçu le concours des forces politiques locales. Je l'ai vu ensuite lors de la candidature de Lyon pour accueillir le siège de la Banque centrale européenne. Récemment encore, j'ai pu constater l'intérêt suscité par ma proposition, auprès des autorités de la ville, du département et de la région, d'accueillir Aspen France (1) à Lyon. Nous allons organiser en octobre, un grand colloque d'Aspen France sur les médias. Je suis persuadé qu'il y a maintenant à Lyon, à cause des chefs d'entreprise présents sur les marchés extérieurs, à cause de la communauté scientifique comme et appréciée par le monde, une ouverture d'esprit de plus en plus marquée. Une ouverture que l'on retrouve d'ailleurs chez la jeune population de Rhône-Alpes à la recherche de stages et d'années universitaires à l'étranger.

Q. : La ville aurait-elle définitivement abandonné son manque de confiance en soi ?

R. : J'ai compris lors de la célébration du bicentenaire de la Révolution combien Lyon gardait en mémoire ce moment où la ville a été privée de ses droits. Je me suis demandé si les réserves de Lyon à l'égard de Paris ne tenaient pas autant au souvenir de ces journées horribles que la ville a connues qu'au fait de ne plus être la capitale des Gaules.

Q. : Pourquoi avoir soutenu le dossier de candidature de Lyon à l'accueil du siège de la Banque centrale européenne, alors que ses chances semblaient dès le départ très minces ?

R. : C'est une expérience très intéressante. Les Lyonnais qui sont venus, en 1990, me parler de la candidature de Lyon connaissaient la difficulté de l'entreprise. Je leur ai dit, à l'époque, que l'objectif n'était pas de chercher à gagner, mais de faire savoir que Lyon avait tous les titres à être candidate face à d'autres capitales européennes. Lyon n'est pas une petite ville de province, mais une cité dont le potentiel économique, financier, culturel, intellectuel et touristique lui permet de figurer dans un palmarès européen. J'ai constaté, lors de visites à l'étranger, que le résultat a été atteint.

Récemment, dans le même esprit, Charles Million a posé la candidature de la région pour accueillir les Jeux olympiques. Il faut savoir être ambitieux. Cette candidature peut être pour Rhône-Alpes et Lyon une source supplémentaire de reconnaissance et de rayonnement international.

Q. : Pour vous, qu'est-ce qu'être Lyonnais ? Le Lyonnais a-t-il une identité comparable à aucune ?

R. : Henri Béraud, est, je crois, celui qui a le mieux exprimé le fond du caractère lyonnais. De même, j'ai beaucoup apprécié le Calixte de Jean Dufourt. Le portrait qu'il dresse du Lyonnais est plein d'humour, mais il montre, je le sais d'expérience, que lorsque celui-ci donne sa confiance et son amitié ses sentiments sont solides.

On dit les Lyonnais individualistes, mais je peux vous assurer que je les ai très rarement vus intervenir auprès de moi pour des affaires personnelles. Ils préfèrent m'exposer des actions qu'ils mènent pour le bien commun. Cette attitude est bien dans la tradition de catholicisme social, si vivace dans cette ville.

Q. : Reste ce reproche constamment adressé à Paris de se désintéresser des dossiers lyonnais ?

R. : Il faut convaincre les Lyonnais qu'ils ont les moyens de leurs ambitions. D'ailleurs, dans le dossier de la Banque centrale européenne, nous n'avons reçu aucun soutien du gouvernement, sauf une prise en considération sympathique et polie. En dépit de cela, les Lyonnais se sont débrouillés comme des grands !

Q. : La taille de Lyon est-elle suffisante pour qu'elle retrouve sa place en Europe ?

R. : Je raisonne de moins en moins en fonction de la taille des villes. Ce qui m'intéresse, ce sont les régions et les réseaux de villes. Rhône-Alpes est à l'heure actuelle la seule région en France à être à la mesure de l'Europe. Et Lyon doit devenir véritablement la capitale de Rhône-Alpes. La querelle Lyon-Grenoble existe encore un peu, mais elle est tellement secondaire par rapport aux enjeux ! L'ancien maire de Saint-Étienne, François Dubanchet, a très bien compris la nécessité pour sa ville de travailler avec Lyon.

Q. : Pourquoi défendez-vous la liaison fluviale Rhin-Rhône ?

R. : La liaison Rhin-Main-Danube est achevée. Si nous voulons ne pas être marginalisés – raison pour laquelle je m'investis si fortement dans ce dossier – il faut que la liaison Rhin-Rhône unisse la Méditerranée à ce grand axe qui va drainer les échanges vers la Méditerranée orientale, de Rotterdam à Istanbul. On ne se rend pas compte de ce que sera l'explosion des échanges ; nous ne raisonnons pas suffisamment en fonction de l'espace européen. On peut regretter que la mairie de Lyon comme la chambre de commerce et d'industrie aient jusqu'ici manifesté des réserves à l'égard de ce projet. Je suis convaincu qu'elles finiront par y souscrire, contribuant ainsi à permettre à Lyon d'occuper la place qui doit être la sienne dans cette grande entreprise d'aménagement du territoire national.

Q. : Cette ville et cette région sont marquées actuellement par des "affaires" qui touchent Michel Noir et Alain Carignon. Ce climat peut-il nuire à l'image extérieure ?

R. : Je me suis toujours abstenu de m'exprimer sur ces sujets. Laissons faire la justice.

(1) Créé en 1949, à Aspen dans le Colorado, l'Aspen Institue est un centre d'échanges et de réflexion international. Aspen s'est doté d'une structure à Berlin, Milan et Lyon, depuis le mois d'août.